
Pour mon compte on voulait que je reste pour l’enterrement de mon homme, il était hors de question que je n’aille pas réclamer l’élargissement de celui que vénérait mon défunt. Je serais revenue pour le mettre en terre .
L’ambiance était celle d’une foire aux bestiaux, on discutait , on s’invectivait, tous venaien me soutenir, hommes, femmes jamais je n’aurais cru avoir autant d’amis.
On chantait pour nous donner du courage, après tout la troupe avait tiré sur nous une première fois, pourquoi en serait-il autrement à Sait Jean d’Angély. Latièrce suivait tant bien que mal, je voulais m’en approcher pour le déchiqueter, l’étriper, l’éviscérer, l’émasculer, je voulais venger la mort de mon Michel. Mais arrivée près de lui, j’ai eu comme de la peine, son état faisait pitié. Il n’était pas tout jeune certes mais il présentait le masque de la mort, alors à quoi bon.
Si moi je contenais ma haine d’autres laissaient libre cours à leurs bas instincts.
La nature humaine se dévoile de maintes façons lorsque chacun se croit couvert et cacher parmi la multitude.
Nous n’en menions pas large pour autant, les meneurs tenaient bien le maire et n’auraient lâché leur proie pour rien au monde, mais la multitude était quand à elle plus flottante.
Plusieurs alarmes déclenchèrent des débuts de panique, nous avions entraîné les officiers municipaux et les curés des paroisses. Le notre n’avançait guère mais peut être que leur présence tempérerait les plus fanatiques.
Nous arrivâmes enfin, du chemin je n’avais pas quitté le jeune Louis Morin, un jeune journalier qui parfois me faisait du gringue et Pierre Bercicaud le voiturier.
Pas de chasseurs bretons, pas de gardes nationaux, la municipalité avait bien fait les choses pour emmerder les décideurs du district. Cette opposition larvée fit le jeu des 1500 que nous étions en vérité.
Sur la place Matha la pression se fit de plus en plus forte, nous gueulions à perdre haleine, nous devenions très menaçants. On imposa au juge criminel la libération de Laplanche en échange de Latièrce. Ce qui fut fait à moitié car la foule ivre de rage garda le maire félon.
Laplanche à mon sens aurait du maintenant prêcher la modération, il ne le fit pas et au contraire nous désigna Latièrce comme l’ennemi à tuer. La confusion était totale et sans que je sache vraiment comment je me suis retrouvée à mettre des coups de bâtons à ce pauvre homme. Il fallait bien que je venge Michel. Les coups pleuvaient drus, les officiers municipaux s’égosillaient pour rien. Frappe et frappe encore, le sang coule, tue, tue. Chacun en voulait pour son argent, Latièrce recevait des coups expiatoires de millénaire de misère. Un curé celui de la paroisse de Ternant tenta de le sauver, la vue de ce saint homme me fit cesser mon acte de folie. Le père Izambard prit Latièrce sur son dos et trouva refuge dans une maison proche.
Hélas on le poursuit, frappe et frappe encore, crève et crève, mais crèveras- tu. La porte fut enfoncée on s’y engouffra, le maire était moribond, une poupée de son, un épouvantail. Un homme dont je ne connaissait pas le nom prit un couteau et le transperça . Il était enfin mort.
Son cadavre fut tiré dehors et on l’abandonna au regard, les enfants lui firent des grimaces, des belles le tâtèrent du pied, des femmes du peuple voulurent outrager son cadavre.
Moi j’avais mon homme a enterrer, on se hâta de rentrer. Mes garçons attendaient près du mort, ils avaient veillé sur leur père pendant mon absence. Le visage de Michel était enfin détendu, comme si la mort du responsable de son décès l’avait soulagé.
Le menuisier n’avait pas de planches pour un cercueil alors on le mit dans un de mes plus beaux draps. Ce linceul refermé on le mit sur une charrette et on l’accompagna en terre.
Juste à coté des tertres de terre fraîche, Marie Jonchères, Marie Berton et Madeleine Salmon.
On fit une courte veillée, mais nous étions épuisés et un mauvais sommeil me gagna. Ma couche était trop vaste pour une femme seule, cauchemars, je revoyais Michel s’écrouler, je revoyais le sang de Latièrce s’écouler par une plaie béante. Je frissonnais de peur et morte d’inquiétude pour l’avenir, je me levais sur un devenir caché par de gros nuages.
Le lendemain sur la place j’appris que le maire avait été enterré au cimetière Saint Eutrope de Saint Jean d’Angély. Nous éprouvions tant de haine que je n’aurais pas tolérer qu’il fusse enseveli à Varaize.
L’insurrection ne faiblissait guère et l’on ne revenait pas de notre décision de ne pas payer les impôts.
Mais un matin il y eut grand bruit une forte troupe cerna le village, la plus part des hommes furent arrêtés, mes fils étaient trop jeunes heureusement.
Au nombre de cent, on les enferma dans une chambre attenante à la chapelle de notre dame de joie.
Les autorités s’installèrent à l’auberge du faisan.
Ce fut Pierre Beneteau qui devint le principal suspect dans l’affaire, Laplanche en prison à Varaize avait été de nouveau arrêté par la garde nationale de Matha ainsi que son compère Labroue.
Outre les hommes de Varaize, ceux de Saint Julien de l’Escap et de Fontenet furent également inquiétés.
Mais bon, on en relâcha la grande majorité, juger un mouvement de foule était fort compliqué. D’ailleurs la procédure dura jusqu’en septembre 1791, pas de condamné car il y eut amnistie.
Le deux novembre on suivit le cercueil de Louis Morin, sa blessure à l’épaule avait fini par le tuer.
Finalement l’insurrection avait fait six morts et chacun retourna à son chez soi.
On nous expliqua à nous ce qu’il en était réellement de ces décrets, sans passion, sans colère. La cloche de Varaize qui avait sonné le tocsin fut descendue.
Les temps agités furent maintenant derrière moi, mes fils m’aidèrent, l’un devint cultivateur et l’autre cardeur. Ma vie de femme était terminée bien que plusieurs veufs me firent des avances. Ce n’était pas que je n’en avait pas envie de ces bonhommes, mais je n’en voyais aucun se couler dans la couche de Michel. J’allais maintenant régulièrement au cimetière.
L’insurrection n’avait servi à rien, des impôts on en payerait toujours et nous les pauvres n’avions pas pu bénéficier de la vente des biens nationaux. Les lots étaient trop gros pour nos bourses désargentées, mais nul doute que certains firent de bonnes affaires.
Je ne sus ce qu’était devenu ce foutu Laplanche, mais il y avait fort à parier que si je le croisais je lui cracherais au visage.
Varaize me servirait de tombeau et j’espérais rejoindre mon Michel au plus vite.
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Magdeleine Doussain veuve de Michel Boutinet est morte le 13 juillet 1817 en son village à l’age de 63 ans.