PAR LE REGARD D’UNE FEMME, ÉPISODE 9, LES YEUX DE LA VEUVE

J’avais beaucoup changé, j’en avais conscience, mon corps élancé d’autrefois ressemblait à un foudre de vin, mon cul que je jugeais si beau n’était plus qu’un amas de graisse qui ballottait au rythme lent de ma marche languissante. Ma poitrine fière et altière du temps de ma féminine et jeune beauté n’était qu’une cascade de plis monstrueux. Ce salmigondis de laideurs physiques m’entourait d’un nuage d’aversion pour mon moi. Je n’osais plus depuis un bon moment me regarder dans un miroir, j’y voyais un visage qui se mirait dans une onde trouble. J’y voyais un vilain fantôme mais je ne m’y reconnaissais plus.

Ma fille tout au contraire se paraît d’une suffocante beauté, bel héritage sans doute mais qui ne valait pas de bons hectares. Elle virevoltait autour du lit du moribond avec l’insouciance trouble de la jeunesse.

J’étais assise échouée comme un rocher au milieu de la rivière, grosse, des œuvres de celui qui geignait sur son grabat. Celui que je portais si il avait le bonheur relatif de vivre serait orphelin de père. C’était dès avant sa délivrance lui attribuer un certificat de pauvreté. Comment moi, grosse comme j’étais et lui si maigre de sa maladie qui maintenant l’enlevait ,avions pu une énième fois concevoir. Un vent de folie, un soir, une euphorie retrouvée après des années d’indifférence où une griserie éthylique. Un beau cadeau en vérité qui finirait par me faire crever. Mon mari me faisait la rude vacherie de partir lentement, chrétienne j’avais mis tous les moyens en œuvre pour qu’il vive, médecin et drogues. J’avais même été jusqu’à me rendre en ville pour trouver une pharmacopée qu’on ne trouvait pas ici. Nos économies avaient fondu comme de la neige au soleil. J’allais bientôt me retrouver sans le sou, presque le cul à l’air et je pressentais que j’allais me retrouver sous la coupe de l’insolente qui s’activait autour de nous dans un bruissement irrespectueux.

La veille encore, alors qu’on croyait que la vie allait quitter le corps de mon homme, elle avait reçu un galant devant la porte et lui avait offert l’hospitalité de sa bouche.

Dès que le vieux serait pourrissant dans la terre froide du cimetière, la digue de respectabilité serait rompue et elle croyait dur comme fer que faisant fi de toutes décences et de pudibonderie sa fille ferait entrer des garçons pour se livrer à une course effrénée de profits orgiaques.

Est-ce un cauchemar que de croire cela ou bien la projection d’un rêve qu’elle faisait . Celui de se donner à des hommes, de vivre libre en cocotte poudrée. Son imagination allait grandissante, au fur et à mesure qu’elle voyait partir celui qui l’avait eu vierge. Elle franchissait alors la porte branlante et crissante du cimetière, descendant d’une voiture pimpante tirée par un magnifique équipage. Son parfum évanescent recouvrirait celui odorant des fleurs sauvages qui croissaient dans les allées. Les paysans seraient médusés de la voir ainsi rajeunie, belle, hautaine bourgeoise en robe de taffetas. Elle serait accompagnée d’une troupe de jeunes jouvenceaux chapeautés et gantés, l’entourant comme une garde princière. Puis elle s’imaginait se donner à eux, l’un après l’autre avec la foule ébahie des villageois et villageoises qui se presseraient aux fenêtres en une curiosité érotique. Tout se bousculait dans sa pauvre tête, le mourant râlait son dernier son, le bébé héritier de misère lui mettait des coups de pieds et sa fille finalement sage priait au bout des colonnes ouvragées du ciel de lit.

Le gisant décharné en un dernier effort de volonté lui attrapa le poignet, elle sursauta, se surpris à réajuster sa pauvre robe en lieu et place de la somptueuse vêture que les galopins en rêve lui avaient soulevée. Elle fit l’effort de le regarder, lui, visage ressuscité en un dernier effort d’amour lui sourit. Cela effaça d’un coup des années de souffrance, comme l’eau qui purifie, ce dernier acte noya dans un flot tumultueux la haine qu’elle avait de lui.

Elle l’aima de nouveau et il lui sembla que son bébé par une violente manifestation fut d’accord avec elle. Elle appela sa fille et chacune tenant les doigts du mourant, lui témoigna un dernier instant d’amour.

Comme un vent qui balaye les feuilles mortes, comme une brise automnale qui éloigne les mauvaises odeurs stagnantes des marais bas, comme une crue déposant des alluvions nourriciers amenant une nouvelle vie, tout fut transformé, chamboulé, bouleversé. Ce fut par la mort une résurgence pour les deux femmes, un fleuve nouveau s’ouvrant sur une mer de bonheur.

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