PAR LE REGARD D’UNE FEMME, ÉPISODE 7, LES YEUX DE CELLE QUI PORTE

 

Le seau se faisait de plus en plus lourd au fur et à mesure que les semaines passaient, la corde grinçait sur la poulie de bois et chantait la mélopée qui depuis ma tendre enfance rythmait ma journée. Comme chaque jour, je criais quelques paroles absurdes et l’onde au fond du puits me répondait son écho. Péniblement le récipient de fer blanc réapparut et en ahanant je réussis à le mettre sur la margelle. Je me promis de demander à mon mari de faire cette corvée avant qu’il ne parte dans ses champs. La chose qui grossissait en moi s’agita, comme une remontrance il me faisait sentir le déraisonnable de continuer jusqu’au terme des travaux durs. Des coups de pieds qu’il me mettait, dans ma rage de souffrir je me promettais de lui rendre au centuple. J’avais une rage de désamour en moi occasionnée par cette chose qui poussait en moi presque à mon insu. Si j’avais pu trouver quelqu’un qui m’apporte la délivrance je lui aurais abandonné mon âme et aussi mon corps.

Cet enfant n’était pas la conclusion d’une conception voulue, je n’en désirais pas spécialement, mais le résultat d’une vie conjugale que l’on pouvait considérer comme normale. Nous avions encore la fougue des débuts, du moins lui et inévitablement la chose devait arriver. L’amour comme disait le curé est fait pour procréer et visiblement cet homme sans femme si connaissait assez pour avoir raison. Je ne savais réellement pas depuis combien de temps je portais, on m’expliqua que je devais compter après l’absence de mes menstrues, comme si je savais avec ces saloperies, comme une drôlesse je ne les avais guère régulières. Mon mari s’accordait à dire qu’il fallait que je ponde mon œuf après la moisson pour que cela ne la perturbe pas et qu’éventuellement j’y participe.

Ce couillon en avait de bonne, la nature, c’était la nature et il en savait quelque chose quand il me poursuivait de ses assiduités. Il viendrait quand il viendrait, en attendant je ressemblais à notre ânesse qui elle aussi allait incessamment mettre bas. Un ventre bas , une peau tendue comme une outre et des ridules bleues formant comme des écritures sur une page blanche.  Je souffrais le martyr et je me traînais comme une malade en fin de vie. La mère de mon mari venait tous les jours pour voir si j’allais bien. Croyez bien que  la vieille bique ne venait pas pour m’aider, loin s’en faut. Elle m’exhortait au travail et à la vaillance,comme un garde chiourme auprès des galériens enchainés. Je n’étais pas malade, une grossesse ne rendait pas grabataire. Puis elle enchaînait sur ses grossesses à elle et tous les jours j’entendais  » de mon temps , on faisait comme cela, de mon temps on faisait comme ceci. En fait c’est bien simple j’espérais un jour lâcher le morveux dans la cour pour qu’elle me foute la paix et que je ne vois plus son visage de spectre.

Puis sans cesse venait la question récurrente, un garçon ou une fille. Mon bonhomme comme tous les bonhommes voulait un garçon pour l’aider dans les travaux de la métairie. Comme-ci une fille n’aidait pas à la ferme. Un jour c’était si c’est une moujasse,   » jl’a fout au fumier », une autre fois, si c’est une drôlesse, elle va au puits. Moi je haussais les épaules, je m’en moquais comme de ma première chemise et j’accueillerais indifféremment l’un ou l’autre. Lors de la veillée, ma belle mère toujours elle, s’en donnait à cœur joie, pourvu qu’il ai pas le mauvais sang de votre famille, votre ventre ma fille est en pointe m’étonnerait pas qu’il naisse un petit à mon gars. Cette insinuation portant sur le fait  que l’enfant mâle qui naitrait, serait à mon mari me faisait doucement rire où  plutôt grimacer, j’étais prête à parier qu’il s’en désintéresserait comme toutes choses hormis sa terre cela va s’en dire. Il ne lui donnerait pas le sein, ne le bercerait pas et ne laverait pas son cul merdeux.

Mon bonhomme qui comprenait guère qu’on puisse être embarrassé d’un tel fardeau voulait poursuivre les galipettes conjugales. Cet idiot disait qu’il n’en était pas gêné. Moi la principale intéressée je n’en avais visiblement rien à en dire. Il me rétorquait de me laisser faire et que dame nature pourvoirait à tout. La nature n’avait rien à voir au fait que j’ai mal, je désirais  qu’il me foute la paix un point c’est tout. Si j’obtenais gain de cause en général sur tous les sujets, sur celui si mon mari avait le dessus et je dus me contraindre jusqu’à ce que lui même se rende compte de la difficulté.

Bref le plaisir de porter était réduit et j’avais hâte que que l’on envoie courir chercher le  »furgun ». Aucun sentiment de culpabilité ne m’assaillait sur ce manque d’entrain à être mère. Je l’étais un point c’est tout  et je me posais l’ultime question  de savoir si il était bien raisonnable de transmettre encore et encore notre misère récurrente. Mais je suivais  comme toutes et tous  le commandement divin   » Croissez et multipliez vous  », le curé le dimanche en faisait son crédo et nous menaçait si l’on se soustrayait à cette parole au pire châtiment. Sous ce prétexte évident nous ne pouvions guère nous soustraire à notre devoir de femme et les hommes peu respectueux en général des commandements divins, prenaient celui-ci au pied de la lettre.

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