PAR LE REGARD D’UNE FEMME, ÉPISODE 3, LES YEUX DE L’ADOLESCENCE

Maintenant que le temps s’était écoulé je me sentais bien moins libre, ma mère jouait le chien Cerbère, je n’avais plus le droit de sortir seule à moins que ce ne fusse vraiment motivé.

Fini le galvaudage avec mes oies qui me portaient par mont et par vaux à la découverte du monde. Je n’allais évidement pas loin mais ces moments ou je pouvais patauger pieds nus dans les flaques d’eau, faire bouger mes doigts de pieds dans la boue et où je pouvais observer à ma guise les gens qui m’entouraient; étaient pour moi comme la découverte du nouveau monde.

Je n’avais plus le droit non plus d’aller avec les garçons grimper dans les arbres pour voler les œufs des oiseaux, mère disait qu’une chrétienne ne montrait jamais la blancheur de ses cuisses, enfin elle ne me disait pas cela aussi doucereusement, son langage était cru. Finies également les baignades au ruisseau où les garçons nus comme des vers et nous en jupon nous délections des jeux de l’innocence.

Elle surveillait aussi ma tenue, col fermé, bonnet ou coiffe empêchant la course folle de mes cheveux aux couleurs des moissons . Moi qui aimait avoir les mouvements libres ma robe s’allongea un peu. Enfin après la messe je devais rentrer avec ma mère et ma sœur sans pouvoir sortir du sentier. C’était idiot toutes ces convenances car lors des gros travaux des champs tout se relâchait, les robes se relevaient, les corsages apparaissaient, les poitrines tressaillaient sous l’effort , les corps baissés des femmes et leur croupe levée attisaient le désir des hommes. Moi avec ma jeunesse je ne faisais pas exception bien au contraire et les garçons me serraient de très près. Pendant ce dur labeur ma mère se relâchait bien un peu et mon père pour une fois gentil la serrait tant qu’il pouvait sans nuire à la plus élémentaire décence.

Je le savais ce changement à mon égard était arrivé après qu’un matin dans l’étable un filet de sang avait coulé entre mes jambes. J’avais été bien étonné que du sang vienne de là et prise de panique je m’étais confiée à ma mère. Elle savait et m’expliqua confusément. Je compris que cette impureté, car c’en était une, était un pur paradoxe, une détestation qui revenait tous les mois mais aussi une bénédiction car c’était signe qu’on était point prise. Moi qui n’allait pas encore à l’homme je fis la distinction rapidement, cela me gênait considérablement. Mon apparence physique avait aussi changé j’avais poussé comme une mauvaise herbe. Papa disait que j’étais un vilain chardon et maman un lierre qui étouffait tout. Je dépassais tout le monde d’une tête et mangeait la soupe sur la tête de ma sœur aînée. Des mauvaises langues susurraient que j’avais plus la taille du cantonnier que de mon père.

Moi j’étais bien ennuyée de ma nouvelle allure, je ne savais que faire de mes grands bras et de mes grandes jambes, j’étais empruntée, godiche à souhait. A cela je rajoutais de multiples interrogations, pourquoi avais-je des poils là où je n’en avais pas et pourquoi je rougissais comme un coquelicot dès qu’un garçon entrait dans mon champs de vision.

Sur les choses de la vie j’étais d’une ignorance totale, certes j’avais vu des saillies animales mais je n’arrivais pas à transposer cela sur l’être humain et encore moins sur mon corps.

La simple évocation de tout cela me laissait dans un sacré tourment et la nuit quand j’y repensais des manifestations bizarres avaient lieu dans mon ventre. Ce n’était pas désagréable mais toute seule je m’en trouvais honteuse.

Je n’avais pas retrouvé un niveau d’intimité suffisant pour évoquer mes troubles avec ma sœur, quand à ma mère il n’en était simplement pas question.

Mon aînée ne dormait plus avec moi, mes parents lui avait donné une petite pièce servant de débarras. Elle s’était appropriée ce coin lugubre et elle s’y occupait de son petit.

Moi de mon coté je n’observais plus ma mère à son lever, l’admiration que je lui portais était bien passée, même si je lui conservais encore tout mon amour.

Cette passion maternelle s’était transformée en un profond respect même si il faut bien en convenir le plus souvent elle m’exaspérait par la surveillance étroite de mon intimité et de ma liberté.

Elle faisait sien le diction  » chat échaudé craint l’eau froide » par la faute de ma sœur qui avait eu le diable dans ses jupons. Je sentais bien que j’aurais le plus grand mal à secouer le joug parental.

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