LE VIGNERON DE L’AUNIS ET LE  » PHYLLOSELERA », LES CATASTROPHES

Sur les 860 habitants du village, c’est bien simple 250 se disent vignerons, tout tourne autour de cette maudite folle blanche. Chacun croit donc détenir la meilleure, chacun se hisse des pieds lorsqu’il fait découvrir l’essence de sa vie. Mais si cette eau de vie fait vivre , elle n’enrichit pas le plus grand nombre et sa faiblesse de complexion n’en fait pas un grand cognac.

Outre les vignerons eux mêmes qui en possèdent, il y a ceux comme moi qui investissent dans cet or liquide. Le meunier a les siennes, le marchand de vaches aussi, l’aubergiste ne manque pas également de vous faire goûter la sienne. Le curé pour sûr en a quelques pieds et bon nombre de veuves en ont sous leur jupon ce qui souvent les aident à se recaser.

Pour pouvoir se marier il faut pour sûr en avoir, pour pouvoir jouir d’une femme il est nécessaire de faire jouir la belle famille par l’adjonction de parcelles. La dot se compte en plants comme en paires de drap. Pour les filles il est plus sûr pour avoir un mari  d’avoir des vignes que son pucelage.On pardonne facilement quand l’héritière peut se prévaloir d’un bon rendement à l’hectare.

Un homme sans bien et étranger à la commune, n’est pas plus considéré qu’un mendiant. Il n’est là que comme main d’œuvre, ni plus ni moins qu’une mule ou un âne.

Au vrai  de ces vignes, il y en a tant qu’on ne sait qui les possède, entre ceux qui les travaillent et ceux qui les possèdent, chez notaire la frontière est mince. Celui qui en crève du matin jusqu’au soir est autant impliqué que celui qui en soutire des bénéfices.

Moi je fais travailler ma vigne par un vigneron voisin, je participe seulement aux vendanges. Ce qui ne m’empêche pas de venir tous les jours comme en pèlerinage. Ma femme va lustrer les sièges de l’église par la présence de son illustre derrière moi je prie pour une bonne récolte.

Si immémorialement la vigne est attestée, nous ne savons plus ici si nous appartenons au vignoble de La Rochelle, à celui de Surgères ou à celui d’Aigrefeuille, mais une certitude est que nous avons droit à l’appellation Cognac placée en bois ordinaire. Ce n’est pas rien nous en sommes fiers et le prix de la revente en est rudement améliorée

J’aurais tendance à dire que nous sommes à la frontière d’un vignoble qui se termine bien, que quelques arpents vivent une belle vie près de Mauzé sur le Mignon dans les deux sèvres.

Moi cela m’apporte du travail, à je ne sais plus quoi en faire, le village est animé du matin jusqu’au soir d’une bruyante fièvre. La vigne demande beaucoup de façons, donc beaucoup de temps. Les désavantages sont grands d’en avoir beaucoup, le déséquilibre est flagrant, on manque de grain et l’on manque de bétail. Pas assez de grains fait la fortune du port de Marans où transite  les blés du Poitou et le manque de bêtes engendre un déficit de fumure.

Or plus de vignes, moins de fumure, moins de fumure moins de vin, c’est  un cercle vicieux qui va sûrement disparaître car des sociétés proposent maintenant des engrais chimiques.

Pour la plupart d’entre nous cela reste un peu cher.

Il y a aussi le combat entre ceux qui échalassent et ceux qui laissent courir leurs vignes au sol. Le bois pour faire les échalas coute fort cher malgré la promiscuité de la forêt de Benon, mais il se dit que les rendements en sont bien plus élevés. Moi je préfère qu’elles restent au sol, au contact de la terre qui nourrit les racines, je suis sûr que le vin en est meilleur. Pourquoi changer de ce que faisaient nos ancêtres.

Nos eaux de vie se vendent bien sur le marché d’Aigrefeuille et de Surgères, mais il ne faut pas se méprendre, la richesse est loin d’être acquise car les agressions contre nos beaux plants sont  légions.

Il y eut d’abord l’oïdium en 1851 c’est un champignon qui aime l’humidité et les écarts importants de température, cela fit beaucoup de dégâts. Le traitement fut trouvé mais cela augmenta les façons des vignes. Si vous ne vouliez pas que cette saloperie vous vendange votre récolte il fallait soufrer, cela demandait de la main d’œuvre, mais si l’on était vigilants le mal pouvait être jugulé. Mais comme une maladie contagieuse, comme une épidémie chaque année il revenait. Dans le journal j’avais lu que certains vignobles septentrionaux avaient déjà disparus. Les vignerons n’aimaient guère appliquer ce soufre à l’aide d’un petit balai de bruyère qu’on trempait dans le produit.

Le danger était maîtrisé mais il se disait qu’un fléau venu des Amériques, bien plus redoutable était arrivé dans le midi, heureusement il ne semblait pas que le mal arriverait chez nous un jour.

Le soir quand je revenais chez moi j’étais satisfait, cela me laissait un peu de baume sur le cœur au milieu de mes incessants problèmes de trésorerie et de ma guérilla contre mon ennemi Gilles Tournier.

Ma femme qui ne manquait d’âpreté me fit remarquer que si j’avais porté autant d’attention à mes vignes qu’à mes affaires je n’aurais pas à me tourmenter.

Quelques semaines plus tard alors que je frappais sur une faux et que je suais sang et eau pour en faire un bel objet, j’entendis comme un bourdonnement, un coup de tonnerre. Le ciel n’y était pour rien, son tapis bleu d’une clarté de peintre ne laissait pas présager d’un orage. Alors cessant de battre le fer , je sortis sur le pas de ma porte et j’aperçus une foule qui parlait haut et fort. Le sujet de la discussion était son arrivée. Je ne percevais pas encore de quelle arrivée il s’agissait, mais en me rapprochant je compris vite. Ce que j’entendis me glaça d’effroi et un vent de panique me cassa les jambes. Je ne savais quel parti prendre, mais une certitude il fallait que j’aille voir.

Comme pour exorciser le mal je ne me rendais pas sur ma parcelle mais sur celle où le mal était apparu, je courus donc jusqu’au fief du Gué. Il s’y trouvait déjà du monde, le maire, le propriétaire, le principal négociant et une foule de petits possesseurs. Je connaissais tout le monde et on me salua de la tête. Tous constataient la même chose et le visage d’un vieux au visage torturé, lui apparut ruisselant de grosses larmes. Toute une rangée de ceps, avait perdu ses feuilles, les plantes semblaient mornes, mortes sans qu’on puisse même envisager un traitement ou un soin. L’on se dévisageait,, aucune autre parcelle n’était touchée, mais nous savions ou du moins en avions entendu parler que l’attaque suivante viendrait à coté où peut être ailleurs.

Le mal semblait être venu du midi et du Médoc, un abominable puceron de couleur jaune, visible à l’œil nu. La femelle du monstre pond un œuf en hiver sous l’écorce d’un cep. Il en éclot un phylloxéra femelle qui s’appelle la fondatrice. Cette dernière sur une feuille pond à son tour 500 ou 600 œufs, c’est rapide car cela se fait en trois semaines. Tous ces phylloxeras nouvellement nés sont dit gallicoles car ils mangent les feuilles. A ce stade les vignes ne meurent pas mais au rythme des pontes qui se succèdent les premiers arrivés deviennent radicoles et migrent vers les racines, sans être encore devenus adultes. Il le devient en trois semaines et pond à son tour sur les racines. La bestiole pullule et certains phylloxeras remontent à la surface et deviennent ailés. Ils ne sont guère bons dans l’exercice du vol mais le vent les disperse et les dépose sur d’autres vignes qui peuvent être éloignées de dizaines de kilomètres. Ces phylloxeras ailés se posent sur les souches et pondent des œufs. Il y en a des femelles et d’autres des mâle.  Il y a accouplement et de nouvelles femelles pondent dans l’écorce du cep. L’insecte est assez compliqué et laisse le paysan ignorant assez perplexe, pour combattre un tel fléau il faudra des scientifiques.

Bien évidement ce sont les piqûres sur les racines qui provoquent la mort du pied. Il paraît que les vignes américaines résistent au mal. Pour les nôtres, le résultat fut  catastrophique, ces foutues bêtes avec leurs ailes pouvaient sauter d’un vignoble à l’autre, sauter d’une parcelle à l’autre, rien n’était sûr , rien n’était immuable.

LE VIGNERON DE L’AUNIS ET LE PHYLLOSELERA, L’HOMME ET SA VIGNE

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