
LE VIGNERON DE L’AUNIS
André venait de passer la cinquantaine et ses muscles, en fin de journée le lui rappelaient « assez ». Il posa son marteau à proximité de son enclume là où depuis longtemps en un geste coutumier il le posait toujours.
Le dernier client venait de sortir et les braises du feu rougeoyaient encore d’une belle couleur rubis .Il était proprement épuisé et sa morosité en était exacerbée.
Sa femme Élisabeth qui n’entendait plus les coups répétés des outils, montra sa tête à la porte mi close de l’atelier. C’était à elle aussi son rituel, voir si son mari allait bien et lui témoigner son amour par sa seule présence. Un simple sourire et pas de mot échangé suffisait à son bonheur.
Cela énervait bien un peu André de voir tous les soirs les jupons de sa femme, mais intérieurement cela le réchauffait de tous ses tracas.
Cela faisait un quart de siècle qu’il avait fait choix de venir s’installer ici .A l’époque ce petit village d’Aunis était en plein développement. Comme là bas aux Amériques, une fièvre s’était emparée de la population. Ce n’était pas l’or jaune et minéral de la Californie qui coulait ici mais l’or blanc liquide et limpide. Les tonneaux s’en remplissaient, alimentés par une source intarissable.
Même si il regrettait les rives de sa Sèvre Niortaise , l’enchevêtrement des marais, la couleur verte des eaux et les plates qui glissaient au rythme lent des pigouilles, il s’était fait à la monotonie du paysage de la plaine d’Aunis et avait appris à aimer ce paysage sans relief.
Au fil des années il s’était fait une clientèle et avait arrondi son bien de quelques terres. Lui qui n’avait jamais vécu d’aucune pratique agricole, c’était fait fort de pouvoir dire que lui aussi suait sur quelques pièces de terre ingrate.
Son père cordonnier l’avait élevé parmi les senteurs de cuir et lui avait fait siennes des odeurs du feu et du fer. Mais le plaisir procuré par les senteurs fortes de sa forge ne compensaient pas sa frustration de ne pas s’être constitué un ensemble viable de vignes.
Il aimait pour sûr son travail mais ses ceps l’attiraient comme au temps de sa jeunesse l’aurait attiré une femme. C’est certain une maitresse ne lui aurait pas demandé plus d’attention. Au moment des vendanges il supputait la rondeur de son futur vin comme un amoureux imaginerait les rotondités de sa future amante.
Sa femme le traitait de vieux fou, elle l’avait gouté son vin, c’était une effroyable piquette.
Lui n’en connaissait pas de meilleur et c’était des discutions sans fin à l’auberge pour savoir d’où venait le meilleur. Lui disait que le fief de Mille Écus était largement supérieur, cet idiot de Raimond disait que le vin tiré du fief David valait lorsqu’il était complanté en Chauché, celui d’un très bon Bordeaux et les malfaisants qui avaient leur terre sur le fief du Gué ne reculaient pas devant la gageure de voir leur parcelle comme un clos bourguignon.
Chaque soir à la belle saison lorsque les rayons du soleil étaient encore assez hauts, il partait visiter ses terres. Comme un seigneur l’eut fait avec son régisseur ou un bourgeois avec son fermier, mains dans le dos, chapeau rivé sur la tête, les sabots glissant dans la poussière grise ou la boue du chemin, il s’en allait inspecter ses vignes.
Rien, pas même un cataclysme, pas même une guerre n’auraient pu l’en détourner.
Il surveillait le vigneron qui lui travaillait ses vignes comme il s’zyeutait son apprenti. Il piquait de belles colères comme si sa vie en eut dépendue.
Il en avait déjà changé plusieurs fois, rien n’était assez bien fait pour ses beaux ceps.
Il prit à gauche en sortant de chez lui, remonta en direction de la route qui menait à Bouhet, puis au carrefour prit en direction de Mille écus où plus précisément se dirigea vers le treuil et le fief de Mille écus.
Une haie haute et touffue lui masquait encore la vue de ses parcelles. Ce mot fleurait bon la propriété mais ne cachait pas la petitesse de cette langue de terre coincée entre d’autres langues de terre. Ce n’était peut être rien, mais pour lui comme pour beaucoup d’autres ces morceaux de mosaïque valait plus que de l’or.
Enfin elles lui apparurent, 0,27 hectares, une piètre immensité qui n’était pas à l’échelle de sa fierté.
Sa deuxième merveille était un peu plus loin 0, 22 hectare, il aurait aimé que tout soit d’un seul tenant mais cette chance ne s’était pas présentée. Il eut mieux fallu que chaque possesseur rassemble tous ses lambeaux mais en la matière tous pensaient que son morceau vallait mieux et qu’il n’était pas interchangeable.
De mémoire d’homme il y a avait toujours eu des vignes au Gué d’Alleré, pouvait-on pour autant les faire remonter à l’antique vignoble médiéval de La Rochelle ou plus simplement à des poussées d’expansions plus tardives.
En ces temps immémoriaux autour de la Rochelle ce qui n’était pas marais était vigne. Pas un bourgeois qui ne possédait de parcelles, le port bruissait des tonneaux qui partaient vers les pays du nord. Pas une fortune se faisait sans ce négoce juteux. Pour être riche derrière les murs protecteurs de la jeune ville il fallait faire dans le sel et dans le vin . Le vignoble s’étendait loin et chaque paroisse s’en enrichissait. Les vignes comme les terres ne faisaient pas exception et n’appartenaient pas à ceux qui les cultivaient, les abbayes, les nobles et les gros bourgeois des villes les possédaient toutes.
En ce temps de félicité le noble vin de rupella se composait de vin blanc chemère et de cépage rouge chauché. Le premier, merveille au palais se vendait facilement en Angleterre et en Flandre. Avec le deuxième l’on faisait du vin gris c’est à dire du cépage rouge vinifié en blanc dont les Anglais étaient friands et bien sûr un petit vin rouge consommé sur place par les possédants de la ville.
On dit même qu’avec le mélange des deux, les vignerons concoctaient un vin rosé qui bien sûr n’abreuvait que les papilles locales.
Maintenant que le temps a passé nous n’en sommes plus à de rares exceptions à ces nobles cépages, le vignoble a pris son envol, le rendement prédomine, les vignes recouvrent tout, c’est la folle blanche qui maintenant prolifère, les rendements sont excellents et le vin qu’on en tire fait merveille pour la distillation.
Fort rendement, faible degré alcoolique voilà qui est parfait, on distille à tour de bras , le marché est gigantesque, pas de village sans négociant. Le gué d’Alleré ne fait pas exception, de belles maisons bourgeoises s’élèvent, des fortunes se forment, tout le monde en profite, chaque paysan est maintenant vigneron. Le travail est dur , on ne devient pas riche mais on s’en tire. Les plus mals lotis se vendent au plus gros pour compléter leur revenu. La propriété est morcelée et certains n’ont qu’un rang de vigne pour subsister.
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