
Au matin elle eut du mal à se lever, elle entendait ses maîtres et se doutait qu’elle allait être réprimandée pour n’être pas au garde à vous lors de leur lever.
Sa tête lui tournait un peu, son ventre et son bas ventre étaient unis en une même douleur. Elle se cramponna au lit et s’examina dans la glace de son armoire. Son visage était celui d’un gisant, des vilaines cernes marquaient comme un fer rouge une nuit tourmentée. Elle avait du sang plein les cuisses et dut se laver avec le peu qui lui restait dans sa cuvette. Elle s’habilla et gaillardement se rendit auprès de ses patrons. Elle essuya comme de juste des réprimandes mais aucun ne s’inquiéta de sa pauvre figure. Elle se traîna toute la journée et faillit s’écrouler en cours d’après midi.
Jusque là elle n’avait pas pensé, pas réalisé les événements de la nuit, mais son cerveau qui lui avait fait grâce de tout, la mettait soudain en face de la réalité.
Oui elle avait bien accouché dans la nuit, seule, comme une vagabonde, une orpheline, comme une pestiférée.
Pourquoi avait-elle nié la réalité? qu’avait-elle fait de mal? Ce fruit qui gisait au fond de son lit était le fruit de l’amour, pas celui d’une épouse à son mari mais celui d’une femme à un homme.
Chacune de ses fugues nocturnes avait été un moment d’ultime bonheur, son corps de femme avait fait corps avec celui de son amant, il n’y avait rien à redire la dessus.
Elle devait aller à Lissy chez ses parents, dire tout, raconter son aventure, revenir en arrière.
Mais d’un seul coup la terrible gueule de sa patronne, hydre à deux têtes, sorcière des bois la fit revenir à son idée de mutisme. Jamais elle n’oserait affronter la réalité.
La Émilienne lui planta une première banderille en lui disant ma fille vous avez une sale tête, l’on dirait que vous venez de mettre au monde.
Elle eut alors l’impression que la vieille savait tout, qu’elle s’était cachée dans la chambre qu’elle a tout vu et qu’elle avait tout raconté au vieux.
Mais non ce n’était que fugace impression, il vous faut dormir ma belle, jamais vous ne trouverez un mari avec votre visage de mourante.
Louise pénétra à petit pas dans sa chambre, elle fut accueillie par un silence sépulcral. Ce fut du moins son impression, car pourquoi y aurait il du bruit ?
Si elle avait vaincu sa première journée, il lui restait à vaincre sa première nuit. Elle ne savait plus trop ce qu’il s’était passé, elle avait fait abstraction, ne se souvenait de rien.
Elle se déshabilla, s’apprêta à se coucher. Elle vit soudain que sa chemise était toute maculée, ensanglantée. La mémoire lui revint soudain, l’enfant, ou plutôt la chose qui lui avait coulé le long des jambes cette nuit. Ce fut l’effroi, la stupeur, la peur l’angoisse, elle recula mais quoi faire, où aller. Il y avait bien sa mère, ou bien madame, mais non , elles ne comprendraient pas, c’était trop tard. Il fallait demander de l’aide cette nuit, appeler, hurler, crier.
Mais le bébé où était il, elle chercha vainement partout. Il n’ y avait rien, aurait-elle cauchemardé, non sa chemise était une preuve, alors peut être ses règles, oui c’est cela , cela faisait longtemps qu’elle ne les avait pas eu. Alors elle se coucha, étendit ses jambes pour se préparer au sommeil, elle rigola de sa bêtise, son imagination lui avait joué des tours, elle n’était qu’une idiote, demain cela ira mieux
Mais soudain elle sentit quelque chose au fond du lit, elle tenta d’étouffer un cri de terreur. Elle ne sut, si de la chambre voisine on avait pu percevoir ce grondement de malheur.
Non ce n’était pas ses menstrues, elle se rappela maintenant. Un enfant, lui était né. Mais ce n’était pas possible, elle n’en voulait pas, alors elle ne bougea plus, tétanisée. Aucune idée ne lui vint, aucune pensée, aucune réflexion, elle se recroquevilla comme lorsqu’elle était petite et que sa mère la corrigeait. Puis comme une bête, elle s’endormit, mais son sommeil fut peuplé de gnomes, d’elfes, de nains, et d’être hydrocéphales. Le jour n’était pas levé que déjà elle était debout, elle se chassa de cette chambre, elle se chassa loin de cette chose qui au fond de son lit la narguait.
La journée fut terriblement longue, Louise était morte de fatigue, pale comme la mort, ses patrons la pressaient, l ‘houspillaient. Elle se refusait à manger, manqua plusieurs fois de s’écrouler. Son esprit marchait au ralenti, elle était perdue, elle pleurait maintenant dans la cuisine. Un mauvais pressentiment l’obsédait, mais sans pouvoir lui donner une apparence ou un semblant de réalité.
Le soir dans le couloir, sa patronne lui dit, » ma fille demain vous aérerez votre chambre, cela pue »
Elle avait compris, enfin elle identifiait le problème, oui dans la chambre il y avait comme une odeur douceâtre. C’était un fumet léger, mais presque écœurant. Jusqu’à présent dans les tréfonds de sa pensée débile elle aurait pu croire qu’une vie était restée dans l’être de chair qu’elle avait expulsé de son ventre. Oui maintenant elle savait que cet enfant qui aurait pu devenir la chair de sa chair se transformait rapidement en une pourriture immonde.
L’INFANTICIDE DE LA MARE, ÉPISODE 1, L’AMOUR AU CLAIR DE LUNE
L’INFANTICIDE DE LA MARE, ÉPISODE 2, LA FAUSSE DÉLIVRANCE