LE BÂTARD DE LÉONTINE , ÉPISODE 8, l’odieuse différence

D’emblée le patriarche le rejeta, quantité négligeable qu’il ne pouvait toutefois pas jeter au fumier.

Léontine allaita le temps minimum au sevrage du petit rouquin puis chercha un moyen de s’en débarrasser. Il est vrai pas de gaîté de cœur, mais contrainte par l’impossibilité de travailler avec un chiard à s’occuper.

Ce fut Célina qui prit l’enfant et lui apporta enfin un peu d’amour.

Pascal à l’église au milieu de la foule paysanne qui se paraît d’une conscience en accompagnant la défunte remarqua une femme qui lui rappelait des souvenirs.

Elle avait bien changé depuis le temps lointain de leur jeunesse mais la profondeur de ses yeux gris la faisait indubitablement reconnaître. Elle aussi le fixait de son regard perçant, c’était agaçant, troublant et une haine sourde faillit submerger Pascal.

Un flot d’émotions remonta à la surface de sa mémoire, des souvenirs qu’il avait voulu enfouir à jamais. Après que Célina sa tante l’eut confié à Etiennette sa grand mère, le petit roux prit conscience que jamais il ne serait à sa place nul part. Les sarcasmes et les avanies des autres enfants se faisaient plus durs au fur et à mesure qu’il grandissait. Un jour en rentrant de l’école il se vit entouré par une ronde de gamines qui dansèrent la farandole autour de lui. Cela n’aurait pas prêté à conséquence si une grande bringue aux yeux d’acier n’eut décidé de punir le garçon de sa couleur de cheveux. Elles se jetèrent sur lui et promptement le déculottèrent. L’une d’elle une grasse fille de laboureur attrapa par le revers une brassée d’orties et lui en frictionna les fesses.

La correction était inique et le petit dû pour survivre enfouir cette humiliation au plus profond de lui .En présence de l’une de ses tortionnaires un flot de tristesse remonta et des larmes lui vinrent.

On attribua ce flot lacrymal à la disparition de sa mère. Seule la troublante au regard maléfique sut ce qu’il en était.

Enfin les litanies du curé cessèrent et l’on sortit du saint édifice.

Le balai des mariages recommença dans la famille, Léontine l’aînée du deuxième lit ne trouva donc pas preneur pour les raison que l’on sait mais Joséphine la suivante s’enticha du beau Jules, encore une fois dans la famille c’était une servante qui épousait un domestique, une fille de journalier qui se mariait avec un fils de journalier. Il ne pouvait en être autrement dans la structure impénétrable de cette société paysanne marquée par les siècles.

L’événement qui marqua ces années là fut la disparition du vieux François.Vieux dans le sens qu’il était le chef de famille car finalement il n’avait que soixante quinze ans.

Étiennette fut débarrassée de la tyrannie de son mari et put prendre son réprouvé de petit fils. Au niveau matériel cette femme vieillissante fut plongée dans les abysses de la misère mais sans qu’une aide lui vint des siens elle releva la tête et se maintint dans une dignité de veuve irréprochable.

Le deuxième mariage de la couvée d’Étiennette fut celui de Marie Louise Bernadette. Elle ne fit rien de bien extraordinaire car comme sa sœur elle se maria avec un domestique du nom de Benjamin , même profession, même lieu et même famille car Benjamin n’était autre que le frère du beau Jules.

Il serait fastidieux d’énumérer la longue liste des mariages de la famille, tous sans exception se marièrent dans un rayon de 15 kilomètres de leur lieu de naissance. Tous furent des domestiques de ferme et épousèrent des servantes. Ils convolèrent tous avec des Vendéens et des vendéennes et moururent tous à une exception près dans le canton qui les avait vu naître.

L’hôte de Léontine ou son patron ou son frère comme l’on préfère en plus jeune de la lignée s’est marié le dernier. Pascal Hippolyte épousa Henriette en 1922 à Nieul le Dolent. Il est à noter que cette localité vit le mariage de sept enfants sur treize de François Ferré. Seule la maudite au ventre souillé ne se maria pas.

L’exception fut Joseph qui s’exila comme beaucoup de vendéens en Charente à l’ombre vénérable du château de Verteuil et bien sûr ceux de la famille qui payèrent tribut à la grande guerre à savoir Augustin et Auguste morts tous deux en 1917.

Sur le chemin qui menait au cimetière l’on vit une patrouille allemande qui avec déférence salua la passage de la morte. Les envahisseurs qui n’étaient pas encore en proie aux affres d’une résistance qui tardait à venir, étaient encore joviaux. Certains du convoi, dont son oncle, leur rendirent un salut poli.

Il est vrai que bon nombre de paysans en échange de cigarettes fournissaient quelques gras morceaux de cochon et que quelques belles paysannes miraient avec envie les beaux officiers.

Pascal en réprimé, en délaissé admirait ces soldats du nord mais au grand jamais ne les avait approchés.

Tout maintenant lui revenait, ses constantes bagarres où il sortait perdant à chaque fois, les humiliations auprès des filles qui ne voulaient pas de lui comme cavalier.

Toujours seul, en marge il grandissait, bientôt le service qui le verrait partir loin.

Le conseil de révision arriva, il se retrouva avec d’autres dans la mairie du lieu. Un docteur, un officier, un gendarme et le maire.

Tous à poil que c’en était risible, des petits, des grands, des forts , des maigres. Pascal, roux comme un chat maudit était de loin le plus petit. Il avait beau instinctivement se hausser sur la pointe des pieds rien n’y faisait et sa taille lui faisait une particularité de plus. Les mains serrées tentant de cacher leur sexe ils avançaient à la queue leu leu. Lui en terme de toison pubienne avait le poil éparse d’un roux flamboyant. Il était évident que toutes les filles du canton serait au courant et que les détails anatomiques du bâtard  feraient l’objet de toutes les discussions.

Puis ce fut la toise, les mains le long du corps le sexe mou pendouillant comme une croix sur un cou de bonne sœur, un mètre cinquante quatre. Pour sûr il était rachto, la pesée n’arrangera rien.

Le docteur en homme savant lui soupesa les parties pour voir si l’ensemble ne portait pas d’incohérence, visiblement cela fut satisfaisant.

Mais le verdict ne tarda pas, réformé pour rachitisme.

Fini les railleries, les coups, les moqueries, l’indifférence, tous seraient oubliés face au cataclysme qui l’ensevelissait. Sa seule chance de normalité s’envolait d’un coup, une toise, une balance et c’en était fait de ses espoirs.

Il fut le seul recalé et se vit refuser de faire la tournée des conscrits avec les autres. Nous étions trois ans après la fin de la der des der et le culte des héros guerriers ne faiblissait pas. Bâtard, roux malingre et réformé, les perspectives de bonheur tournaient à l’orage automnal.

La suite ne fut que la continuation de ses malheurs, il ne se maria point et n’eut comme seule aventure qu’une prostituée de La Roche sur Yon.

Le trou était fait et en grinçant la boite fut déposée aux moyens de cordes au fond du trou glaiseux.

Encore une prière que personne n’écouta, puis en un défilé bien réglé tous jetèrent une poignée de terre symbolique.

Pascal resta un moment à voir disparaître sous la pelle du fossoyeur les restes bientôt pourrissant de sa mère.

Il était orphelin mais avait-il eut une mère?

A la sortie du cimetière elle était là, grande majestueuse, grasse, la poitrine ample des femmes de quarante ans. Elle respirait le bonheur, l’amour. Dans ses yeux d’aigle Pascal sembla voir une invite. Enfin il n’était plus le petit rouquin déculotté, le militaire recalé, le bâtard sans père, l’homme sans femme. Il était grand, brun, fort, expert en amour, Casanova du bocage.

Il la voyait nue, offerte, repentante de l’humiliation qui l’avait fait souffrir. Oui il était en cet instant magique un peu heureux.

Mais comme tous mirages, l’illusion prit fin, elle lui tendit la main et lui dit au revoir le petit rouquin.

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