LE BÂTARD DE LÉONTINE , ÉPISODE 6, le rouquin

 

Avant que le deuxième mariage des filles du premier lit n’arrive, Étiennette avait accouché de trois autres enfants. A ce rythme c’est sûr elle allait battre la Rose, enfin si elle ne mourait pas à la tâche.

Joséphine Victoire, Auguste ,Clément, Benjamin, Augustin, Henri Pierre, le père songeait déjà à se séparer de sa première Léontine, elle n’avait que sept ans mais jugeait -il, elle était bien solide et gaillarde. Heureusement Étiennette s’y opposa mais ce n’était que partie remise, l’ancêtre était tenace et portait les chausses en son ménage.

Ce fut donc Célina Aglaé Célestine qui en 1884 à Saint Flaive épousa le Louis Joseph , comme ses frères et sœurs elle était domestique.

Servante dans la famille du propre promis, la chose eut du mal à passer, le fils l’avait rencontrée chez son oncle à la ferme du Calvaire et en était tombé éperdument amoureux. Tomber amoureux était une chose, mais faire entendre raison à la famille en était une autre.

Les choses finirent par se faire, mariage il y eut, l’installation se fit chez le père du marié au Migné sur la commune du Girouard.

Les premiers enfants du couple ne tardèrent pas rejoignant les naissances de leurs nouveaux oncles et tantes qui continuaient gentiment à venir du ventre fertile de la belle mère Étiennette .

Puis ce fut Clémentine qui convola , elle pour sûr comme les autres membres de la famille était domestique. Lui sortait d’une famille de cultivateurs de Sainte Flaive les Loups, pas de quoi pavoiser en terme de richesse , mais tout de même la demoiselle de Chaon était fille de pas grand chose.

Nous étions en 1887 et décidément les enfants de la famille s’unissaient, le premier garçon à le faire fut Joseph François Aimé que tous appelaient par le dernier vocable.

Il n’y eut aucun problème Joséphine  était servante et lui domestique. Il n’avait plus tous les deux qu’à se construire une vie.

Il y avait donc quatre enfants sur les six vivants qui étaient maintenant mariés, ils l’étaient dans un rayon de dix kilomètres de leur lieu de naissance.

François qu’en à lui, avait déjà cinq enfants de sa deuxième femme, mais qu’on se rassure, sa politique de placement continua , Léontine fut placée et l’on cherchait activement une place pour Joséphine Victoire âgée tout de même de neuf ans.

Il est à noter que Louis, fils du premier lit et âgé de 22 ans vivait avec son père et ses demis frères et sœurs, ce qui est une première interaction entre les deux fratries qui ne sera d’ailleurs pas très fréquente.

Enfin la caisse fut chargée sur le corbillard de la commune, c’était une nouveauté que ce beau transport, autrefois l’on partait dans les carrioles de la ferme. Simple dans sa conception , peu orné, il imposait tout de même un air de majesté et de solennité.

Léontine aurait été fière de voyager en si beau appareil. Le cheval, qui lui traînait la noble voiture visiblement était fatigué. La bête qui normalement faisait office, avait été réquisitionnée par nos vainqueurs du moment.

Elle s’énervait et piétinait en lâchant à profusion d’odorants crottins qu’heureusement l’on recueillait dans une poche bien placée.

Les convives s’impatientaient aussi un peu et le cortège avait du mal à se former, bien sûr François était devant . L’oncle et sa femme en maître de maison prirent la direction des opérations, fiers en eux même d’avoir hébergé la morte. Mais plus que frère n’était-il pas le patron de cette servante aux petits pieds. Mais Sidonie la sœur cadette se haussait et caquetait afin d’obtenir les premiers rangs.

Tout le monde s’en foutait comme d’une guigne et la peste fut au première loge.

Puis l’on se posa la question de savoir si la vielle Clémentine pourrait suivre, elle pleurait que non, son fils habitué à ses jérémiades disait que oui. Finalement l’on ne prit pas de risque et on la monta avec peine dans une charrette d’où bientôt partit la litanie des vieilles qui trouvaient que dans leur temps!!!

Un cousin éloigné vint serrer la main à Pascal en lui disant bonjour le rouquin. Ce dernier se renfrogna et murmura une insulte inintelligible à l’oreille.

Il avait horreur qu’on le nomme ainsi et à chaque fois cela le replongeait dans une période de sa vie des plus douloureuses.

Depuis que sa mère, la morte Léontine lui avait fait le mauvais cadeau de le faire naître, il était la cible privilégiée de sarcasmes, de moqueries, d’insultes et de sévices.

Tout avait débuté lors de ses premiers pas à l’école communale, la couleur tranchée de ses cheveux pourtant presque rasés, jurait sur le brun terne de la majorité de la classe.

On lui fit immédiatement comprendre que cette importune couleur s’accompagnait d’une odeur plus forte que le fumet habituel qui émanait d’enfants qui ne voyaient l’eau que le dimanche pour la grande toilette.

Lui ne sentait rien, enfin ne se sentait pas, mais puisque tous le disaient, il s’en ouvrit à sa mère .

Léontine qui avait d’autres chats à fouetter lui envoya un soufflet. La messe était dite, il puait et sa mère s’en moquait. Il s’aperçut aussi qu’on considérait qu’il portait malheur, là il ne voyait pas bien, mais chaque jour le maître d’école devait forcer un élève à s’asseoir à coté de lui.

Il en souffrait bien évidement et chaque jour buvait ses larmes. Chaque jour une nouvelle avanie, son cartable disparaissait, son repas se retrouvait par terre, sa plume était cassée, son encrier renversé. Dans la cour de récréation c’était bien pire, on le chahutait, les plus grands le tenaient et lui faisaient une savonnette sur la tête. Il n’osait de peur d’être arrosé, aller aux toilettes. C’était cruel, mais il en avait pris son parti, il était le rouquin. Puant, portant malheur et porteur de tous les maléfices , François vécut sa jeunesse en marge de la jeunesse des autres, mais comme un malheur n’arrive jamais seul, il eut bien d’autres peines.

 

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