
Chez le vieux François à ce qu’il se racontait, les enfants ne vivaient guère que leur petite enfance au foyer. Vers l’age de huit ans, morve au nez et merde au cul le père les conduisait sans sourciller vers leur destin. Rose la mère pinçait un peu du bec, se surprenait à essuyer une larmichette, mais n’ayant guère voix au chapitre acceptait finalement l’inéluctable séparation. Rose avait donc souvent le ventre rond, mais lorsque naquit son dernier les autres étaient déjà partis.
Bien sûr les marmots n’étaient pas envoyés à Bab el oued, ils usaient leurs sabots dans les métairies des environs de Poiroux, Saint Avaugourt et Aubigny. La mère les apercevait au loin et le père discrètement se renseignait sur leur docilité de servante ou servant, ils n’étaient donc point abandonnés, la surveillance familiale se faisait malgré tout.
Non loin du lieu où se tenait la veillée, deux allemands en vareuse accompagnaient un cheval à l’abreuvoir.
Pascal ne put s’empêcher de les trouver bien vaillants, grands, halés, jeunes et musclés, ils représentaient l’arqué-types de l’envahisseur venu du nord. Il se demanda comment lui, aurait pu en étant mobilisé arrêter cette fière jeunesse.
Lui qui avait été recalé au conseil de révision il y a vingt ans, une administration débile et dépassée lui avait demandé de rejoindre en 1940 un dépôt.
Pour sûr il ne s’était pas déplacé et le désordre ambiant avait fait qu’on l’avait oublié.
Georgette coulait quant à elle des regards plein de concupiscence à ces guerriers. Certes elle les détestait en temps qu’ennemi mais la femme qui coulait en elle ne dédaignait pas de boire leur corps du regard.
D’ailleurs de ces beaux guerriers du départ il n’en restait plus guère, remplacés par des plus vieux, des pères de famille. Eux, ceux du départ envoyés en Russie étaient allés mourir pour le grand Reich et leurs os amendaient les terres rouges des soviets leurs ultimes ennemis.
Cela faisait un peu rire Pascal de voir que les Allemands qui s’étaient jetés sur nous avec le feu, le fer et le sang étaient encore largement tributaires des chevaux et que conquérants et assujettis nous fassions les mêmes gestes.
François poursuivait donc sa vie de labeur en compagnie de sa belle Rose, mais de tribulations en fredaines, de petits coups en grandes cuites les affaires périclitèrent.
Plus de métairie mais la location de ses bras, plus d’amour mais de l’habitude, plus de tendresse mais des coups, une vie que Rose tendait à rejeter.
Le combat ne fut plus long pour elle, elle mourut à l’age de trente sept ans, seize ans de mariage et neuf enfants, la moyenne était bonne.
Le mari pour sûr en fut attristé, on aime toujours un peu ceux que l’on fait souffrir. Il rappela au près de lui son aînée Exavérine.
Cette dernière presque autonome en épreuve, dut maintenant devenir une mère pour ses frères et sœurs, Louis 5 ans, François 2 ans, Clémentine 6 ans.
Elle avait douze ans, largement l’âge d’être une femme d’autant qu’elle venait de les avoir une première fois ce qui confortait le père dans l’idée qu’il faisait bien.
Il n’empêche qu’il lui faudrait trouver rapidement une autre domestique afin tout de même qu’en plus de tout, ses sens soient comblés.
Les trois autres enfants du couple restèrent chez leur maître, pas de bouche inutile chez François .
Pascal en invité principal qu’il était, retourna à la veillée, lorsqu’il rentra, il vit que sa mère avait changé d’aspect. Les traits lisses et reposés qu’elle avait au moment de son départ et qui avaient pu la faire passer pour une femme à marier, laissaient place à un masque presque grimaçant, antichambre d’une frayeur extrême.
La tante Clémentine ne dénia lui adresser une parole ni le gratifier d’un regard. Le cousin Auguste en profita pour quitter la pièce laissant un silence de catacombe entre la tante et le neveu.
Pascal profita en se gardant de regarder la morte et la vieille de se remémorer ce qu’il avait pu glaner comme renseignements sur sa famille.
Rose était donc morte et une partie des enfants placée, François resta un moment sur Nieul le Dolent.
Il avait raison car une femme se faufila dans sa couche et nous l’espérons dans son cœur.
Elle s’appelait Étiennette , pauvre, sans famille, n’ayant que son corps de femme pour séduire et sa force de travail pour se faire apprécier.
Sûrement née d’une fille de rien, enfant de l’hospice sans père ni mère. Une fille perdue, un ventre à maître, un cul à valet, sans le sou, sans appuis familiaux, bref une moins que rien qu’on ramasse au ruisseau.
L’avantage pour le François qui n’était plus un perdreau de six semaines c’est qu’elle avait dix neuf ans de moins que lui. La stupeur est sans doute passée sur le village mais notre fier à bras n’en avait cure. Il lui offrit un semblant de stabilité sociale, elle lui offrit sa fleur. L’échange fut-il bon? C’est sans doute un mystère noyé dans le méandre des âmes et des sentiment cachés.
Elle n’était plus si jeune, son âge de vingt sept ans la rendait apte au mariage. Il était même grand temps car le beau fruit pouvait devenir mûr puis blet.
Après le mariage le couple s’installa au Girouard.
François se débarrassa de toute sa primo géniture, le sang de Rose ne devait pas côtoyer le sang d’Étiennette.
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