LE BÂTARD DE LÉONTINE, ÉPISODE 3, la vieille Clémentine

François le grand père et sa belle Rose coulaient donc des jours heureux dans leur métairie de l’Érautière.

Rose pour sûr comme toutes ses semblables se serait bien passée de ses multiples grossesses. Cela lui rendait l’acte insupportable, alors que sans cette contrainte de taille, elle aurait pu s’en délecter.

Son mari qui par mariage, l’avait possédée, l’avait choisie pour diverses raisons et  la satisfaction de ses besoins primaires, en était une.

Il ne la laissait guère tranquille et de ses gros doigts, comptait les jours du retour de couche et des relevailles.

Les prénoms s’enchaînaient avec les naissances, il en fallait plusieurs comme la coutume le voulait. C’était chantant comme la mélopée d’un rossignol sur une branche basse ou comme les cris d’une tourterelle en pleine parade. Léontine, Catherine, Aglaé, Joséphine Victoire, Auguste, Benjamin, Clément Augustin, Henri, Pierre, nous n’en finirions pas.

Le bonheur pouvait comme le temps être changeant, comme une grisaille succédant au soleil, un vent violent qui chasse la douce brise ou une pluie inconvenante remplaçant la rosée du matin.

Le père François peut être insensible ou simplement obligé, avait fait choix lorsque le destin l’avait chassé de la métairie et fait redevenir un vilain, de placer ses enfants chez d’autres.

La pratique était courante, les familles ne pouvant subvenir à tant de ventres affamés, donnaient leurs enfants et les plaçaient dans des fermes où les bras manquaient. Servantes, domestiques, ou valets les dénominations changeaient, mais l’usage qu’on faisait de l’enfant était le même.

Les garçons apprenaient le dur métier de la terre sous la rude tutelle de valets plus vieux ou de rudes patrons. Ils y apprenaient aussi la vie sous de multiples facettes, promiscuité malsaine avec des adultes en attente de femme, dureté de la hiérarchie de ceux qui n’ont rien et inconfort d’une vie d’enfant brisée.

Les filles faisaient aussi le même apprentissage, il fallait que leur jeune corps se plie aux exigences d’une vie de corvées. Tous prenaient peu ou prou le même chemin, certains commençaient un chemin de croix d’autres en sortaient beaux et grands. L’âme humaine ayant ses défauts, des patrons profitaient de l’aubaine de la provision de chair fraîche livrée par des parents impécunieux. D’autres fois dans l’intimité de granges closes certains valets volaient l’ingénuité d’un pauvre gamin. N’allons pas croire que le vice soit  partout, des maîtres considéraient ces petits comme les leurs et des drôlesses étaient parfois plus à l’abri chez des étrangers que chez eux. Des valets et des servantes prenaient aussi ces enfants sous leurs ailes en se rappelant leur propre jeunesse qui fuyait. Mais il restait la pénibilité du travail et l’éloignement de la famille.

Soudain un bruit tira François de la vision de la poitrine de sa cousine, ce n’était certes pas un tintamarre, plus un bruissement, comme un glissement.

Une vieille femme, dont on aurait pas pu dire si elle était octogénaire, nonagénaire ou bien centenaire apparut dans l’encadrement de la pièce. Un spectre venu d’un autre âge, d’une autre époque, un ectoplasme de paysanne se frayait un chemin en psalmodiant.

Parcheminée comme un manuscrit de moine, halée comme une mauresque, puante comme un bouc la doyenne de la famille Clémentine venait une ultime fois veiller sur sa demi- sœur.

Comme un corbeau fuyant un épouvantail Georgette se leva et donna sa chaise à la vénérable.

Pascal profita de l’aubaine en donnant son siège  à Auguste son cousin qui de mauvaise grâce dut accepter. Ce dernier se foutait bien de la morte mais il avait du plier à une volonté têtue de sa mère et de fait se retrouvait en prière à coté de cette dernière en faveur d’une tante qu’il n’avait jamais fréquentée.

Pascal alla dans la cour pour y fumer une cigarette, Georgette le rejoignit et demanda à l’accompagner en cette détente tabagique.

Visiblement la société se délitait, si les femmes abandonnaient les bonnets et se mettaient à fumer, il était évident que la France n’irait plus bien loin.

Pascal n’avait réussi à avoir ses clopes qu’au prix d’une sacrée débrouillardise. Ces foutues boches nous volaient tout.

Les deux cousins jouaient voluptueusement avec la fumée de leur sèche et observaient de loin le balai des visiteurs obligés. Certains entraient, d’autres repartaient en prenant un air de circonstance. Il fallait les voir prendre un air triste alors qu’ils se foutaient de la morte comme d’un appel de général  au loin sur les ondes

Leur mine était aussi faussement compatissante, et je te serrais la pogne comme on gaule un noyer et je te bisais comme on bise du bon pain. Georgette entre deux bouffées remarquait  » ce sont des civilités.  » Hypocrisie des deuils, le village se moquait bien de la Léontine, elle n’était après tout pas du bourg et il se disait qu’elle n’avait pas toujours été convenable.

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