
Elle sort dans la rue en ce matin d’hiver, la nuit est en train de se perdre et une brume épaisse entoure le sommet de la tour César, au loin elle devine le couvent des Cordelières et la ville basse de Provins qui doucement s’éveille à la vie.
La rue Saint Thibaud où se trouve leur maison est fortement pentue, elle dessert la ville haute, part de l’hôtel Dieu le vieil hôpital et se propulse sur la place du châtel là haut sur le vieux promontoire qui domine les plaines et les anciennes terres marécageuses des eaux de la Voulzie et du Durteint. Joséphine que le froid vivifie, remonte la capuche de son manteau et entreprend la descente vers la ville. La rue est maintenant pleine de travailleurs, on se salue et l’on s’invective, des paroles banales d’un commencement de journée.
Cette dernière va être longue pour Joséphine car elle se languit déjà de sa future soirée.
Les paniers de linge vont lui paraître bien lourds dans l’attente de revoir son beau Gustave. C’est acquis ils vont se marier, le père a donné son accord. Ce n’est pas que le prétendant lui plaise beaucoup mais enfin il va se débarrasser de cette encombrante.
Puis disons le, le mal est fait, la bougresse qui depuis quelques mois fréquente ce manouvrier enjôleur lui a laissé sa fleur. Certes la virginité dans ce monde d’ouvrier n’a pas la même valeur commerciale que dans celui d’échange des terres paysannes mais tout de même le cul en feu de la Joséphine pourrait être une embûche sur le chemin d’un beau mariage.
Les deux amoureux se retrouvent dans la soupente qu’occupe Gustave, il est chauffeur et un peu plus âgé qu’elle, presque rien juste 7 ans. Mais ces quelques années font la différence de l’expérience, il a été marié, il est maintenant veuf.
Lorsque la première fois il l’a emmenée dans sa chambre, Joséphine a senti comme une présence, un parfum de femme flottait encore. Ce n’était sans doute qu’illusion mais la diffusion de ce mauvais sentiment mit un peu de temps à se dissiper. Lorsque la première fois après maintes niches dans l’escalier elle avait monté et pénétré dans la sous pente, elle y avait trouvé les hardes de la morte. C’était dans les draps de douleur de l’expirée qu’elle avait perdu sa virginité. Pour le coup elle n’y fit guère attention mais plus tard en y réfléchissant elle eut l’impression d’avoir commise un sacrilège.
Depuis les nippes avaient disparu, vendues au fripier et elle s’était accaparé la chambre du veuf en tentant de lui apporter une gaîté qu’elle n’avait pas naturellement.
La date du 9 mars 1874 a été retenue pour le mariage, elle est femme à présent et bientôt sera épouse, elle sera libre et sa brute de père ne pourra plus poser sa patte caleuse sur elle.
Tous les soirs maintenant elle découche du giron familial. Presque mariée, ses parents se désintéressent de ses occupations et d’ailleurs ne se font pas d’illusions sur la chose. Le soir lorsqu’elle arrive, il est déjà là, allongé sur son lit, débraillé et sale de sa journée, sa chemise est ouverte, son mouchoir de cou lui donne un air de bandit. Il l’invite à la rejoindre. Elle qui est propre rechigne à se vautrer dans des bras crasseux. Mais l’appel du mâle,fait qu’elle succombe.
Les moments sont merveilleux, elle a tant de choses à découvrir, il est impétueux, fougueux sûr de la force masculine de ses vingt ans.
Après un tel festin il est dur de se quitter, mais si Joséphine a la liberté de son corps et jouit de ses soirées, elle n’a pas encore l’autorisation de passer une nuit complète chez Auguste . Ne voulant pas contrarier les principes de ses parents elle leur fait grâce de toute contestation.
Mais ce soir là Gustave ne veut pas la laisser partir, il veut qu’elle dorme avec lui, elle ne veut pas, il insiste.
Elle refuse, se lève et se dirige vers la porte. Furibond, il la rattrape et la saisit par les poignets. Il lui fait mal, en rigole, mais ne la lâche pas. Elle se débat mais il la jette sur le lit.
Elle a maintenant peur, mais sa colère dominatrice s’apaise et finalement il la laisse partir. De la soupente à sa maison il n’y a guère et c’est encore frémissante et indignée qu’elle se glisse dans les draps au coté de sa petite sœur.
UNE PROSTITUTION PROVINCIALE OU LES SŒURS DE LA RUE SAINT THIBAUD, ÉPISODE 1