LA MAQUERELLE DE L’HÔTEL DE LA GARE, Épisode 4, LE DÉBUT DE L’AFFAIRE

Quinze jours plus tard la gamine mourait et Charles et ses copains trouvèrent l’hôtel porte close.

Personne ne plaignit la petite, mais tous se demandèrent pourquoi la petite garce en apparence en pleine santé était morte à quinze ans et demi.

Comme une digue qui rompt sous la violence d’une crue la population se mit à parler, à médire, tout le monde savait tout, tout le monde était au courant.

Le flot des ragots emportait tout, on eut dit la montée des eaux de la Seine.

Le maire s’inquiéta de pouvoir être inquiété et prit le parti d’avertir les autorités.

Le juge d’instruction monsieur Fleuret du parquet de Coulommiers fut avisé et diligenta une enquête.

Il fallait vérifier si Suzanne était morte après avoir absorbé des substances abortives.

L’on suspectait également un trafique important en Seine et Marne de ces plantes miraculeuses.

Ce fut un bel émoi dans le village lorsque le commissaire Amédée Dautel de la 1ère brigade mobile, arriva à la gare. Ces hommes d’élite après avoir traversé le bourg à bord de leur De Dion Bouton pétaradante, allèrent perquisitionner chez la Notramy.

De mémoire on avait rien vu de tel, si l’on prenait la peine d’envoyer tant de monde c’est qu’elle devait être coupable. Chacun dévoila ce qu’il savait mais aussi ce qu’il ne savait pas. La Lucie était une mangeuse d’hommes, une dévoreuse d’enfants.

Le bourg avait sa Gilles de rais, sa Lucrèce Borgia, sa Messaline. L’hôtel n’était qu’un bordel où les paysans du coin se livraient à des orgies avec la mère et la fille.

Charles, de loin, scrutait toutes les allées et venues de la police et des civils qui sentencieusement œuvraient à la recherche d’une vérité. Lui il la connaissait la vérité , la Suzanne était grosse et le Jules et le Homère en connivence avec Lucie avaient certainement cherché à le faire passer.

Quand au reste, oui on s’amusait bien, la petite était une vraie perle amoureuse et dans des emballements incontrôlés il se pourrait bien que la merveille satisfasse plusieurs hommes en même temps. Il ne voyait pas vraiment où était le problème. Suzanne n’était point forcée et cela avantageait le commerce hôtelier du village.

Le juge Fleuret, Maturie son substitut et Compana le greffier faisaient les cents pas devant l’auberge, la foule arrivait et se massait pour voir et peut être huer l’avorteuse et mère maquerelle.

Un inspecteur trouva enfin quelque chose, des fioles, des bouteilles avec des plantes, enfin l’on tenait un début de preuve.

Mais pour faire le lien entre le décès et les plantes trouvées il fallait autopsier le corps de Suzanne.

Un médecin fut réquisitionné, ainsi qu’un fossoyeur.

Encore de futures histoires à raconter, la petite était enterrée depuis un mois, la terre était encore fraîche mais pas elle.

Un mois d’été avait altéré son beau corps, où était le bon temps où son intimité rapportait.

L’odeur était épouvantable, même des hyènes n’en n’eussent pas voulu. L’examen fut toutefois concluant la Suzanne portait bien et le médecin lui attribua une gestation de six mois ce qui plaçait le rapport fautif à l’aune de la fin de sa quatorzième année.

Même avec des mœurs libres et une vue large c’était quand même bien tôt, la Lucie entrait vraiment dans la catégorie des mauvaises mères.

L’on préleva les entrailles pour analyses, mais le juge voulut s’assurer de la personne de la mère et des deux amants.

C’est le gendarme Lequeux qui procéda à l’interpellation et le 24 juillet 1912 et c’est revêtue d’une chemise blanche, d’un corsage gris, de bas noirs et de son beau tablier bleu qu’elle fut accueillie aux greffes de la prison de Coulommiers. Elle n’en menait pas large, lorsque l’on nota sur le registre d’écrou, prévenue d’avortement et d’excitation habituelle d’une mineure à la débauche.

Lorsque la gardienne lui demanda de se mettre nue pour la fouille corporelle Lucie avait perdu toute sa superbe. La cerbère qui était mère de famille ne fut guère douce et compatissante.

Dans une autre aile de la prison le Jules Lapleige notre facteur, amoureux de jeune chair était reçu à peu près de la même façon, pantalon, gilet de drap, paletot, souliers de cuir, chemise de couleur et son joli chapeau de paille. Pour un peu notre élégant était vêtu pour aller manger une friture dans une guinguette de bord de seine.

Lui aussi dut se retrouver le cul à l’air devant son gardien, accroupissez vous, toussez.

Sa prestance d’homme à femmes, de dépuceleur de gamine et de maître d’œuvre de soirée orgiaque avait laissé place à une sourde honte. Inculpé pour tentative d’avortement ce n’était pas non plus la mer à boire et il savait que son temps d’enfermement ne serait pas très long. Il n’empêche que sa femme allait approuver que modérément et que son couple qui n’allait pas fort se déliter encore un peu plus.

Ce déroulement par son retentissement allait aussi, il en est sûr, nuire à ses trois enfants mais enfin le mal était fait.

Pour René Truchon le chef d’inculpation est un peu différend, on lui retient l’outrage publique à la pudeur. Il nie les faits avec véhémence. Pour lui ce n’était que de l’amour et jamais il n’avait voulu attenter à quoi que ce soit . Tout juste ne niait-il pas qu’il eut quelques petits débordements avec Perrin, Lefort, Fauvet , Nolin et Lapleige.

En attendant sa haute taille n’en imposait pas au gardien routinier qui notait ce qu’il portait , sabots, pantalon blanc, gilet noir, chemise de couleur et casquette grise.

Il dansait maintenant d’un pied sur l’autre en tentant de cacher sa nudité, le gardien goguenard le fait poiroter un peu, à sa plus grande confusion.

Voila la messe est dite, avortement et excitation à la débauche pour Lucie Delbret, tentative d’avortement pour Lapleige et outrage pour Truchon.

Les autres, bien sûr furent interrogés, mais pas incarcérés.

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