
La foule hurle de joie, nous sommes prêtes pour la parade, pour le joyeux défilé, pour les flonflons de la fêtes dont nous sommes les vedettes.
Le coiffeur est en tête avec sa tondeuse, les maquisards nous encadrent et un groupe de fanatiques de l’humiliation nous poursuit de ses sarcasmes.
La foule n’est plus aussi dense que dans la cour de l’école, certains écœurés sont rentrés chez eux.
Nous passons devant la maison de la collabo, le mur de la maison n’est qu’inscriptions injurieuses, l’on croirait un mur de publicités. On a forcé la domesticité à sortir sur le trottoir pour voir la maîtresse. La vieille cuisinière qui a connu madame enfant, pleure en silence, mais la femme de ménage qui a déjà volé quelques robes jure, crie, embrasse les hommes et surtout vient souffleter sa patronne. Jean, tant c’est abject, fait accélérer le convoi. Nous arrivons devant chez moi. Les femmes ont obligé ma mère à sortir, elle ne voulait pas alors ils ont menacé de la tondre aussi. Elle m’a regardé comme on regarde une hyène au zoo de Vincennes. Sans expression, tétanisée, j’ai senti qu’elle avait honte de moi et qu’un fossé de dégoût nous séparait. En levant la tête j’aperçois mon père derrière la vitre d’une chambre, un moment nos yeux se croisent et je cois que je perçois encore une lueur d’amour.
Nous continuons la balade, la fièvre semble retomber un peu, je suis épuisée, même si je ne suis plus nue j’ai quand même l’impression de l’être encore, en fait je ne vois plus personne depuis un bon moment. Je deviens une anonyme, comme une vache dans un troupeau. De temps en temps je perçois que l’on scande mon prénom. Toujours les injures pleuvent, dans une ruelle l’on me pince les fesses jusqu’au sang, mais globalement nous sommes moins battues . Peu à peu la foule se lasse de notre martyr, les chiens de meutes lâchent leurs proies, ils sont repus, satisfaits. Leur honneur de vainqueur est retrouvé, par ces actes expiatoires ils pourront se dire qu’ils ont participé à la victoire auprès des alliés.
Nous sommes de retour à l’école, dans la même classe, les guerriers de l’expiation sont partis. Un résistant a regroupé le restant de nos habits déchirés, il nous les lance comme si nous avions la peste. J’éprouve et c’est bizarre une sensation de bonheur quand je peux remettre mes sous vêtements, c’est extraordinaire comme on peut s’attacher à des détails infimes alors que l’on est en danger de mort
Nous sommes comme des épouvantails, ou des mendiants mais nous retrouvons un peu de pudeur.
Maintenant je ressens la douleur, sur l’ensemble de mon corps. La tondeuse m’a coupé le cuir chevelu, j’ai mal à la mâchoire, aux cotes, j’ai un goût de sang dans la bouche.
Je m’assois dans un coin et je me mets à pleurer, plus rien n’existe pour moi, le vide abyssal. Les larmes coulent et achèvent la destruction de mon vilain visage.
Jean pénètre dans la pièce il emmène la collabo, ils vont la fusilier, pourquoi pas, mais elle est déjà presque morte.
Les putes ont retrouvé des couleurs, comme si cette promenade les avait vivifiées. Elles n’ont pas le même rapport à la nudité que moi.
Je suis dans l’expectative de mon devenir. Pour la majeur partie des villageois je suis une collaboratrice car je travaillais pour les Allemands. Mais a bien y regarder, des millions de personnes travaillaient pour eux.
Certes il y a Frantz mais pour moi ce n’est rien, d’ailleurs dans l’absolu personne n’aurait dû savoir, personne de l’a vu avec moi, personne ne nous a surpris. C’est juste une évocation devant Jeanne qui l’a amenée à cette punition.
D’ailleurs cette dernière n’ose même pas lui faire face, tête basse, elle semble dormir, mais je sais qu’elle fait semblant. Je la maudis, je la vomis et j’espère qu’elle pourrira en enfer. Je la déteste finalement plus que celles et ceux qui se cachent derrière un mouvement de foule m’ont avili et abimé.
LE JOURNAL DE LA TONDUE, ÉPISODE 1, LA GIFLE
LE JOURNAL DE LA TONDUE, ÉPISODE 2, L’ATTENTE INSUPPORTABLE
LE JOURNAL DE LA TONDUE, ÉPISODE 3, L’ARRESTATION
LE JOURNAL DE LA TONDUE, ÉPISODE 4, LE JUGEMENT
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