
Mais tout dérape, un homme monte sur le camion avec un seau de sang, il me prend et à l’aide d’un pinceau me dessine une croix gammée sur le crane.
Cela rend la foule folle à lier, on nous arrache du camion les maquisard s’éclipsent. Les coups pleuvent, je suis au sol, coups de pieds, crachats. On me relève de force, une ronde se fait autour de moi, on danse en riant et en me giflant. Puis comme mue par un instinct primaire l’une des femme décide que je dois être nue. C’est la ruée, pendant que les hommes me maintiennent, Louise mon amie arrache le bouton qui tient ma jupe, elle est ivre, elle jouit. Puis elle s’agenouille devant moi fait mine de faire la gouine. On rit à gorge déployée. Puis elle me fait descendre ma jupe, c’est mon âme qu’on vole, ma vie. Malgré la chaleur qui règne je sens le froid sur mes cuisses.
Elle fait tourner la jupe au dessus de sa tête et l’offre aux hommes. Mais il en faut plus. Ce n’est plus Louise qui officie, pour terminer le travail cela doit être un homme. On choisit le plus jeune, quinze ans tout au plus, grand, boutonneux, il hésite, mais excité par les femmes qui devant son hésitation le traite de puceau, de dégonflé de couilles molles, il s’exécute.
Il me déculotte, je suis nue devant lui, il est comme hébété. Ma culotte circule de main en main , on oblige le petit à la hisser comme un étendard. C’est le drapeau des lâches, l’image des courageux qui savent qu’ils ne craignent plus rien . Les poissonnières sont aux anges. L’on me touche, on me fesse, je m’en fous je ne suis plus qu’un bout de viande, j’entends sans entendre. Ma poitrine, mes poils pubiens sont l’objet de discussions concupiscentes. Je suis sans doute en enfer. Puis les saturnales commencent,on fait ronde autour de chacune de nous, il y a chant, il y a rire. Le grand gamin tente de capter mon regard comme pour s’excuser de son geste héroïque. Je n’aurais pu penser que des femmes seraient aussi abjectes et que le spectacle d’une femme nue les réjouiraient plus que les hommes. L’une d’elles est particulièrement féroce et veut que je me mette à faire le pas de l’oie. Je fais mine de résister mais elle me donne une gifle retentissante et me menace de bien pire.
Je m’exécute, je suis ridicule, je lève ma jambe, on scande encore encore. J’ai l’impression qu’à chaque fois que je lance la jambe en l’air des yeux fouaillent mon intimité.
Mes camarades de galère me rejoignent pour ce vilain défilé, je n’ai plus de notion de temps. Je ne sais plus ou je suis la tête me tourne je m’écroule au sol. Un coup de pied, on me soulève et l’on me remet sur les jambes, je saigne maintenant du nez.
Je vais mourir je le sens, c’est bientôt la fin.
Mes compagnes ont donc été déshabillées comme moi , on ne reconnaît plus la bourgeoise, elle a été battue presque à mort, ses gros seins tombent grotesquement sur son ventre mou de femme mure. Le seau de sang lui a été renversé sur la tête. C’est une poupée de carnaval, défigurée, hagarde. Elle sent la mort, elle sait la mort.
Seule l’une des catins redresse la tête en signe de défi face à ses tortionnaires, je l’admire, elle a dompté par son attitude tous ces sans courages qui s’acharnent sur nous.
Mais nous sommes nues, c’est le comble de l’abject, c’est comme si nous étions asexuées.
Plus de cheveux, plus de vêtement, en nous punissant ainsi on nous retire la qualification de femme.
Comme si cela ne suffisait pas l’on nous marque de peinture, la croix gammée rappelle nos forfaits, notre compromission.
Mais soudain un homme surgit et fait autorité, visiblement c’est le chef de Jean. Tous s’écartent, il regarde la foule avec dédain, avec mépris.
Lui est de la première heure, Angleterre, parachutage, combat.
Il arrache des mains d’une des folles la robe de la bourgeoise. La furie manque de s’étouffer sous l’indignation, il n’en a cure et son regard est assez éloquent pour la faire rentrer dans le rang. Comme par magie l’on nous rend nos lambeaux de vêtements.
Je ne récupère pas tout, mais au moins ma robe même déchirée couvre ma nudité.
Par ce simple geste je reprends un peu espoir. Mais la persuasion de ce personnage marquant a des limites et la foule menace de nous mettre en pièces si l’on ne nous promène pas dans les rues.
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