
Le jour qui point me réveille subitement, un rayon de lumière est juste sur moi, mes compagnes sont encore dans l’ombre de l’aurore. J’ai l’impression d’être transpercée, d’être mise nue par ce halo de chaleur. Cela sera peut être la dernière fois sait-on jamais.
Dehors la garde a changé, le Germain est parti dormir en gardant l’image d’une femme qu’il a voulu humilier mais qui lui a résisté.
Les deux reprennent leur babillage et bientôt se moquent de moi sans que je sache pourquoi. Le visage de Jeanne a doublé de volume , il est presque noir.
Un groupe arrive et un garçon se détache, il nous donne à boire et à manger. Le pain est bon, l’eau coule enfin dans mon gosier. Le supplice est terminé.
Puis ils emmènent Jeanne, elle tient à peine debout, ils la soutiennent et la montent dans une voiture. Le grand Gérard me dit qu’ils la conduisent en prison. Pourquoi et encore pourquoi, que je sache elle n’a eu aucune aventure avec un allemand ?
Le temps passe maintenant et je crois que le danger s’éloigne, ce n’est qu’illusions car bientôt une clameur monte, des cris, un groupe de maquisards mitraillette au poing, une foule. On dirait que tout le village se retrouve maintenant dans la cour. La liesse est celle du 14 juillet, il y a des drapeaux. De la fenêtre je reconnais tout le monde.
On crie maintenant à la tonte, à la tonte, mort aux putains.
La petite cour est maintenant pleine d’une foule vociférante, je sens la haine, je sens exsuder tous les ressentiments. Je tremble, j’essaye de rester digne, mon ventre me tourmente, ne pas me salir.
Les deux rigolotes commencent à s’inquiéter et se meuvent dans la pièce comme des automates, la bourgeoise est toujours prostrée.
La meute se presse au carreau de la salle de classe, le garde devant la porte a du mal à contenir les excités.
Heureusement un camion fend le groupe qui s’énerve et des maquisards en descendent, armes à la main, ils se frayent un passage et entrent dans la classe.
Je suis tétanisée, celui qui semble commander le groupe c’est Jean, je suis partagée entre soulagement et consternation. Va t-il intervenir pour aider celle qui désirait, ou châtier celle qui l’a abandonné et remplacé pour un autre.
Il ne dit mot, s’approche de la grosse dame et lui dit tu n’as pas encore eu ton compte. Il lui crache au visage, le ton est donné.
Le chef est violent alors les autres le seront, maintenant on me presse, un grand gaillard me tire les cheveux alors qu’un autre passe sa main entre mes cuisses. Les autres hurlent de rire.
Dehors la foule gueule et gueule encore, une vitre est cassé par une pierre. J’entends, donnez nous les, donnez nous les. Pour la première fois j’ai peur de mourir.
Une table est installée où derrière prennent place trois maquisards, Jean est le chef, ils vont nous juger, cela me semble positif.
La première sœur passe devant les inquisiteurs, elle est fière, sûr de sa domination sur les hommes. Elle répond, se moque des apprentis juges. Oui elle a couché avec des Allemands et alors il fallait bien qu’elle vive. C’était ses seules clients, les Français ils avaient foutu le camps.
Je ne pense pas que cela soit la meilleure défense que de rappeler aux hommes leurs infamantes déroutes. C’est comme se moquer d’un homme qui n’a pas pu honorer sa femme, c’est une atteinte à la dignité.
Jean écrit sur un bout de papier, Tondue et emprisonnée.
Il faut se presser, la foule, va bientôt forcer la porte, un maquisard parlemente et dit : on les juge et ils sont à vous .
Une marseillaise lui répond.
La deuxième passe, elle argumente moins que sa compagne, fataliste, elle sait ce qui va arriver.
Jean écrit tondue et emprisonnée.
Je vais passer devant les trois, on me dévisage, puis les questions tombent.
As-tu couché avec un Allemand?
Pourquoi nier, oui.
As-tu fait des orgies avec des Allemands?
Quelle horreur, non.
As-tu dénoncé des résistant?.
Je réponds non et je m’inquiète car visiblement mon cas est plus grave que pour les deux putains.
La porte s’ouvre violemment et trois hommes pénètrent dans le huis clos, ils soutiennent une femme. Elle n’est pas en bon état, pieds nus en chemise de nuit, le nez ensanglanté.
Tout le village semble être là pour hurler à mort, à mort. Je la reconnais c’est la femme d’un notable qui ma foi a fait de bonnes affaires avec l’occupant.
Elle pleure, implore, demande qu’on la relâche, je suis une mère de famille crie t’elle. Un jeune maquisard lui met un coup de crosse pour qu’elle se taise.
Jean l’engueule et le jette dehors. La haine lui déforme le visage.
Jean dit , reprenons, il me regarde, se passe la langue sur les lèvres, et d’un ton calme il susurre, tondue et emprisonnée.
La dernière est jugée de la même façon mais monsieur le juge écrit, tondue, fusillée.
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