LE JOURNAL DE LA TONDUE, ÉPISODE 2, L’ATTENTE INSUPPORTABLE

L’ATTENTE

Je suis enfermée depuis un bon moment, aucun bruit dans la maison, j’essaie d’ouvrir ma porte mais rien n’y fait . Je suis prisonnière chez moi

J’ai envie de faire mes besoins je tambourine, je piétine, je manifeste ma présence. Enfin du bruit dans l’escalier ma mère sans aucun doute, je reconnais son pas lourd et traînant. Je crois qu’elle vient me libérer. Mais non la porte s’entrebâille et elle me glisse un pot de chambre. Me voilà bien avec cela, je crie par dépit que j’ai faim. Elle grommelle puis s’en retourne à ses occupations. Il n’est pas question que je m’avilisse à faire là dedans , elle n’a pas le droit ce n’est pas à elle de décider de ma vie.

Le temps me dure je résiste encore un peu, je tourne et tourne encore autour de ce fameux récipient. Je ne puis pu je remonte ma robe, baisse ma dentelle, le contact froid du métal me surprend.

La chaleur dans ma chambre mansardée est insupportable, j’ouvre la lucarne. Au loin j’entends une rumeur, diffuse tout d’abord puis allant croissante.

C’est une fête sûrement, peut être un mariage. Mais je réfléchis et me ravise, ils sont partis, ils se sauvent enfin, c’est cela oui, la liesse libératrice.

Puis soudainement je réalise, mon Dieu j’ai peur. Le temps s’étire de nouveau et le bruit à tout à fait cessé dans la rue, c’en est que plus étrange. Cette rue sans clameur m’effraie .

Je n’ai rien à faire, alors encore une fois je sors la lettre, je l’ai cachée sous mon tiroir de table de nuit, elle me glace d’épouvante. Je la déplie et  je la lis et relie une nouvelle fois  « la putain des boches la vengeance va bientôt sonner  ». En grosses lettres maladroites tracées avec du sang, la menace est explicite.

Mais pourquoi, je ne suis  pas une putain, je ne suis pas  une fille à soldat, j’ai aimé Franz, j’aime Franz.

Le temps me dure, j’ai faim , mon corps réclame de me substanter, je pense à mon bol cassé c’est bête, je perçois le ridicule de la chose et j’en pleure

Il fait toujours plus chaud, la sueur envahit mon corps peu à peu insidieusement elle se propage, j’ai même envie de me dévêtir.

Mais je ne peux pas si ils viennent.

Maman arrive avec un plateau, il est s’en doute midi, pourquoi ne me laisse t’elle pas descendre, quelle différence ?

Je la vois au milieu de l’encadrement ses traits sont tirés, on dirait qu’elle est apeurée. J’ai même l’impression qu’en quelques heures ses cheveux ont grisonné.

Elle me dit cela bouge au village, ils ont attrapé Jeanne, puis se sauve presque en courant.

J’ai l’impression que je suis contagieuse d’une quelconque maladie honteuse.

Le repas que je pensais avaler avec bonheur me répugne soudain, plus rien ne passe.

Ils ont arrêté Jeanne, que vont-ils lui faire. C’est mon amie, ma collègue de travail, ma confidente, au bureau nous papotons toute la journée, on se fait des niches.

D’un seul coup comme un tonnerre, comme un défilé de 14 juillet, une foule gronde, rie, chante, ils sont devant la maison. Instinctivement je me cache derrière le lit. Le bruit semble hésiter, le bâtiment en tremble, puis le cortège carnavalesque repart. Ce n’est pas encore mon tour, un répit sans doute, la foule est versatile, changeante.

Je suis comme folle mes cheveux défaits sont mouillés des eaux de la peur, j’ai mal au ventre je me précipite sur mon pot d’aisance, je me vide, l’odeur me pique le nez , c’est insupportable.

Peu à peu avec le silence les battements de mon cœur cessent leur chamade insensée. L’orage c’est éloigné.

Pourquoi me veut-on du mal, je n’ai dénoncé personne, je n’ai combattu personne. J’ai juste aimé.

Au départ je ne voulais pas y travailler dans cet endroit, mais monsieur le maire a insisté au près de ma mère. Les Allemands insistaient, il leur fallait des secrétaires pour gérer un centre de ravitaillement de leurs troupes.

J’étais réticente, mon frère est au stalag depuis le début de l’invasion, mon père est un ancien de la der des der. Alors ils ont insisté, le salaire est élevé, plus que celui de mon père.

C’est une aubaine pour la maison, une bouffée d’oxygène.

Au début tout allait bien l’officier était la correction personnifiée et les soldats forts sympathiques. J’en oubliais même qu’ils étaient nos ennemis.

Mais de fait je crois que l’ensemble du village était comme cela, les cultivateurs vendaient ou changeaient un peu de viande contre des cigarettes. Le gouvernement de Vichy semblait garder le cap et de toutes façons la plupart vénéraient le maréchal.

Cela c’était au début, mais sensiblement l’atmosphère changea, une résistance passive se mettait en place et une résistance active mais encore faible s’organisait dans l’ombre.

Au fur et à mesure des défaites allemandes le ton montait, tous reprenaient espoir. Un maquis s’était créé dans les forêts avoisinantes. Des jeunes avaient rejoint les francs tireurs partisans communistes.

C’est avec eux que tout a commencé, enfin je veux dire mes ennuis. Trois fois rien sans doute, un jour que je rentrais en vélo, on me bloqua et l’on me dégonfla mes pneus.

Un autre jour des jeunes me mirent la main au fesse dans la rue en me disant que eux aussi ils y avaient droit.

C’était plus de la bêtise qu’autre chose.

Puis un jour tout changea, les jeunes qui jusqu’à maintenant n’avaient guère bougé refusèrent d’aller travailler pour l’Allemagne et se firent résistants, gonflant les rangs des précurseurs.

Dès lors je n’étais pas tranquille, mais cela empira lorsque un jour au service Jeanne et moi l’on reçu un petit cercueil en carton.

On décida de ne pas le montrer et de ne pas en souffler mot à quiconque.

Désormais terrifiée j’eus la boule au ventre en permanence.

Frantz arriva un matin, en convalescence suite à une blessure reçue, il était muté dans ce petit centre administratif.

Tout de suite lorsque nos regard se sont croisés j’ai su . C’était indéfinissable comme sensation, une légèreté, un souffle. Je n’avais rien connu de semblable, une petite amourette , quelques baisers échangés mais rien de plus, la guerre avait envoyé mon prétendant au front et moi au secrétariat d’une force ennemie. Je ne savais pas ce qu’était devenu mon amoureux platonique, Jean était peut être mort ou bien prisonnier comme mon frère alors je me suis laissée emporter par les beaux yeux de ce soldat ennemi.

LE JOURNAL DE LA TONDUE, ÉPISODE 1, LA GIFLE

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