LE JOURNAL DE LA TONDUE, ÉPISODE 1, LA GIFLE

LA GIFLE, 24 AOUT 1944.

Je suis là allongée sur mon lit, il est de bonne heure mais il fait déjà chaud, dans mon sommeil j’ai repoussé mon édredon rouge.

C’est celui que ma grand mère a confectionné lorsqu’elle exerçait son activité de matelassière . Malgré la saison avancée je le garde sur moi, il fait poids, il me protège contre les ennemis, contre mes cauchemars.

Mon drap est bouchonné, humide de ma sueur nocturne. Ma nuit a été hantée de mauvais rêves, rien de bien définissable, rien de bien précis. J’ai comme un goût amère dans la bouche, vous savez celui que l’on a quand on a un peu trop bu. J’ai soif comme après une course folle dans la campagne.

A moitié nue sur ma couche je me mets à penser à lui, non pas comme une épouse mais plutôt comme une maîtresse. Bien que mon expérience en la matière soit bien limitée je m’imagine la différence.

J’ai comme une envie de son corps, mes seins se dressent et s’ouvrent comme s’ouvrirait la corolle d’une fleur. C’est bête cette analogie entre ma poitrine et l »efflorescente. Je suis prise de la tentation folle de me caresser, jamais je ne l’ai fait. Cela me taraude ma main hésite, frôle l’élastique de ma culotte. Je repousse l’idée, puis j’y reviens, plus décidée que jamais. Cette fois c’est la bonne mes doigts jouent avec mes bouclettes intimes. Mes lèvres s’ouvrent, s’humidifient, je penche ma tête en arrière en une posture de statue de Rodin.

Mais j’entends du bruit, la cuisine est juste en dessous ma mère doit déjà y œuvrer. Cela coupe mes velléités de jouissance solitaire. Je me lève d’un bon toute joyeuse soudain. C’est idiot mais le soleil qui perce à travers les persiennes me donne comme une sorte d’autorisation à être heureuse.

Ma chemise de nuit tombe au sol, en une sorte de réflexe je sens mes aisselles. Je me coule dans ma robe à pois bleus celle que je me suis achetée , avec les tickets de rationnement textile.

Je ne fais pas ma toilette, je la ferai dans la cuisine tout à l’heure quand ma mère sera partie aux poules.

Je descends l’escalier, rude, de bois noir, il incite aux chutes, mais je le pratique depuis l’enfance alors je le défie.

Je pénètre dans la cuisine en clamant un grand bonjour maman. J’ouvre le meuble où se trouve mon bol, la porte grince comme un portail de cimetière.

Je me retourne ma mère est campée devant moi, ses yeux braqués sont d’une noirceur inconnue.

Les traits durs presque déformés, elle me scrute comme une ennemie. D’ailleurs je le suis, une terrible gifle vient me cueillir.

Je suis saisie de stupeur mais comme dans un songe je vois mon bol s’élever dans les airs, il tourbillonne, volette, mais finit par s’écraser au sol.

J’entrevoie les morceaux qui s’éparpillent au sol, certains filent sous la table d’autres sous le vaisselier.

Ce n’est pas seulement mon récipient préféré qui se brise c’est ma vie. Ce n’est pas le bol ou petite je buvais mon lolo, qui vient de choir mais mon insouciance.

Je sais maintenant que ma mère sait, mais je sais aussi que si ma mère le sait d’autres également connaissent mon secret.

Elle m’ordonne de monter dans ma chambre, je fais velléité de résistance mais un coup de torchon mouillé me cingle le visage. Les larmes me montent et comme étant petite je monte dans ma chambre en courant.

Elle me suit, me pousse, puis d’un geste ferme elle tourne la clef de la porte, m’enfermant.

Je suis ne nouveau seule, ma joue me cuit, je la regarde dans le miroir en rotin et j’aperçois les traces de la giroflée à cinq pétales de ma mère. Je suis honteuse qu’elle m’ait battue, la dernière fois que cela m’est arrivée j’avais onze ans et j’avais fait tomber le réveil que j’avais eu pour ma communion.

C’est tout dire. Moi qui pensais du haut de mes vingt ans que j’étais sur un pied d’égalité avec ma mère, il n’en n’est donc rien.

Peu à peu la chaleur sur ma joue s’estompe, mais je pense et repense au pourquoi.

Puis je pense à Franz.

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