LA FEMME DU MILICIEN, Épisode 1- l’attente et la peur

la tondue de Chartres

LA TONDUE

Depuis qu’ils sont partis, j’attends, j’ai le sentiment confus qu’une catastrophe va m’arriver.

Assise sur ma chaise j’observe Philippe à la dérobée, il a un an, vigoureux il se tient déjà debout le long des barreaux de son lit. Lui aussi me regarde et ses yeux me demandent que je le prenne dans mes bras.

Pas aujourd’hui je n’en ai pas le courage, depuis tôt ce matin je m’affaire, j’ai fais mon ménage en grand comme si j’allais partir pour plusieurs jours. Rien ne traîne tout est rutilant, j’attends maintenant qu’ils arrivent.

Après ce remue ménage j’ai même éprouvé le besoin de faire une grosse toilette, comme celle du dimanche. Je me suis frottée comme pour enlever une crasse qui peu à peu, insidieusement semblait m’envahir.

Au gant de crin j’ai frotté, frotté jusqu’à me faire mal, l’eau n’enlève t’elle pas les impuretés de l’âme et de la chair. J’ai changé aussi mes sous vêtements, ce sont ceux de mes rendez vous avec Philippe , un magnifique plongeant en dentelle de couleur chair et une belle culotte de même teinte avec des délicats froufrous sur les cuisses.

J’ai également revêtu mon plus beau corsage celui que mon amoureux m’avait offert pour nos premiers six mois. Puis faisant pendant à tous ces beaux atours j’ai enfilé la perle de ma penderie, la robe blanche que je portais au mariage de mon frère. Elle a déjà quelques années, car le mariage avait eu lieu pendant la drôle de guerre au cours de l’une de ses permissions.

Jours heureux déjà lointains, mon frère était maintenant prisonnier dans un stalag et sa femme était repartie en attendant dans sa famille à la grande ville au chef lieu de canton.

Moi maintenant j’attends, les minutes sont longues, je pense à cet idiot de Philippe avec son uniforme noir, son béret stupide, sanglé dans la conviction d’un monde nouveau , gouverné par une nouvelle élite dont il ferait parti.

Je l’avais pourtant mis en garde de ne pas rejoindre un corps et un camps qui va perdre, jamais ne rejoindre les perdants. Mais têtu, fier, présomptueux il fit une autre analyse et s’engagea dans la milice à Darnand, certes la solde était bonne mais cette armée fantoche suscitait déjà la haine.

Il y a encore trois semaines, il se pavanait au bistrot avec d’autres grandes gueules se vantant d’en avoir zigouillé un.

Il était venu me voir, ivre de vin, ivre de haine contre les américains, les maquisards, les Gaullistes.

Nous avions fait l’amour comme cela à la va vite, comme nous aurions bu un café. Cela le satisfit, moi non, j’en gardais un coup amer et lorsque je le vis s’éloigner dans la rue j’eus le sombre pressentiment que je ne le reverrais plus.

C’était le père de Philippe et lorsque je lui ai donné ma virginité il n’était qu’un simple villageois, il n’avait pas choisi de camps, ou plutôt si, celui de la majorité, celui du maréchal.

La guerre, l’occupation, il ne s’en préoccupait guère, d’ailleurs la présence allemande était diffuse et il n’y en avait pas dans le village. Bien sur nous avions des difficultés à trouver des produits de premières nécessités mais globalement dans cette société paysanne nous mangions à notre faim.

Qu’a t’il pu se passer pour qu’enfin presque libre il choisisse de prendre position et qui plus est dans le camps des assassins.

Lorsque j’étais ressortie après sa dernière visite, dans la rue l’une de mes voisines cracha par terre en me croisant, un peu plus loin deux hommes que je ne connaissais pas me traitèrent de collabo.

A l’épicerie la vieille Louise refusa de me servir en me traitant de fille à boches.

Des allemands c’est tout juste si j’en avais croisés et je ne comprenais pas pourquoi on me vouait une telle haine.

Sur le retour une amie de toujours me croisa et détourna son regard. Je la coinçais au détour de la venelle et la sommais de me dire ce qui se passait. Je compris immédiatement la raison de l’iniquité villageoise, un détachement de miliciens avait arrêté un groupe de maquisards. Sans procès, sans juge, sans avocat ils avaient ignominieusement fusillé leurs prisonniers dans le bois du val.

Parmi les résistants, le petit Louis, fils du tonnelier âgé de seize ans, il avait réussi à s’enfuir et avait évidemment raconté par le menu ce qui s’était passé et la présence dans le peloton d’exécution de ce salopard de Philippe.

J’étais maintenant la pute au Philippe, toutes les ordures se déversaient sur moi, j’avais entretenu une relation avec un officier de la Wehrmacht

Le Philippe était parti, son groupe avait rejoint des détachements plus importants et s’apprêtaient à partir en Allemagne. J’étais seule avec mon fils, j’aurais du partir, mais je n’avais plus personne chez qui aller. Mes parents ne voulaient plus de moi depuis que mon amoureux s’était engagé dans cette légion maudite. Pestiférée, lépreuse, cholérique j’attendais je ne sais quoi.

Ou plutôt si je le savais des bruits couraient sur le sort que l’on réservait aux femmes ayant collaboré horizontalement.

 

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