Il faut bien dire aussi que je suis né dans une période de troubles et de renversement social. Mes parents ne prirent aucun rôle dans ce grand bouleversement. Ils subirent avant tout le marasme économique qui frappa la cité. Moins touchés que les marins du port et leur famille qui n’avaient plus de travail donc de revenus, mes parents conservaient une relative aisance. Le ferrage des chevaux était une activité sans chômage en cette période ou les troupes en garnison se multipliaient dans la ville. La peur des bandits Vendéens venait troubler la quiétude des édiles.
L’un de mes premiers souvenirs et aussi l’un de mes premiers traumatismes se rapportent à ces tragiques événements.
Ma mère et toutes les commères de la rue ne parlèrent que de cela, des traîtres de la Vendée allaient être exécutés sur la place de la liberté. Vous savez la place dont je vous ai parlé tout à l’heure et qui s’appelait royale. Elle s’était mise en tête d’y assister mais pire de m’y emmener. Mon père avait bien tenté de s’y opposer, mais ma mère avait toute une technique pour faire céder mon père. Je l’apprendrais plus tard avec mon épouse c’était la technique du cul tourné. Enfin bref me voilà sur la place avec ma mère et mes tantes, il y avait plus de femmes que d’hommes. Je ne voyais pas grand chose à cause de ma petite taille. Au loin une sorte de plate forme en bois avec un engin assez bizarre et complètement étranger à la population. Pour patienter les gens énuméraient les divers appellations de l’engin, je dois dire qu’elles étaient assez marrante, le rasoir national, la veuve, la Louisette, la mirabelle et la monte à regret. A l’énoncé de chaque appellation la foule qui s’échauffait hurlait de rire et il faut bien le dire ma mère aussi. La plate forme avec la guillotine était cernée par la troupe pour éviter les débordements. La lie du peuple côtoyait le haut du panier et les robes à crinoline des bourgeoises frôlaient les tissus moins luxueux des femmes du peuple. Sous couvert d’anonymat certain drôles en profitaient pour tâter les chairs délicates interdites à leur mains caleuses. Les belles précieuses encanaillé par la proximité de la mort ne protestaient pas et minaudaient en s’éventant.
Une clameur monta soudain, je ne voyais rien, serré contre une multitude de derrière, les traîtres arrivaient, je crois qu’il y avait un prêtre nommé Hebert, il avait refusé le serment et trahissait la nation sa tête devait tomber déclarait de façon péremptoire ma mère. Elle se découvrait la citoyenne Sazerat à près de 50 ans une âme de militante. Les ouvriers de la rue se moquait de mon père d’avoir dans son lit une virago et lui disait qu’il ferait mieux de la trousser et lui coller une volée.
Il haussait les épaules et la laissait partir dans ses délires d’ égalité femme homme.
Les têtes tombèrent dans le panier, il y en eut trois, se fut l’hystérie totale, le peuple endiablé dansait la carmagnole et des femmes bien mises subrepticement trempaient leur mouchoir dans le sang du prêtre qui allait devenir objet de sainteté. Ma mère frisait la folie, jamais je ne l’avais vu en cet état et d’ailleurs jamais je ne la reverrais ainsi. La foule se dispersa et on emmena les corps qui furent enterré dans le cimetière de la paroisse.
Moi je n’avais pas vu grand chose et je n’en fus guère traumatisé, enfin en apparence. Comme premier souvenir on peut évidemment faire mieux, mais bon s’était une idée de ma mère alors !
Les premiers souvenirs que l’on garde des prémices de sa vie sont souvent en fait des souvenirs racontés et comme ma mère en parlera jusqu’à sa mort je les ai sûrement assimilé comme tels
Lorsque l’on est enfant un tas de chose vous marquent, une couleur, une odeur ou un objet. Pour ma part je crois que je fus marqué par le mélange de senteur de la rue.
Tout d’abord dans l’atelier de mon père régnait l’odeur du fer et du feu, tenace, persistante et entêtante, elle se mélangeait au tanin du cuir et aux effluves de la corne que l’on brûle. Enivrant aussi le fumet des chevaux, l’âcreté de leur crottin mélangé à la paille qui jonchait le sol. Ce mélange olfactif étonnant me marqua définitivement, au point je chaque fois que j’eus à m’éloigner de ces parfums mon corps en marqua comme une réticence.
Dans la rue aussi quelle explosion, l’odeur de vase qui venait du chenal, celle de la terre tassée par les passages répétés des carrioles et qui à chaque pluie se transformait en cloaque. L’activité humaine aussi laissait ses fragrances, le fricot qui cuisait dans l’âtre, le parfum du pain qui gonflait au four, les exhalaisons de la distillerie d’eau de vie, les latrines de fond de cour des maisons et la merde des pots de chambre déversée dans la rue. Quel fatras que tout cela, je ne savais où donner du nez lorsque je sortais de chez moi.
Justement chez moi, il est temps que je vous en parle un peu, oh un bien modeste logement, une cuisine qui servait de salle de vie et de deux chambre ou nous nous entassions. Autant vous dire qu’il n’y avait aucune intimité. Les plus jeunes dormaient avec les parents et les autres dans la chambre d’à coté. Il ne fallait pas être trop pudique pour faire au pot de chambre ou pour se dénuder. C’était d’ailleurs le lot de tout le monde et l’entassement et la promiscuité en ville était l’un des vecteur de propagation des maladies. Nous étions environnés par la parentelle de ma mère et nous les petit nous passions d’une maison à l’autre.
Trois ans après ma naissance était arrivé mon frère Antoine, ma mère avait 51 ans ce qui est un age très avancé pour une maternité, je me rappelle qu’elle se lamentait tous les mois à l’arrivée bizarre de saignement.
J’ai donc partagé très tôt mon lit avec mon petit frère.
Mon environnement était donc assez varié, une grande et belle rue, bordée d’hôtels particulier, une cathédrale flambant neuve et une église qui à part son clocher l’était aussi. Mon terrain de jeux était assez grand et croyez moi malgré les interdictions je l’étendais sans cesse.
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