Le soir Léon en pochard patenté me fit l’amour ou plutôt se fit l’amour. Je n’avais pas la force de lui résister, pendant qu’il s’échinait moi je pensais à mon bel amant.
Le lendemain nous fîmes des crêpes, les enfant piaffaient comme les chevaux devant l’avoine, toute ma cuisine sentait le beurre cuit et une odeur de pâtisserie envahissait la maison s’évadant pour aller rejoindre les autres senteurs identiques qui sortaient de chaque maison du hameau. J’étais étonnamment heureuse, sereine, épanouie, la petite Rosalie me fit un compliment en me disant » que tu es jolie » et mon dur à cuire de Louis se frottait à mon jupon comme un jeune chat. Même le Léon pourtant peu disert y alla de sa réflexion et de sa chansonnette
Mardi gras s’est en allé
J’ons fait des crêpes ! J’on fait des crêpes !
Mardi gras s’en est allé
j’on fait des crêpes,
y n’na pas mangé
Je n’eus pas un remord, rien, je suivais mon destin et mon instinct même si ceux ci devaient passer par la satisfaction de mes sens.
Non de dieu c’est la seule expression qui me vient même si ce n’est que blasphème , j’étais encore grosse. Je comptais sur mes doigts encore et encore pour vérifier qui de mon beau carnavaleux ou de mon infatigable Léon pouvaient m’avoir laissé ce beau cadeau.
Impossible à départager, on verra bien à qui cet ange du mardi gras ressemblera, bien qu’aux jeux des ressemblance des fois c’est à si perdre. Car combien de fois on m’a dit, ton premier c’est tout le portrait de son père. T’as raison Léon, les gens sont vraiment cons.
Mon mari prit bien ma grossesse. Du moment que je lui pondais un mâle il s’en fichait. Mai encore un manque de chance le 21 janvier je lui donnais une fille, moi je le savais j’avais porté le bébé sur le devant et très bas alors c’était obligé que cela en soit une.
Léon ne me fit pas fête, ne m’embrassa pas, un mutisme de paysan têtu, nous aurions eu une portée de chats que cela lui aurait fait le même effet. Il alla quand même en maugréant à la mairie pour la déclarer Émilie Augustine. Tout de suite je la considérais peut être à tort comme le fruit de l’amour, d’ailleurs de toutes mes filles c’est elle qui ressemblait le plus à Rosalie, mais bon un bébé pouvait changer.
A trente deux ans j’étais affublée de cinq enfants, à ce rythme je risquais d’en avoir une sacrée tripotée. De plus cela tirait sur les finances du ménage, nous n’avions jamais été riches mais chaque naissance nous déséquilibrait un peu plus, heureusement il était temps de se débarrasser de mon premier.
Une ferme non loin de chez nous fit l’affaire et le batardeau comme l’appelait Léon se retrouva valet de ferme. Une paillasse dans la grange en compagnie des autres domestiques, s’ouvrait à lui un rude apprentissage, travail pénible, coups et remontrances, sévices, jeux sexuels des aînés. Je le savais dur au mal mais j’étais tout de même un peu inquiète, heureusement il était convenu que le dimanche et les fériés il reviendrait chez nous.
Un bouche à nourrir en moins mais aussi deux bras en moins pour les corvées, qui me retombaient invariablement dessus.
Au printemps 1829 alors que je puisais de l’eau au puits j’observais à la dérobé ma fille Louise, une belle petite fillette enjouée, caressante, les cheveux noirs, des yeux noisette, sa bouche en cul de poule et son petit menton légèrement prognathe en faisait un petit Léon en réduction. De moi elle aurait peut être la taille et les hanches. D’habitude elle courait dans tous les sens, jouant avec les chats, caressant le chien, énervant les poules, se frottant à mes jupons ou à ceux de sa sœur Rosalie.
Non ce jour là assise sur la pierre d’angle qui protégeait la maison du passage des charrettes elle paraissait hagarde, fatiguée.
En passant je tâtais son front que je trouvais chaud, je la questionnais. Elle avait mal à la gorge et sa voix était un peu rocailleuse.
Je la fis rentrer et mettre au lit, une nuit de repos une grosse cuillerée de miel et demain elle pourrait accompagner les oies avec sa grande sœur.
Léon en rentrant gueula en la voyant au lit, ce n’est qu’une grande feignasse et il saurait lui corriger une telle paresse. Une potée au choux lui fit fermer sa colère.
Louise dans la nuit eut une poussée de fièvre et avait du mal à respirer, je ne savais que faire. Le lendemain matin la petite suffoquait et son cou était très enflé.
Toujours fiévreuse, ne pouvant prendre aucun aliment, toussant et ayant du mal à respirer je commençais à prendre peur. Je devais aller au travail, Léon était parti depuis longtemps.
Je fis venir ma mère, à sa tête je vis qu’elle avait déjà vécu cette situation et qu’elle était inquiète.
Il lui fallait un médecin, mais cela ne battait pas la campagne, un voisin qui partait sur Provins se proposa d’en faire venir un. La probabilité que ce praticien se déplace était faible mais bon.
Je partis effectuer mon labeur la peur au ventre, le soir en rentrant la situation avait empiré, aucun médecin n’était venu et Louise dont le cou avait doublé de volume ne pouvait plus respirer.
Même l’eau ne passait plus, nous lui humections les lèvres, la pauvre petite ne pouvait plus parler et seul un léger filet de voix arrivait à franchir sa gorge encombrée.
Des voisines étaient passées, l’une d’elle lâcha que c’était le Croup et que c’était contagieux. Il y eut d’un coup beaucoup moins de monde. Léon enfin prenait en compte la gravité du moment et tournait comme un ours en cage. Nous attendions, bêtement, inutilement un miracle, maman priait et moi j’essayais d’atténuer les douleurs de ma fille.
Mais le combat fut inégal, de plus en plus oppressée, ayant de plus en plus de mal à respirer elle finit par abdiquer. Le visage bleuté, cyanosé, les yeux révulsés, la bouche grande ouverte elle mourut ma poupée de six ans.
Nous entendîmes un bruit de cheval et une carriole avec un beau monsieur se rangea devant la maison. C’était un docteur que notre voisin entreprenant avait enfin ramené, malheureusement il ne put que constater le décès. Il nomma la maladie de Louise d’un nom bizarre » la diphtérie » et nous encouragea à faire attention à nos autres enfants.
C’est ravagés par la douleur que dès le lendemain on enterra la petite. La veillée mortuaire fut pénible et je ne quittais ma fille que de brefs moments. Léon fut efficace et fit faire en hâte une petite bière, ainsi elle aurait moins froid dans la terre gelée de Sancy. Dans un petit carré réservé aux enfants elle fut ensevelie. Sur les gouttières de l’église croassaient des corneilles en une vilaine complainte annonciatrice de futurs malheurs. J’en fus épouvantée.
Comme il fallait bien manger, il fallait bien travailler, Léon sans tarder alla rejoindre son araire dans un champs voisin enfouissant sa peine dans le labeur.
Moi je revins à Liéchen avec mes parents et les enfants, rien ne serait plus pareil sans le sourire de cette petite paysanne.