Nous étions maintenant en juin 1901, le Daniel, la rage de vivre arracha le consentement à son père il s’engageait pour quatre ans à la mairie de Coulommiers.
Dix huitième régiment de chasseur, le voilà cavalier ce grand flandrin au yeux bleus, bourreau des cœurs de Chailly et hantise des hommes possédant une belle pouliche. Au fond de moi je me disais que la grande muette ne faisait pas une bonne affaire en engageant ce futur Cartouche.
Son engagement dégagea son frère Gustave de ses obligations militaires et ce dernier revint à la maison avec un an d’avance, il était un peu heureux non pas de revenir spécialement à Chailly mais de quitter ce monde qui n’était pas le sien. Je trouvais que ce système n’était guère égalitaire mais nos messieurs des parlements qui faisaient les lois le trouvaient bon alors il n’y avait rien à redire.
Un dimanche nous avons été chez ma fille à Mouroux, elle y travaillait avec son mari dans la nouvelle usine qui fabriquait des couverts en acier et en argent. Le Henri était polisseur en métaux.
La moitié du village travaillait pour Perrin et bon nombre de maisons lui appartenait, ma Marie avait changé depuis son mariage, son caractère androgyne avait muté en une féminisation fort avantageuse, pour sur le Henri avait dans sa couche un bien beau spécimen de femme. Pour ce qui est de la procréation je crois bien que le Lépolard était engagé au » Royal bon à rien » bientôt deux ans et aucune graine ne venait germer dans le ventre infécond de ma jolie Marie.
Elle nous reçut dans sa petite maison, deux pièces, un jardinet où poussaient quelques légumes et la cabane d’aisance au fond du jardin. Le couple avait investi dans une cuisinière en fonte à charbon, un réel progrès pour nous les cuisinières. Elle nous délecta d’un lapin en sauce. On parla beaucoup puis on alla se promener le long du Grand Morin, l’usine y était implantée et utilisait sa force motrice. Comme nous avions fait la route le matin je me sentis assez fatiguée et la balade quoique agréable se transforma en contrainte, d’autant que nous devions repartir et refaire les huit kilomètres qui nous séparaient de Chailly.
Le soir je rentrais complètement épuisée et de plus j’avais une pointe douloureuse dans le haut du dos. Charles qui ne m’avait jamais vue ou plutôt qui n’avait jamais voulu voir une trace de fatigue chez moi s’inquiéta et pour un peu serait devenu gentil.
Nous avions de temps à autres des nouvelles de mon fils Charles, il venait d’acheter une petite maison à Nangis et travaillait dans une usine de matériaux agricoles qui appartenait à un nommé Hurtu , il s’était éloigné un peu du bottelage. Il venait d’avoir une fille et l’avait prénommée Rolande.
Mon coup de fatigue s’accentuait avec il est vrai des hauts et des bas, la douleur que j’éprouvais devenait parfois insoutenable. Hermance ma chère Hermance me massait le dos pour m’apporter soulagement. La chaleur de ses mains me détendait quelque peu et puis il faut bien le dire m’apportait comme un frisson le long de l’échine. N’allez pas croire à une relation ambiguë, elle était ma sœur, ma fille, mon amie.
Et puis merde, soyons franche l’ambiguïté de ma relation avec elle se faisait jour, nous ne nous étions jamais touchées et n’avions jamais évoqué la moindre attirance entre nous, mais je savais tout d’elle comme elle savait tout de moi.
Alors oui ses mains qui me malaxaient le haut du dos me rappelèrent des caresses plus intimes.
Je dus arrêter toutes activités pendant quelques temps, mais bon il fallait quand même mettre du lard dans les patates et je repris le chemin du lavoir. J’avais beau ne plus être très jeune mais je me traînais plus que de raison. Puis vinrent les beaux jours et j’oubliais ma peine, le soleil accompagnait nos activités, l’eau des ruisseaux était moins froide. Par contre je fus embauchée pour la moisson et cela se transforma en calvaire.
Un soir je rentrais épuisée, mais néanmoins j’étais résolue à faire une grosse toilette car j’étais noire de poussière, crasseuse et puante. C’est mon bonhomme qui alla puiser l’eau au puits et qui me la réchauffa sur les braises encore chaudes du matin. Je me déshabillais le haut du corps et avec l’aide d’un gant de crin je me frottais en commençant par le visage et le cou, puis descendant j’entreprenais le dessous de mes bras, la sueur avait collé mes poils et une odeur acre en émanait. Puis énergiquement je frottais ma lourde poitrine, je ne m’en serais peut être pas aperçue si contrairement à d’habitude je n’avais pas insisté autant. Une boule de la taille d’un œuf de caille sur le haut du sein droit, pas douloureux, mais dur, j’examinais aussitôt toute la surface de ma poitrine. N’ayant que cette petite grosseur je continuais mon décrassage en règle et constatais que le bas n’était pas plus propre que le haut.
J’allais rejoindre mon vieux dans notre couche et cela me sortit de l’esprit.
Mais j’avais de plus en plus de mal au dos et de caille l’œuf qui grossissait devint plutôt celui d’une poule, cela me gênait au quotidien et je dus le dire à Charles.
Cela tombait au plus mal car lui aussi n’allait pas très bien et il dut même s’aliter avec de la fièvre.
J’ai un peu paniqué et fait prévenir les enfants. Ils sont tous accourus en catastrophe, le moribond quand il les a vus réuni autour du lit leur a dit que ce n’était qu’une répétition et que demain il reprendrait le travail.
Un peu présomptueux, le lendemain ses pauvres jambes ne le portèrent qu’à peine et il dut attendre une quinzaine pour retravailler. Bien entendu pas de labeur, pas de salaire, moi qui me traînait et lui qui faisait faux bond, nous faisions un bel attelage de bœufs de boucherie.
J’en avais toutefois profité pour montrer ma poitrine à ma fille et à la femme d’Émile. Elles y allèrent de leur conseil et me dire d’aller voir un médecin.