Je n’avais plus de goût à rien et début 1865 je sus que j’étais encore une fois enceinte, jamais je ne m’en sortirais de cette dépendance du ventre, jamais je ne pourrais travailler avec ces marmots en bas age et jamais notre ordinaire s’en verrait améliorer.
Le Charles comme tous rentrait épuisé de son travail se mettait devant sa soupe, se couchait et me prenait. Rien d’autre, aucune perspective, nous étions des bêtes. Ernest devant mes prétentions à devenir ouvrière dans une usine me mit en garde contre ce nouvel esclavage, les usines de tissage étaient des mouroirs où s’agglutinaient des ouvrières et ouvriers dans une révoltante soumission et une effarante promiscuité. Je devais garder mon indépendance. Il en avait de bonnes lorsque le ventre réclame son du et que les petits pleurent d’avoir faim on n’est pas trop regardant.
Nous déménageâmes un peu avant mon accouchement, nous étions cette fois en plein centre de Coulommiers rue du Palais de justice, Charles nous avait dégoté une petite maison avec une petite cour rien qu’à nous, pour sur ce n’était pas dans notre budget mais il affirma en faire son affaire. Le quartier comportait ses pauvres mais d’une manière générale était habité par des gens plus cossus, huissiers, médecins, rentiers, notaires, architectes, la présence du tribunal n’y était pas pour rien. Notre maison partagée était occupée par un relieur et un ouvrier tanneur qui vivait en concubinage avec une veuve. Je me plus tout de suite dans cet environnement et une voisine voulut bien me laisser m’occuper de son ménage et de son linge, ce n’était pas grand chose mais quand on a rien cela fait la différence.
Il fallut bien que j’accouche et c’est le docteur Mie qui m’assista, c’était la première fois que je montrais mon séant à un étranger et que je me laissais toucher par un homme, les accouchements étaient affaire de femmes mais il paraissait que la tendance était à la présence d’un docteur.
Ce fut Raphaël qui naquit en ce mois de juillet, bien sur mon mari botteleur était parti au champs et il ne fut pas là lorsque son fils arriva.
Heureusement il revint et alla faire la déclaration en mairie avec deux de ses compères de boisson, Césaire Garnier le tailleur d’habit et un jeune morveux le Joseph Hurand qui trimait dans la même ferme que Charles.
J’avais vingt cinq ans et déjà quatre enfants, moi qui était éprise de liberté j’avais une autre chaîne à mes chevilles.
Mon aîné allait aux écoles chrétiennes, il apprenait à lire à écrire et à compter, Charles évidement disait que cela ne servait à rien mais moi je soutenais le contraire, encore l’occasion de nous hurler dessus.
Je n’avais plus de nouvelle de ma mère et de mon frère quand une lettre me parvint, il allait se marier et nous invitait à la noce. Comme vous vous en doutez j’eus beaucoup de mal à persuader mon mari de faire le voyage, trop loin, pas d’argent et puis les enfants. Je finis par gagner la partie, les trois aînés seraient gardés par Élisabeth et Prosper et j’emmènerais le dernier car encore au sein
Nous n’allions pas aux Amériques ni aux colonies, mais à Joinville le Pont, je pris pour la première fois le train, nous montâmes dans des espèces de caisse en bois avec des banquettes, nous étions un peu serrés, messieurs de la ville, ouvriers en salopette, paysannes avec des volailles et des victuailles, garnements morveux qui couraient partout, demi mondaines parfumées, curés de campagne aux chaussures usées, militaires rejoignant leur garnison et nous apeurés de tant de monde et de bruit. La locomotive à vapeur bruyante à colonne de fumée noire nous amenant en brinquebalant jusqu’à bon port.
Mon frère nous attendait à destination, il avait bonne mine et était habillé avec soin. Je revis ma mère avec joie, elle était belle et n’avait que peu vieillie.
Nous fumes présentés à ma futur belle sœur Honorine, fille de la Seine et élevée sur un bateau car son père était marin et sillonnait les méandres du fleuve de l’embouchure jusqu’à Joinville.
La noce fut magnifique et ma mère me garda Raphaël pendant que j’effectuais quelques pas de danse. Charles comme de coutume fut ivre et chanta les chansons paillardes de son répertoire. J’étais heureuse d’avoir revu mon petit frère et ma mère mais je remarquais comme une gêne entre nous, une fêlure, peut être avait il honte de nous, de notre allure, de nos vêtements. Il semblait que ce frère qui avait couru à ses cotés, qu’elle avait mouché et torché s’éloignait d’elle par sa réussite professionnelle.
Une sorte de dédain, il était celui qui réussissait et moi j’étais celle qui vivait avec un botteleur toujours aviné. Sa femme c’était encore pire, on aurait pu la croire sortie d’un palais tant son insolence s’affichait. Comme disait Ernest mon typographe, même les princesses quand elles chient, elles puent la merde.
Je ne fus donc pas mécontente de repartir chez moi