LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 11, la première gifle

Quand je vis mon nouvel aménagement je fus grandement déçue, je m’attendais comme une idiote à habiter en pleine ville . Pour sur, nous étions bien à Coulommiers mais l’endroit que l’on nommait Mont Plaisir n’en était pas moins séparé de quelques centaines de mètres. Cela formait un petit îlot de quelques vieilles bâtisses,dans le prolongement de ce  que l’on nommait  le faubourg de Melun . Charles et Prosper avaient loué une maison qui avait été subdivisée en deux, ainsi nos deux couples avaient leur indépendance. Un peu plus loin se trouvait une auberge. En allant sur le bourg se trouvait la station, c’était ce qu’on nommait une gare. Un peuple disparate habitait cette rue, artisans, ouvrier, paysans.

Coulommiers était un gros bourg rural mais contrairement à Provins s’ouvrait au monde et s’industrialisait, papeterie, imprimerie, usine de produit chimique, tuilerie, briqueterie et sucrerie.

Bien sur l’arrivée de ce nouveau mode de transport qu’était le train ajoutait à la tendance au développement de la ville. Nous étions donc entre deux mondes et bon nombre de paysans tentés par une vie meilleure, basculaient déjà dans le monde ouvrier. Mon homme n’avait nullement envie de suivre ce chant des sirènes mais moi je me serais facilement laissée tenter.

Coulommiers était donc un gros bourg toujours en effervescence, le commerce était florissant il suffisait de se rendre sur le marché du mercredi pour s’en rendre compte.

Traversée par la rivière le Grand Morin et son affluent l’Orgeval. Non navigable avec un débit assez faible ils  étaient ponctués de moulins utilisant la force hydraulique . Il y avait un château, une prison et des casernes.

Mont plaisir pour être à l’écart était un lieu de passage et toute la journée des charrettes chargées de grains, de légumes, et de betteraves passaient et s’engloutissaient dans ce ventre commercial qui servait de marché avancé pour la capitale. Des grosses carrioles portant des barriques de vin ou de cidre soulevaient de lourds nuages de poussière ou maculaient notre entrée de boue glaiseuse. Les charretiers s’arrêtaient pour picoler à l’auberge et souvent les bœufs devaient conduire leurs propres conducteurs. Les paysannes des environs faisaient des kilomètres pour aller vendre leurs fromages de Brie, leurs légumes ou bien leurs volailles. Elles cancanaient en marchant et bientôt nous fumes comme elles à vendre notre maigre récolte ou nos quelques œufs sur la place du marché.

Nos hommes se louaient au plus offrant dans les fermes des environs et notamment dans celle de l’hôpital. Le travail surtout en saison ne manquait guère et à l’aube ils s’en allaient rejoindre la cohorte des travailleurs matinaux.

Évidemment nous les femmes on ne restait pas à rien faire, le travail féminin dans une ferme ne manquait pas et était aussi dur que celui des hommes. De plus à la ville je repris le lavage du linge et le bonheur de chanter les mains dans l’eau sur le lavoir flottant des eaux claires du Morin.

J’avais souvent mon fils avec moi car le diable me suçait le sein en permanence et en plus du linge il fallait que je me coltine mon premier né. Nous étions jeunes et mon mari était assidu à ses devoirs conjugaux, alors forcément un fruit grandit dans mon ventre. Je n’en voulais pas de cet enfant,encore une fois cela restreignait ma liberté et de plus nous n’étions pas bien riches, quel avenir pour ces enfants sans biens. Nouvelle dans la ville je ne connaissait pas les adresses des passeuses d’enfants et Élisabeth, la prude, la chrétienne, la mère merveille s’offusqua que je lui en parle.

Par ailleurs je trouvais que mon mari rentrait de plus en plus tard et qu’il sentait l’alcool. Je lui en fis le reproche et nous nous engueulâmes, nous nous étions déjà accrochés mais là les vitres tremblèrent. Notre couple se détériorait à petit feu, Charles sembla pourtant heureux lorsque le 2 juin 1861 je lui donnais le petit Émile.

Moi j’avais donc deux chiards à la mamelle, il m’était difficile de travailler. Je restais donc à la maison mais aussitôt le manque d’argent se fit cruel. Mes maigres apports avaient jusque là comblé notre petitesse de revenu.

A la maison je m’emmerdais et j’étais le plus souvent à bailler aux corneilles sur le pas de ma porte, un soir Charles rentra que je n’avais pas fait la soupe. Il était passablement énervé et aviné. Cette propension à boire il l’avait prise depuis que nous étions arrivés et l’auberge juste à coté de chez nous avivait ce mauvais penchant. Il m’ hurla dessus et je lui répondis vertement que si il n’était pas content qu’il aille voir ailleurs. Je n’avais pas eu le temps de finir ma phrase qu’une gifle me fit vaciller. C ‘était la première fois, il ressortit en claquant la porte et ne revint que tard dans la nuit.

Moi je restais comme une idiote avec ma joue endolorie et mon âme blessée. Tout alla ensuite de travers, Charles buvait de plus en plus, rentrait de plus en plus tard et forcement ramenait moins d’argent. Tous les soir c’étaient les même scènes, il me reprochait mon manque d’économie, pardi je  n’avais rien, il m’ houspillait sur mon manque de coquetterie alors que je n’avais même pas un bout de miroir pour me coiffer. Il trouvait que notre intérieur était sale et que j’étais mauvaise ménagère. A ses yeux je n’étais plus qu’une souillon et aux yeux des miens il n’était plus qu’un poivrot gueulard.

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