LE TRÉSOR DES VENDÉENS, Épisode 66, ma vie de femme à la Crépaudière

1876 – 1881, la Crépaudière commune de la Chapelle Achard

Marie Louise Barreau femme Ferré

A cette époque j’étais déjà grand mère, quarante trois ans et ma Marie avait déjà une fille de cinq ans. Malgré ces petits monstres qui venaient me rendre visite de temps à autres je ne me sentais pas vieille, j’étais encore une femme avec des secrets désirs. Avec mon homme nous faisions tourner la Crépaudière, Barthélémy après son service s’était gagé dans une exploitation de Sainte Flaive des loups , à la Primetière je crois. C’était mes autres fils qui avaient pris le relais.

Rythme des saisons immuables, la vie à la campagne était un éternel recommencement, les bêtes, la traite, le fumage des sols, la taille des vignes, les semences, la moisson et enfin on recommençait.

Nous récoltions essentiellement du seigle et du froment et un petit peu d’avoine.

Comme je vous l’ai dit au début, les femmes ne sortaient guère de leur intérieur et il fallut que je rappelle à mon mari une lointaine promesse, me faire voir l’océan. Cela faisait partie de mes souhaits .

Je demandais à Marie ma fille de me garder les drôles, et nous partîmes avec le Jean, la distance était de 20 kilomètres soit environ 5 heures de cheminement, pour sur Jean aurait bien aimé prendre le train, mais moi peureuse il n’en était pas question. Je n’avais jamais dépassé la Mothe Achard et Sainte Flaive les Loups. Partis avant le lever du soleil nous arrivâmes avant le midi. Bien avant de voir l’immensité océane je fus saisie par les effluves de la marée et comme enivrée par ce parfum que l’on ne percevait point dans la cour merdeuse de la Crépaudière.

Les Sables d’Olonne était alors en plein développement, petit port de transit entre La Rochelle et Nantes il était l’entrepôt pour tout le commerce de la Vendée. Je fus stupéfaite l’eau n’était point là, nous étions comme deux andouilles avec le Jean. Une femme qui ramassait des espèces d’herbes gluantes sur les rochers nous expliqua goguenarde que l’eau n’était pas bien loin et qu’elle allait remonter. Le Barthélémy qui n’était point sot nous expliqua en rentrant qu’on appelait cela une marée et que c’était la faute à la lune.

Effectivement l’eau remonta rapidement, un spectacle grandiose, tout fut recouvert et les vagues se fracassant sur les rochers nous éclaboussèrent, vraiment un beau jour que celui là. Sur la cote nous poussâmes vers un endroit que les gens du coin nommait le puits de l’enfer, j’étais pas rassurée car on entendait paraît il les cris des noyés ou les lamentations des marins damnés. Jean me disait ne crois dont pas à ces diableries, peut être mais c’était rudement impressionnant. Il fallut rentrer et nous voulions pousser jusqu’à l’île d’Olonne voir mon oncle et dormir à la Cheverie. Arrivés tard nous y fumes reçus comme des princes et partageâmes la soupe avec eux. Comme la maison n’était point grande avec Jean on alla dans la grange où nous nous fîmes un lit de paille. Je dois dire que cela donna des idées au Jean et que je fus bien réceptive à ses caresses, l’air de la mer, l’odeur entêtante des fenaisons, l’idée d’être seuls enfin pour faire nos affaires, sans se soucier des mioches qui pourraient nous entendre en rignochant. Le lendemain nous repartîmes gaiement, mon homme pensait déjà aux travaux en retard. Les garçons laissés à eux même n’avaient ils pas faignanté.

 

Cette petite escapade nous avait à mon homme et à moi même redonnés le goût de certaines choses.

La nature est quand même bizarre, mon dernier fils était né en 1873, cela faisait un petit moment déjà et je croyais naïvement que j’en avais fini avec la maternité.  Automne 1879 j’étais de nouveau prise, consternation et stupeur. Mon mari me fit une crise comme si cela était de ma faute. Ce n’était pas lui qui allait se le porter et continuer son labeur à en crever sur place. Non lui il se plaindrait bientôt qu’il ne pourrait me toucher, je connaissais par cœur la rengaine masculine c’était mon neuvième.

 

En avril 1880 je mis au monde mon Pascal, un vrai poupon qui paraissait plusieurs mois et qui me déchira . J’en fus pour quelques semaines d’inaction totale, Louise la seule présence féminine de la maison me remplaçait comme elle pouvait, ses frères étaient exigeants et odieux et Jean comme d’habitude laissait faire.

Moi qui avait été une jeune mère je ne souhaitais pas qu’elle reproduise le même schéma, ce n’est pas à seize que l’on doit mettre les mains dans la merde et laver les langes. Les tâches agricoles suffisait bien à l’apprentissage de la vie. J’aurais même aimé qu’elle aille à l’école mais Jean comme pour beaucoup de choses concernant le progrès avait refusé.

Je repris donc mon rôle de mère, de chef de ménage, de cultivatrice mais point celui de femme. J’ai dis au Jean va voir ailleurs si tu veux mais moi jamais plus. Il prit son air de chien battu.
Moi ce que j’aimais le plus c’était m’évader de la Crépaudière pour aller au village vendre nos produits, poulets, œufs, beurre, et le sur plus de notre potager. Tout le monde faisait cela la concurrence était rude mais outre le fait de gagner quelques pièces qui faisaient tourner notre ménage nous y rencontrions nos voisins et notre famille, une immense cousinade en quelques sortes. Bonjour cousin, bonjour ma tante, bien le respect mon oncle, comment va untel, le petit est il né, c’était la complainte des foires.

Pendant que nous vendions nos broutilles avec nos drôles accrochés à nos robes, les hommes faisaient affaires, ils vendaient les bestiaux. Tractations sérieuses que les femmes ne pouvaient appréhender et qui se terminaient invariablement au cabaret. Combien de fois j’avais ramené le Jean complètement ivre mais satisfait d’une bonne vente. Cela ne se terminait pas toujours bien et un jour mon bonhomme s’est battu avec un maquignon, il ne fut pas vainqueur loin de là, malgré le secours de notre fils Louis il a été copieusement rossé et jeté dehors de l’estaminet. Toute honte bue il avait aussi un beau coco à l’œil droit. Heureusement pas de gendarmes dans les parages ce jour là, la sanction pour ivresse publique et bagarre eut été salée pour nos faibles économies et puis aussi quel exemple pour nos fils qui grandissaient. Le Barthélémy quand on lui raconta la mésaventure de son beau père voulut organiser une expédition punitive en emmenant ses petits frères. J’eus les plus grandes peines à leur faire entendre raison.

 

 

 

 

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