LE TRÉSOR DES VENDÉENS, Épisode 32, Le mariage des veufs

21 octobre 1851, village de Grosbreuil

Pierre Cloutour

En ce jour malgré mon peu d’empressement il convenait que je soigne ma personne. Un paysan faisant office de barbier, avait rasé les quelques poils qu’autorisaient mes vingt ans , j’avais revêtu ma chemise blanche du dimanche, immaculée et rêche. Ma veste je l’avais consciencieusement dépoussiérée et mes souliers décrottés.

Je savais au fond de moi que ce jour arriverait, en fait depuis le départ de maman. Je ne me résignais pas à l’inéluctable, mais quand avais- je à faire.

Mon père faisait bien ce qu’il voulait, mais son remariage trahissait la mémoire de ma mère, évidemment c’était idiot, le jeune veuf qu’avait été mon père avait vite retrouvé une femme à sa convenance et notre jeunesse en fut affectée. Comme je vous l’ai déjà dit notre liberté en était grandie par son absence , mais que de contreparties.

Ma petite sœur avait été tripotée par un vieux salopard et moi et mon frère nous nous retrouvâmes à errer de ferme en ferme, domestique, valet, puis journalier nous y avons appris la science paysanne et aussi la science de la vie. Mon père journalier virevoltant d’un travail à un autre nous surveillait de loin en loin entre labeurs et amours.

Ma petite sœur Marie avait fini par convoler avec un laboureur de Talmont Saint Hilaire, elle était servante là bas et malgré sa jeunesse prit le parti d’un peu de stabilité.

Mon petit frère lui restait maintenant avec mon père et moi j’écumais les sillons du bourg du Girouard.

Mon père avait quarante huit  ans maintenant et sa promise quarante trois ans, elle se nommait Madeleine Chevoleau, j’ignorais si cette veuve était celle des débuts, celle de la période où mon père nous laissait seul avec notre tristesse et notre désespoir d’enfant ou bien si c’était une conquête récente. Elle était veuve depuis douze ans et lui depuis onze, tout le monde connaissait leur liaison et il fut miracle qu’aucun fruit ne naquit de ces retrouvailles endiablées. Mais maintenant ils régularisaient, allez savoir pourquoi, la morale était enfin sauve dans notre bourg si tranquille. Il fut d’ailleurs très satisfaisant de savoir qu’elle n’augmentait pas la famille de rejetons de son premier lit.

Ceci dit je ne la connaissais guère, n’ayant pas vécu avec et ne l’ayant vue que quelques fois à l’office ou bien à la foire.

Moi, bien que lié à mon père par le code civil j’étais libre comme l’air, je cumulais les gages, m’offrais au plus généreux. De plus étant économe de mes maigres biens j’espérais rassembler un petit capital pour enlever une belle paysanne et en faire mon épouse. Bon je n’en étais pas encore là, s’installer coûte cher et peu de père me confierait leur fille. En attendant pour patienter je papillonnais, faisais ma cour, faisais le fiérot pour épater, toujours dansant, jouant de ma force jeunesse mais rentrant comme tous jeunes paysans seul en sa triste couche.

J’avais choisi de me rendre directement à la mairie et d’attendre le petit convoi, piétinant devant la maison commune, une petite foule bigarrée représentative de la société du village partageait mon attente. N’étant plus du village on ne me reconnut guère et cet anonymat me convenait parfaitement.

Moi je reconnus, Pierre Chiron l’épicier un copain de beuverie de mon père, le Pierre Mathé, tisserand était de la noce avec sa petite femme. Curieusement il y avait maître Epaud le maçon avec toute sa maisonnée et ses employés, je ne le savais pas proches. Le cantonnier Jean Boursereau appuyé sur son balai de paille attendait comme au spectacle déjà ivre. Le maréchal et taillandier Bouraseau suspendaient les coups de son énorme marteau en attendant l’arrivée de la noce. Pour sur c’était un spectacle le Pierre et la Madeleine.

En face à l’église la veuve Martineau, ratatinée, flétrie, égrise, servante désabusée de monsieur le curé et qui détestait jalousement toutes ces veuves qui cédaient de nouveau aux vils plaisirs de la chair balayait sans conviction le parvis.

Puis ils arrivèrent joyeux et chantonnant derrière un brave gars du coin qui faisait danser toutes et tous dans le canton des Achards. Mon père était fier au bras de sa dulcinée, elle, paraissait presque jeune. Subtilement elle avait choisi la simplicité en ses atours, la couturière du village lui avait confectionné une belle robe qu’elle disait de la mode de Paris. Je n’y connaissais rien, pour moi cela ressemblait étrangement à toutes les tenues vendéennes.

Ma sœur au bras de son homme suivait et mon frère Jean à qui l’on avait associé une lointaine cousine comme cavalière les précédait avec un grand sourire.

Mon père en me voyant fut assez ému, je lui avais caché ma venue et il ne s’attendait pas à me voir.

Le maire du village, un beau monsieur de l’ancien monde se nommant Paul de Bessay gendre du sieur Gazeau de la Boissière nous fit entrer dans la salle communale.

C’était toujours un honneur pour nous gens de rien d’être unis sous l’égide d’un si beau monde, ces messieurs du château de la Bénatonnière ne nous étaient que peu accessibles. Nous les laissions passer lorsqu’ils sortaient en grand équipage dans un nuage de poussière, ils avaient leurs bancs réservés à l’église et bien sur dans un geste mécanique et venu d’un autre age nous ôtions notre chapeau à leur vue.

Beaux habits, belles dictions, argents, relations, ils en tenaient pour le comte de Chambord, mais s’accommodaient aussi du Bonaparte.

La cérémonie fut courte et concise comme un acte d’état civil, le Cloutour et la Chevoleau pouvaient maintenant vivre au grand jour à l’abri des quand dira t ‘on

Nous passâmes à l’église où nos mariés veufs avaient le droit canonique en leur faveur pour une deuxième union. Le maire et sa femme Nelly Gazeau de la Boissière firent un honneur insigne à mon père en restant pour la cérémonie. Longtemps mon père leurs en sera reconnaissant. Ces gens bien au dessus du commun partageaient toutefois notre quotidien, nous étions leurs métayers, leurs journaliers et nombre d’entre nous postulaient pour intégrer leur domesticité. Moi j’avais perdu un peu du respect des anciens, mais je soulevais quand même le chapeau. Il me prenait même à rêver des dessous de la Nelly, mais point n’est affaire de dentelles que l’amour. Les envies sont les mêmes et les méthodes sont identiques pour les satisfaire que l’on soit riche ou bien pauvre. Mais tout de même madame Gazeau de la Boissière je m’en serais bien délecté.

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