LE BERGER ET LA FILEUSE , Épisode 2 , Domestique de ferme

 

Avec un maigre baluchon je quittais le village de mes ancêtres et  lorsque avec mon oncle nous passâmes devant le petit cimetière, quelques larmes me vinrent, adieu Maman, adieu ma tante, adieu grand père.

D’un revers de main j’essuyais les traces de mon chagrin,  Édouard Borromé Orange ne pleure pas et marche fièrement vers ton destin.

Lorsque je me retournais enfin, le village de Saint Clair sur les Monts avait disparu de la ligne d’horizon. Jamais je n’y retournerai.

Il nous fallut marcher deux jours pour arriver à l’endroit de mon exil, cheminement pénible entre les haies et les bosquets, chemins de pierres et de boue creusés d’ornières profondes.

De loin en loin, des maisons frileusement emmitouflées sous les frondaisons des arbres, inaccessibles, isolées où seul l’aboiement d’un chien signale une présence.

Je n’en pouvais plus mais mon oncle Nicolas me poussait et m’engueulait plus qu’il ne m’encourageait. Pour ne pas user mes sabots ce pingre m’obligeait à marcher pieds nus.

Puis enfin en haut d’une colline il me montra au loin un tapis vert, c’est le bois des loges mon gars.

 » C’est là que tiau va  ».

Pour être précis mon Saint Hélène à moi s’appelait Fongeusemare, un petit village où vivotaient 250 habitants.

Nous arrivâmes à la ferme du moulin. J’étais estomaqué par la taille de l’exploitation, je n’en avait jamais vu de telle, un immense quadrilatère formé de haies aux hautes ramures où s’éparpillaient divers bâtiments.

Il faut bien dire, que ma famille jusqu’alors était plutôt tournée vers le travail du tissu et avait un peu dédaigné le travail agricole. Seulement les temps changeaient et la concurrence des métiers mécaniques anglais faisait mourir à petit feu le tissage isolé et artisanal.

Quelques années en arrière , mon oncle m’aurait sûrement gardé comme petit esclave dans son activité de tissage.

Un homme grand, jeune, la casquette vissée en arrière s’approcha, je suis Jean le grand valet.

Nicolas se décoiffa de son bonnet de coton comme si son interlocuteur était important et me poussa en avant.

Ce fut tout, une poignée de main entre les deux hommes et mon oncle me planta au milieu de la cour avec cet inconnu.

Aucun au revoir, adieu famille.

Mes yeux étaient secs mais j’en avais gros sur le cœur.

Jean me fit découvrir mon nouveau lieu de vie

Le soir je me retrouvais dans une grange où étaient disposées des paillasses, j’appris que seules les femmes dormaient chez le maître.

En tant que dernier arrivant, j’eus droit à la plus mauvaise place, humide, venteuse, exposée à tous les passages. On m’expliqua sommairement ce que je devais savoir. Comme l’heure de la soupe était passée je restais le ventre creux.

Le lendemain à l’aube un coup de pied me réveilla, il fallait que j’aille à l’étable pour la traite.

Après avoir trouvé l’étable, je me retrouvais avec une ribambelle de femmes assises à califourchon sur un petit tabouret de bois et qui tiraient avec dextérité sur les pis des vaches.

On me montra le travail en se moquant de moi, une grosse servante vint me narguer en me disant de toucher sa poitrine, toutes riaient à gorge déployée. Je n’en menais pas large avec toutes ces femelles.

Au départ mes tâches étaient essentiellement celles des femmes, la traite, le bois, l’eau.

Un jour, je me retrouvais au nettoyage de l’étable avec une petite souillon de mon âge, les sabots dans le fumier, le travail était dur, chaleur, humidité , odeur, tout concourait à la pénibilité. Nous étions couverts d’excréments, cela finalement nous fit rire et nous rapprocha, nous sommes devenus amis et comme deux intelligences valent mieux qu’une dans ce monde d’adultes nous avons fait en sorte de nous protéger mutuellement.

Nous étions elle et moi soumis à toutes les convoitises, elle avec sa poitrine naissante et moi avec mon visage encore juvénile, excitions les sens de toute la valetaille.

La hiérarchie était très stricte le maître et son épouse, leurs enfants, puis venait le grand valet et les valets. Il y avaient aussi les charretiers qui eux aussi avaient leur hiérarchie propre, les bergers, puis la cohorte des manouvriers ou journaliers. Ces derniers plus où moins nombreux selon les saisons.

Chez les femmes il y avait la servante de la patronne, dans l’intimité des maîtres elle pétait souvent plus haut que son cul. Puis les servantes de ferme, elles effectuaient les travaux les plus durs et étaient souvent levées les premières. De plus elles étaient un gibier de choix pour le maître et ses fils et pour les mâles en rut à la recherche d’une femelle à trousser avant leur mariage.

Le matin on se levait de bonne heure pour nourrir les bêtes, il n’était pas rare que l’été à 4 heures du matin la ferme soit déjà en activité. Vers 5 h 30 la maîtresse nous faisait servir un repas, soupe, lard, une bolée de cidre. Pas question de couniller, moi le plus jeune j’étais servi le dernier, nous devions avoir fini avant que le grand valet ne referme son couteau. Plus d’une fois j’avais à peine commencé qu’il fallait que j’arrête tout. C’était alors le ventre vide que commençait la journée, heureusement Marie me récupérait un quignon de pain que je me mangeais en cachette.

La journée était très longue, couper du « dîner » de onze heures, avec un même repas que celui du matin mais avec des patates. Si on était au champs c’était les servantes qui nous menaient le repas. C’était joyeux et assez dévergondé. Les valets et les servantes qui n’étaient plus sous l’œil des maîtres se laissaient aller à quelques embrassades.

Le soir nous étions de retour à l’écurie où nous dormions vers les 6 heures, j’étais exténué et je m’endormais comme une souche , même pas troublé par les gémissements des adeptes de la pratique d’Onan.

On trimait comme des bêtes toute la semaine, bien sur je n’étais pas payé on me nourrissait et c’était tout.

Le dimanche on ne travaillait pas, sauf évidement pour la traite et la nourriture des animaux. Pour moi c’était un moment de liberté, le grand valet allait conter fleurette à une fille de Gerville et me laissait livré à moi même. Je n’avais pas grand chose à faire alors je me promenais avec Marie. Elle, on l’obligeait à aller à la messe moi non, alors je l’attendais et nous partions explorer le monde. Le bois des Loges, Cuverville , Gerville, Sausseuzemaren en caux, Auberville la renault, les Loges, Ecrainville, Criquetot , Vatetot., tous ces villages nous appartenaient. Les champs, les bosquets, les arbres tout nous était bon. Je me souviens, nous nous couchions dans l’herbe et nous contemplions les nuages en leur trouvant des formes. Chaque dimanche était plaisir renouvelé. Nous grandîmes ensemble, comme un frère et une sœur.

 

 

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