Les évangiles du petit vendéen

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LES DEUX ÉVANGILES

On a tous dans nos tiroirs des vieux documents transmis de génération en génération, pieusement conservés, ils sont notre mémoire familiale.

A les examiner de plus près, on s’aperçoit souvent que la petite histoire rejoint la grande.

En l’espèce les deux documents dont je vais parler sont deux petits livrets,  » le Saint Évangile selon Saint Jean et le Saint Évangile selon Saint Marc et Saint Luc  »

Ils ont été donnés à l’arrière-grand-père de ma femme, Jean-Marie Proux.  Ces 2 évangiles en l’état seraient restés muets si quelqu’un n’avait collé en page de garde un avis de décès. C’est autour de ce dernier que je vais construire mon récit.

Plantons le décors, nous sommes en Vendée dans le petit village de la Mothe-Achard à la fin du 19ème siècle et plus précisément en 1892.

Le petit Jean-Marie a 8 ans, il vit au hameau de la Cossonnière à la Chapelle-Achard où son grand-père Pierre Cloutour tient une métairie. C’est une exploitation familiale, comme on en voit beaucoup en Vendée, son père et sa mère y travaillent de concert avec le patriarche vieillissant.
Ils reprendront le métayage de la Cossonnière quand l’ancien n’en pourra vraiment plus.

Cette fin de siècle est Républicaine en droit,  (la 3ème république n’est pas bien vieille )mais monarchiste de cœur, surtout en Vendée. Les bon’ gens du château sont encore vénérés où pour le moins respectés.

La religion catholique influence encore fortement les mentalités et imprègne l’éducation scolaire, comme elle imprègne les âmes.

Le faire-part collé sur les Saints Évangiles est celui de Madame Nathalie d’Arlanges.

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Qui est cette femme dont le souvenir s’est perpétué par l’intermédiaire de ces livrets et qui dans une sorte d’ex-voto sont restés sur le buffet d’une campagnarde vendéenne exilée en Charente, jusqu’à sa mort en 1970 ?

Mme d’Arlanges est châtelaine du Plessis d’Arlanges à la Mothe-Achard et nous y reviendrons, bienfaitrice de la Commune.

Elle est née en 1805 au château de la Bassetière à Saint-Julien-des-Landes, son nom de jeune fille est Morisson de la Bassetière. (Famille d’origine écossaise )

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Château de la Bassetière

 

Son père émigré en 1793 combat dans l’armée de Condé, et a  le bras cassé à la bataille d’Hondschoot le 7 septembre 1793. Notre vendéen est dans le camps des vaincus car l’armée des sans-culottes patriotes écrase l’armée régulière Autrichienne.
Ce père manque aussi mourir à Quiberon lors du débarquement manqué des royalistes. Nous le retrouvons Aide Major général commandant la division de Palluau lors de la révolte Vendéenne de 1815.

La famille malgré l’immigration garde ses biens, Nathalie se marie en 1828 avec le marquis d’Arlanges. Ils s’installent au château du Plessis Landry, demeure achetée par Monsieur d’Arlanges en 1827 et qu’ils reconstruisent en 1845. Le couple a trois filles qui font de beaux mariages entre nobliaux.

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Château du Plessis d’Arlanges

Le marquis d’Arlanges meurt en 1859, Mme d’Arlanges ne reste pas seule car sa fille Noémie s’installe à demeure avec son mari sur le domaine.

Très pieuse elle ne manque s’en doute aucune messe, elle tente de faire le bien, s’occupe des enfants de ses métayers. Charitable, elle apporte secours et réconfort aux indigents de la commune.

Mais le combat de la fin de sa vie est la création d’une école pour les enfants des alentours.

Au début des années 1880, les hommes politiques de la jeune République considèrent que la consolidation de cette dernière passe par l’instruction publique. Bien sur, les écoles existent en grands nombres,  elles sont souvent aux mains des religieux. Voulant maintenant affranchir les consciences de l’emprise de l’église, ils se doivent de former une élite qui pourra évincer  les congréganistes. L’école normale d’instituteur est créée par décret du 9 août 1879, l’année 1884 voit la gratuité de l’école publique. L’école est obligatoire désormais   de 6 à 13 ans, ce qui n’arrange  guère les paysans qui perdent une main d’œuvre gratuite. Les religieux doivent obtenir un brevet de capacité pour rester en fonction dans les écoles élémentaires.

Mais la loi se durcit et en 1886 les prêtres sont écartés des écoles publiques par la laïcisation du personnel.

Cela n’alla pas pas sans mal dans les pays de forte imprégnation religieuse comme la Vendée. La plus grande partie de l’enseignement se faisait par l’intermédiaire des congréganistes ( frères de Saint-Gabriel ).

Reprenons maintenant la lecture du faire -part, sous son nom il est écrit que Mme d’Arlanges est la fondatrice de l’école des frères de la Mothe-Achard et insigne bienfaitrice des pauvres.

En effet en 1883, elle fonde cette école avec un instituteur congréganiste Pierre Pfeiffer. Jean Marie a certainement usé ses fonds de culottes dans cet établissement. Au milieu des lois sur la laïcité, les prêtres et les châteaux résistent contre les manigance de la  » Gueuse  » avec la complicité du peuple des campagnes Vendéennes qui préfèrent voir leurs enfants aux mains des bons curés que dans ceux des instituteurs des premières promotions des Écoles Normales.

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[Demande d’ouverture d’une école primaire libre dans la maison de Mme d’Arlanges par M. Pfeffer, instituteur] : pignon sur la maison, façade sur la cour, [plan des classes] / Signé par l’architecte, Guillerot.

( archive numérisée Vendée)

 

Nathalie d’Arlanges décède pieusement au château du Plessis d’Arlange ( il avait été renommé, du nom de ses propriétaires ) entourée des siens et de sa domesticité. Le père Pfeiffer directeur de conscience est à ses cotés et déclare le décès avec Jean Baptiste Jolly le garde particulier du domaine.

La fille de Mme d’Arlange, Noémie Chasteigner continua de faire le bien et de ses deniers aida à la création de l’école des filles de la Mothe-Achard en 1896 et à la construction d’une nouvelle église en 1898, ( un regain d’activité religieuse en Vendée fit que les anciennes églises devinrent trop petites, on en reconstruisit donc des plus grandes ). Il est paradoxale que cette piété grandissante fit plus de dégâts dans l’architecture Vendéenne que la déchristianisation révolutionnaire.

Quand pensait Jean- Marie Proux (sur les évangiles son nom est orthographié Proud ), probablement rien ? Il travailla à son tour à la Cossonière, se maria et migra avec femme et enfant à Coulonges petit village charentais.

Les Saints Évangiles suivirent la famille, la femme de Jean-Marie, Mathilde Guerin pétrie en dévotion, garda donc ses pages précieuses où se perpétue le souvenir de la fille du général des guerres de Vendée.

Jean-Marie qui se moquait certainement des bondieuseries de sa femme est décédé prématurément en 1940, alors que sa femme vécut jusqu’en 1970, sûrement protégée par les deux petits livrets rouges. Albertine leur fille, les garda en souvenir et Jeannette leur petite fille, les transmit à ma femme présentement leur arrière petite fille.

Pour conclure ne jamais jeter des documents familiaux, ils sont un pont entre nous et le passé. Un souvenir générationnel tendu entre nous et ceux qui nous ont précédés.

Pascal Tramaux

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