LES FEMMES DE L’INSURRECTION, PARTIE 1/5

Il règne en ce mois d’octobre 1790 comme un parfum de bonheur, un je ne sais quoi de folie. C’est bien sûr indéfinissable et je ne sais pas si les autres villageois le ressentent comme moi.

Je vole comme un oiseau, mes tâches ne sont plus contraignantes, et la dureté des vendanges n’a pas eu de prise sur moi. Mon mari me dit que depuis les événements j’ai rajeuni, ce n’est pas vrai car on a l’age de ses artères et les miennes ont trente cinq ans.

Certes le remue-ménage des débuts de la révolution me transcendent, tous s’accorde à dire que nous y avons gagné, c’est à voir. En attendant et c’est ce qui nous importe, les droits féodaux ont été abolis dans la nuit du quatre août 1789 c’est irrévocable et on ne peut revenir en arrière. Même si certains nous soutiennent le contraire , nous n’avons plus à nous acquitter des impôts . Ça ira, ça ira les aristocrates à la lanterne, à ça ira ça ira les aristocrates on les pendra.

A Varaize mon petit village de Charente inférieure le maire est un suppôt de l’ancien pouvoir, sûrement pas méchant mais pas vraiment tourné vers nous les gens du peuple . Il faut dire que le bonhomme se fait donner du sieur et que son aisance oratoire est bien aussi grande que son aisance matérielle. Le Pierre Latierce est régisseur du seigneur de Varaize autrement dit, il est preneur de la fortune du dénommé Michel Charles Amelot de Gournay conseiller du roi en ses conseils, maître des requêtes de son hôtel et président à mortier au parlement de Paris. Mais depuis que le conseiller a cassé sa pipe c’est sa veuve qui résidant à Varaize fait régner une sorte de terreur.

Il paraît que notre maire n’est même pas natif du village, pourquoi les hommes se sont ils laissés aveugler, n’y avaient ils pas d’autres personnes instruites et plus proches de nos vœux.

Mon homme dit que cela ne durera pas et qu’il faudra bien que les riches rendent gorge un jour.

En attendant un sentiment un peu bizarre plane au dessus de nos champs, les hommes animés par une soif de causerie passent leur temps libre à refaire le monde , à parler de politique , de constitution, de gouvernement, d’impôt.

Quand il rentre de la salle de réunion où il a écouté un avocat nommé Laplanche, mon Michel est sur un nuage, le discoureur l’a ensorcelé, il mange à peine tant il a de choses à me raconter.

Devant la table familiale lui aussi devient orateur, je suis son public, il parle pour moi . Je le trouve beau, je bois ses paroles. Il me répète que l’avocat a dit qu’il ne devait plus payer d’impôt. Moi je trouve cela bizarre mais j’adhère fatalement et puis qui voudrait en payer de ces foutus impôts. Lorsqu’il a participé à ces rassemblements mon mari n’a plus la même contenance, le devoir conjugal se transforme en une joute d’amants passionnés, je dois dire que j’aimerais que cette situation perdure. Nous avons retrouvé notre jeunesse et il me surprend par des innovations amoureuse dont je n’avais même pas idée. Je ne lui cède en rien et ma fougue atteint bien la sienne. Nous avons nous aussi fait notre révolution personnelle. Michel n’a pas eu beaucoup de mal à vaincre ma Bastille, rien qu’à le voir il m’émoustille et je peste en attendant que les enfants s’endorment. Il faut dire que cela fait douze années qu’il m’a mariée alors peut être qu’il nous fallait cela.

En tous cas j’ai de la chance, que Michel prenne en considération mes propres envies, car visiblement ce n’est pas habituel. J’en discute avec les autres femmes au lavoir ou à la sortie de l’office. C’est un peu tabou mais par bribes on arrive à savoir qui est heureuse ou pas de ce coté là.

Mais revenons un peu à monsieur notre maire lui du haut de sa grandeur croit que l’on va céder et qu’on va continuer à payer des droits seigneuriaux à De Gournay. Il en est tellement sûr que sa femme ironise en remuant du cul à l’église. D’ailleurs nous sommes nombreuses à nous accorder qu’on lui mettrait bien à l’air pour lui tanner le cuir. Elle, c’est une Clergeaux, une authentique noble qu’on a mariée à l’age de douze ans ou plutôt qu’on a vendue au nouveau fortuné qu’était Latierce. C’est y pas malheureux à cet age là où on a encore du lait lorsqu’on appuie sur le nez et on n’en a pas dans les mamelles.

Bref, lui soutient la controverse contre Laplanche et elle soutient que les paysans sont des êtres viles et inférieurs et qu’ils doivent pour leur bien payer et payer encore.

Un joli couple en vérité suivit il est vrai par une petite partie de la population.

La vérité est que la querelle entre l’avocat Laplanche et le régisseur Latierce révèle une fronde plus grande qui touche tout le district de Saint Jean d’Angély. Toutes les paroisses ou plutôt communes maintenant sont en ébullition.

2 réflexions au sujet de « LES FEMMES DE L’INSURRECTION, PARTIE 1/5 »

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  2. Bonjour, je vous ai déjà écrit, je crois, que j’aime bien votre blog et votre écriture. À défaut de pouvoir vous l’adresser personnellement, je poste en commentaire une question à la lecture de ces deux premières articles de la série femmes dans l’insurrection. Excusez-moi si elle est naïve ou déplacée, mais je souhaiterais savoir sur quelles sources vous vous appuyez pour ces beaux récits et quelle est la part de fiction, de romancé, dans ces récits. Encore bravo !

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