LE GROGNARD DE TAUGON, PARTIE 1/25, LES ULTIMES AUDITEURS

 

 

Malgré la vivacité des flammes de mon âtre qui peuvent être comparées au feu de l’enfer, j’ai froid.

Une couverture sur mes genoux et mon vieux chat n’y changent rien, je suis toujours gelé, mon fauteuil est pourtant au plus près de la cheminée. Ma fille Rose me dit tous les jours que je vais un de ces jours me mettre le feu dessus.

Je me contente d’opiner du chef et de sourire intérieurement, car je pense que bientôt les feux du purgatoire me dévoreront. Cela me chagrine un peu car j’aimerais bien retrouver au paradis celle qui fut mon amour, ma compagne, ma femme et mon amante.

Elle était plus jeune que moi et pourtant c’est elle qui est partie en premier , injustice certainement mais qu’est-ce qui est juste dans la vie.

Depuis que son corps repose au cimetière du village je ne suis plus moi même, je ne suis plus rien.

Lorsque je me couche je sens encore son corps dans le creux de mon lit, je passe alors ma main sur le drap, mais celui ci est désespérément vide, froid. Alors comme un vieil idiot je rallume ma chandelle et je vérifie, mais c’est le vide qui répond à mon regard, c’est la solitude qui répond à mon appel.

Sur une chaise, abandonné un vieux jupon et son ancien caraco, je ne peux me contraindre à les enlever. Ma fille qui tous les jours vient me voir tente chaque jour de me les faire ranger.

Non il faut que ces reliques de vie restent encore un peu. Elle dit que ça me consume de l’intérieur, sans doute a -t’-elle raison.

Je ne sors que très peu, mon souffle est court, mes jambes ont du mal à supporter le poids de ma vie, c’est bientôt la fin j’en suis conscient.

Pourtant je me force à vivre encore un peu sans d’ailleurs que je sache réellement pourquoi. Nous les hommes avons je crois la mauvaise habitude de vouloir nous accrocher à la vie, même si cela est inutile.

Je me rends quand même chaque jour boire une chopine à l’auberge, on me salue avec respect, mais je sens aussi que c’est plus le spectre et le survivant d’une époque révolue qui fait qu’on soulève son chapeau devant moi.

N’allez pas croire que je suis cacochyme, il y a peu je travaillais sur mes terres et sur celles des autres .

Je gagnais mon pain comme le tout à chacun, la terre, la pierre, l’eau chacun a son élément mais nous sommes tous mus par la nécessité de répandre notre sueur.

Certains disent de moi que je suis une personnalité, un être d’exception, ce n’est pas exact. Ma vie a été modelée sans que je n’y puisse grand chose.

Mais j’y pense, cette destinée qui est la mienne vous ne la connaissez peut être pas. Je l’ai déjà racontée des fois et des fois, dans les veillées, dans les mariages, à l’auberge, sur le chemin qui mène aux champs. Mes enfants disent évidemment que je radote, ils ont certes raison mais une dernière fois je vais vous conter à vous ce que fut ma destinée. Vous serez mes ultimes auditeurs.

Je suis né à la Ronde une annexe de la paroisse de Taugon le 26 septembre 1785, c’est le vicaire Benoist qui m’a baptisé.

Non pas que mon père fusse très pratiquant et crut en Dieu. Il pensait que tout cela était des niaiseries pour tenir le peuple, mais j’imagine que comme le tout à chacun, il y fut contraint par l’habitude des choses.

C’est à l’église Saint Pierre que je fis mon entrée dans la communauté chrétienne, mon parrain fut René Paillat, un petit cousin de mon père et celle qui me tint sur les fonds baptismaux se nommait Marie Jeanne Lusseau une sœur à maman.

Je ne sais si l’on m’attribua le prénom de René en mémoire de mon grand père ou si je pris celui de mon parrain. La chose n’est pas claire et son insignifiance marquante m’a tracassé quelque fois.

Papa était un homme de la pierre ce qui dans un pays d’eau est je trouve assez cocasse. Un maçon dans un village où les huttes de cabaniers dominaient , pouvait être assez anachronique, mais il faut croire que les constructions de pierre commençaient à se développer. D’ailleurs une grande partie de la famille avait épousé ce dur métier et il faut croire qu’ils en vivaient.

Maman était fille de journalier c’est à dire fille de rien. La miséreuse graine d’un miséreux courbé sur la plèbe et qui crevait pour les autres. Elle était de Saint Jean de Liversay, alors que mon père était authentiquement de La Ronde.

Nous avions aussi quelques terres, que le père cultivait en complément et en ma prime jeunesse je fus donc un enfant de la terre et de la pierre.

Nous n’étions pas malheureux, mon père gagnait bien sa vie, et l’eau des marais nous apportait comme à tous un complément non négligeable. Nous étions bien sûr des gens modestes mais nous ne faisions pas partis des ventres creux et mon postérieur ne fut jamais soumis aux frimas.

Je ne me souviens guère de ma plus petite enfance, mais une chose est sûr c’est quand ces temps, franchir ce cap n’était pas chose aisée. Quand je suis arrivé j’étais le sixième fils que ma mère donnait à mon père. Il en était peut être heureux mais devait certainement penser que les quatre qui lui restaient étaient déjà bien suffisants.

Mais comme cela n’était pas une science bien exacte ma mère généreuse lui donna une pissouse et un autre garçon tardif. Je n’étais donc pas seul et je pouvais partager les torgnoles et les coups de badines .

Bien que mon classement dans la fratrie ne me conférait pas une importance extraordinaire , je peux dire que papa qui était la rugosité incarnée ne me maltraitait pas outre mesure.

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