LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 11/17, 7 MEUNIERS, 7 TISSERANDS, 7 TAILLEURS FONT 21 VOLEURS

En mars 1721 la famille est touchée par un drame, Marie la sœur de Pierre est au plus mal, elle est rongée par une maladie qui la fait tousser, cracher du sang, elle qui était bien forte n’est plus que brindille.

Marie Fleurissonne malgré son gros ventre fait chaque jour le trajet pour aller chez sa belle sœur. Elle se fatigue à cette tache qui est d’ailleurs pour elle un vrai sacerdoce.

Tous les jours elle doit laver celle qui est presque sa sœur, ce n’est pas le mari qui va nettoyer la merde de sa femme et leur petite âgée de dix ans en est bien incapable, alors qui d’autre ?

En outre afin que la moribonde puisse sereinement mourir ils ont pris leur petit dernier au moulin. Ce n’est qu’un enfant de quatre ans mais une personne de plus pour la déjà très occupée meunière.

Le 28 mars âgée de 38 ans Marie Fleurisson épouse Moisnet décède en son domicile. Pierre est atterré, il aimait cette sœur qu’il prenait facilement pour confidente, et ce malgré qu’elle se fut mésalliée avec ce journalier sans terre et sans avenir. D’ailleurs il n’avait jamais compris pourquoi son père avait accepté une telle chose. Mais il est vrai que Marie était veuve et libre de son corps. Les ailes du moulin sont arrêtées, désentoilées et mise en croix. On ne moud pas de la farine avec un mort dans la maison, cela porterait malheur

Le lendemain on l’enterre, il faut batailler car le curé Luneau veut la jeter dans un trou dans le nouveau cimetière de la Grenouillière. Pierre se jette dans la bataille, avec toutes les aumônes qu’il donne , sa sœur peut bien être ensevelie dans le vieux cimetière sous la protection rapprochée de l’église Saint Pierre.

De ce fait la cohorte des neveux et nièces hantera le moulin et sa table mise, mais rien n’est gratuit et les plus vieux aideront aux travaux sous la direction de leur tante.

En juin 1721 l’efficacité de l’avorteuse se révèle nulle car il vient un garçon à Marie qu’on prénomme François. Pierre songe déjà à prendre un deuxième moulin pour que tous ses garçons soient meuniers comme lui. Le parrain sera Louis Moisnet le veuf, ainsi il pourra croire qu’il est encore implanté dans la fratrie.

En août c’est encore un décès pour la famille mais n’en parlons pas ce n’est qu’un enfant femelle de quatre ans, une place dans un lit se libère ainsi.

Le corps de Marie est un véritable sablier que l’on retourne, le temps et les grossesses s’écoulent, Nicolas en 1723, Jean Baptiste en 1726, Anne en 1728 et pour conclure François en 1730.

Heureusement François le premier est mort à 9 mois en 1722 et le second n’a vécu que deux jours.

Cela fait une belle famille tout de même, Marie maintenant est tranquille, les menstrues ont disparu c’est une seconde vie pour elle. Elle a porté 12 fois, son corps est fatigué. Mais qu’importe son physique elle éprouve tout de même une immense satisfaction de la vie.

Elle est meunière et fière de l’être, si ils ne sont pas riches n’y opulents, ils ont acquis une certaine aisance. Certes au prix d’un travail constant et d’une dureté incroyable. Les sacs énormes que portent son mari, les heures passées à contrôler ce foutu vent capricieux, à vérifier ses meules. A tempérer, à se faire respecter des paysans qui suspectent Pierre d’être un voleur.

Puis il y a le reste, même si ils ne sont pas paysans, ils ont des bêtes à s’occuper, une mule, un âne, des cochons et bien sûr un poulailler bien rempli.

Car il faut savoir que le moulin tient presque table ouverte toute la journée, les paysans qui amènent leurs grains, ne les lâchent pas des yeux de peur qu’on ne les vole sur les mesures. Alors ils sont là dans les jambes de Pierre à toujours vérifier.

Mais le ménage est bien rodé, chacun son rôle. Marie se charge d’éloigner les trop curieux, alors un petit verre, une collation, une soupe, un coup de blanche. Alors Pierre peut gruger l’innocent à qui Marie fait les yeux doux. C’est une question de dosage, le meunier doit être un peu voleur si il veut s’engraisser mais point trop afin que les finauds ne se doutent de rien.

Mais que croient ces imbéciles, souvent le transport est fait par le meunier qui lui paye un aide pour quérir les fameux grains. En principe le meunier prélève un boisseau par hectolitre mais un meunier habile fait couler quelques kilos de farine entre la caisse de réception et le bâti de la meule. Pierre aussi arrête la meule avant qu’elle ne finisse le grain de la trémie et récupère ainsi le surplus.

Ne dit on pas, sept meuniers, sept tisserands, sept tailleurs font 21 voleurs.

Mais en général cela est un peu un jeu, tous ne surveillent pas et comprennent que dans la vie tout se paye. Les repas pris au moulin, les marchandises que les meuniers transportent gratuitement au marché tout cela a finalement un prix.

Mais si Pierre n’a pas une mauvaise réputation et est considéré comme entrant dans la moyenne d’une honnêteté raisonnable, il n’en est pas de même pour sa réputation de coureur de jupons.

Les pères sont souvent inquiets d’envoyer leurs filles au moulin, ils y sont parfois obligés lorsque les gros travaux sont en cours.

Pierre d’ailleurs lorsqu’il s’est un peu chauffé avec quelques comparses clame qu’il a dépucelé plus d’une drôlesse et que les maris ne le remercient pas assez de cet apprentissage. Marie soulève alors les épaules de tant de jactance .

Mais elle a quand même un jour surpris son homme le cul à l’air qui besognait une servante de la métairie de Linozeau. Cela les avaient certes interrompus mais Pierre n’en avait pas été plus troublé que cela, la chose lui paraissait normale. L’impudente avait remonté ses jupons et n’était plus jamais réapparue à sa connaissance au moulin.

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