LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 5/17 , RÊVERIES DE MEUNIER

A quelque temps de là, Pierre de loin admire les rondeurs de sa femme, ils en ont maintenant la confirmation, ils vont être parents. Il espère bien sûr que cela sera un garçon, l’idée d’avoir une fille ne lui sourit pas.

Sa beauté juvénile est maintenant magnifiée par la grossesse, sa poitrine est une invite à l’amour et le reste est à l’avenant. Pierre la poursuit sans cesse de ses assiduités, elle s’échappe de ses grosses pattes en riant, elle est de plus en plus amoureuse et le désir également sans cesse.

Lui se régale d’avance à l’idée qu’elle vienne à lui dans le moulin, il est seul en ce moment, le falin est parti chez des clients et son père qui sert de garde moulin est parti boire une chopine chez Rouault le cabaretier. Il vient de mettre du grain dans la trémie, les meules tournent au rythme des rouages, le vent est stable en sa direction et les ailes du moulin, il en est sûr ne s’affoleront pas. Il a donc du temps pour lui et pour elle.

Seulement elle ne l’entend pas de cette oreille et se dirige vers le moulin qui se trouve de l’autre coté du chemin presque en vis à vis du sien.

Entre meunier on se jalouse un peu, on s’observe, mais l’on se fréquente. La Robine comme on la nomme est enceinte du Gaspard Robin, les deux femmes porteront ensemble et s’aideront mutuellement, comme les maris s’entraident en cas de coup dur sur les moulins.

Il ne reste plus à Pierre qu’à laisser libre cours à son imagination ou plutôt à ses souvenirs.

Lorsqu’il a quitté son village de l’Île d’Elle il n’était qu’un enfant, mais pourtant il aimait cet endroit de terre et d’eau, il aimait la Sèvre qui cheminait lentement depuis Niort pour se diriger vers le Braud, il aimait avec les autres gamins jeter des pierres dans l’onde profonde et voir les ricochets strier la surface limpide des eaux. Des heures durant il regardait les multiples barques qui amenaient au port de Marans les fruits du labeur de la fourmilière des marais et de l’arrière pays.

Il aurait aimer être l’un de ces marins qui sur ces coursier des mers s’engageaient par le fleuve dans la baie de l’aiguillon puis après le pertuis Breton dans les profondeurs océanes.

Mais il se savait rivé aux ailes tournantes des moulins et à la mouture des grains de blé, il n’en avait pas forcément le regret mais juste un désir de voyage chevillé au corps.

On lui avait conter l’étrange histoire de cette région autrefois sous les eaux, aux temps ou l’ile-d’elle était une ile, ainsi que Maillezay, la Ronde, Taugon, Damvix, Irleau, Charron, Saint Michel en l’herm et bien d’autres.

Au temps où Marans était forteresse sur un promontoire rocheux surplombant l’océan et où la Vendée, la Sèvre, le Mignon et l’Autize n’étaient pas que simples filets au maigre courant.

Bien sûr il ne restait rien de tout cela, les hommes ayant œuvré pour structurer le paysage et assécher les terres. Mais il en restait, les vastes canaux et une atmosphère que chérissait Pierre. Il avait même haïs son père d’avoir fait choix de partir et de s’enterrer dans ce tout autre.

Benon c’est la forêt, l’ancienne et vaste qu’on nommait Argenson et qui sombre et noire allait jusqu’au fin fond de l’Angoumois. Les moines défricheurs ont fait un massacre de cette sylve antédiluvienne et primitive, mais les lambeaux restant inquiéteront toujours Pierre. Il est toujours l’enfant des marais et ne sera jamais celui des bois.

A chaque fois que ses pas le mènent vers les profondeurs de la forêt une sourde terreur l’envahit, il n’en dit rien mais son inquiétude est bien présente. Dans le bas de la Roulière près du moulin à eau, un chemin sombre et bordé d’arbres tutélaires,  s’enfonce dans la masse compacte des taillis comme le Styx  s’engouffre dans les enfers.

Sa femme le moque de sa peur lorsqu’il longe à sa droite la terre des Galipaudes, et à sa gauche celle des Palènes. Elle le traite de pissouse, de fillette, de pleutre. Lui s’en agace et un jour pour lui prouver sa vaillance l’a trainée au bout du bout,  là haut sur la motte aux loups. Elle fut surprise de le voir aller aussi loin et en rigola encore. Pris d’une colère de se voir démasquer il voulut marquer encore plus sa puissance d’homme n’ayant peur de rien . Alors sur un simple tapis de mousse, croyant entendre le hurlement de quelques meutes, il a tenté d’exorciser sa propre terreur en possédant celle qui se moque. Marie surprise se débattit un peu mais pas trop, partagée entre une envie de son mâle et la honte de se retrouver les fesses à l’air  avec comme témoins le soleil et les nuages. Elle cria parce qu’il lui fit mal mais cria aussi de plaisir , tout se mélangea en elle.  Lui  l’orgueilleux, lorsque repu de son geste, il la laissa remettre de l’ordre dans sa vêture, vit  dans ses yeux de la haine .

Avait-il vaincu sa phobie des hautes futaies et des ronciers grouillants de vie sauvage, rien en fait n’était moins sûr.  Marie outragée par le corps de son homme, révoltée par ce bestial dénouement pleura de chaudes larmes sur le chemin du retour.

L’enfant qui va lui naitre est peut être celui de la forêt, celui de sa réconciliation avec la nature qui l’entoure. Superstitieux il redoute un drôle à tête de loup, une gamine velue ou monstre à trois pattes. Il regrette aussi la légèreté de sa femme lorsqu’elle se donnait à lui avant cela, mais il en est sûr après la naissance tout reviendra comme avant.

 

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