LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 3/17, LES NOTABLES

Sur la droite descend le chemin qui par la forêt va à Surgères, la colonne s’engage sur le chemin de Benon à Bouhet. Au loin se dresse la tour écroulée du château féodal, c’est une masse de pierres émergeant de la végétation.

Alors que les mariés passent devant le grand moulin des jards et ses dépendances, la queue du cortège se fragmente déjà. Les vieux lézardent en refaisant le monde et les parents distribuent quelques taloches pour refréner l’ardeur des enfants excités par la perspective de la noce joyeuse.

Sur la gauche le fief blanc dessine une mosaïque de champs, souvent minces lanières enclavées et qui peignent le paysage d’une couleur chatoyante.

Les restes du château apparaissent, ses ruines grandioses d’un passé révolu entourées de fossés presque comblés se dressent comme une dentelle de pierre usée. Seule une tour garde une apparence médiévale et militaire , le reste n’est que vilaine maison bourgeoise .

En haut de la côte l’on tourne et l’on redescend oubliant le chemin de la grenouillère. Sur le pas des portes les gueules noircies des charbonniers arborent des sourires quémandeurs. Des mains sales se tendent vers les noceurs endimanchés, la gueuserie de certaines filles de charbonniers n’a pas de limite pour ramasser une miette de richesse. Pierre le jeune meunier n’a guère de compassion pour ces êtres faméliques des bois et les écarte d’un revers de la main. Marie tout à l’heure fera bon office et donnera quelques restes de ripaille à ces ventres creux sans se préoccuper de son peu compatissant mari.

Enfin ils arrivent, les musicien cessent leur ensorcellement musical. Le curé est là dans son aube brodée. Pierre est fier d’avoir obtenu l’autorisation de se marier un dimanche, normalement le père Luneau refuse ce genre d’entorse au jour du seigneur. Mais il ne peut rien contre la puissance montante de cette famille de fariniers que sont les Fleurisson. Puis le curé, pourtant de taille respectable, semble se rapetisser face au personnage qui lui fait face et qui le domine par son importance.

Pierre imbu de sa personne se rengorge d’avoir l’honneur que son mariage soit parrainé par un tel personnage, localement important.

Hannibal Poirel, 62 ans conseiller du roi et receveur des consignations de la ville de La Rochelle, seigneur de la Morderie et de Beaumont, fils de feu Antoine notaire et garde des sceaux du comté de Benon, est le représentant d’une famille de gents de robe anoblis de la région. Son neveu Louis est le seigneur de la châtellenie du Gué d’Alleré.

Il est propriétaire de nombreuses terres et de moulins dont celui de la Roulière tenu par Pierre Fleurisson et son père. Comme un coq qui chante au milieu de ses poules, Pierre se hausse du col, il plastronne comme si le roi soleil lui faisait l’honneur de venir de Versailles. Il salue son maître et le remercie, tenant son chapeau bien bas, l’on sent sa servilité. Jacques Rouault le notaire présent dans la foule dit à son frère Jean, greffier et avocat, pour un peu il va lui lécher le cul le farineux .

L’obséquiosité excessive de Pierre fait sourire, pourtant on le jalouse d’avoir à ses noces un noble personnage.

Dans l’église Saint Pierre il y a presse, tous les invités et les villageois s’installent, certains prennent leur place attitrée par une baillette passée avec la fabrique.

Sous la vénérable maison du seigneur qui date du 12ème et qu’on a récemment sauvée d’une ruine éminente Pierre Fleurisson et Marie Brillouet sont unis devant Dieu par les liens du mariage. Marie n’est plus sous la tutelle de son curateur François Parpay mais passe sous le joug de l’autorité de son mari. Elle aura bien évidement la désagréable surprise d’être aussi sous l’emprise dU vieux qui malgré qu’il soit déclinant dirige d’une main de fer son moulin, sa famille et sa parentelle.

A l’issue de la cérémonie où Jean le père, André Bastard le cousin germain, Louis Moisnet le beau frère, Jean Pageaud un autre cousin germain pour le marié ont servi de témoins. André cosson, l’oncle, François Parpay, le curateur et cousin germain, Jean Parpay cousin germain et frère du précédent témoin de la marié et Hannibal Poirel et Étienne Roussin amis, assistent également les mariés. Aucun des mariés ne signent le registre, la meunerie n’a pas besoin de lettré, Jean l’ancêtre n’a jamais su tracer la moindre lettre et il a bien réussi.

Après la solennité l’on peut passer à la liesse, au moulin les tables sont dressées, les estomacs sont prêts et les gosiers bien secs.

Pierre a vu grand et les festivités commencent, les plats s’enchaînent, la liesse est a son comble, il est fier de sa réussite même si il la sait incomplète et entièrement due à son père.

Hanibal Poirel a décliné l’invitation au repas mais les autres notables sont passés à la Roulière. Après le repas c’est la danse, les plus jeunes s’en donnent à cœur joie et font virouner les demoiselles à marier. Les plus vieux s’éteignent peu à peu dans les discussions et l’alcool.

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