LE GROGNARD DE TAUGON, PARTIE 2/25, L’ENFANCE SOUS LA RÉVOLUTION

Voilà pour l’environnement familial mais nous aurons l’occasion d’en reparler.

La Ronde et Taugon jusqu’à maintenant étaient une seule et même paroisse, enfin si l’on peut employer ces mots lorsqu’on désigne une annexe. En tous cas elles avaient chacune une église et l’on peut dire qu’elles furent certainement séparées à une période ou à une autre.

Les deux paroisses étaient posées sur un roc formant comme une île dans une immensité de marais. Elles étaient comme des tours gardant l’entrée d’une forteresse. Ce monde aquatique, fait d’eau stagnante, de fossés, de buttes, de joncs et de haies vives était nous avait dit le curé l’ancien golf des pictons. L’on pouvait même dire que chaque commune était une ancienne île. Cet univers avec mes yeux d’enfant, était fascinant et terrifiant à la fois. Nos déplacement étaient rythmés par le passage de ses canaux et de ses ruisseaux qui me paraissaient rivière.

Puis il y avait la rivière Sèvre qui serpentait tranquillement, reliant la grande ville de Niort et la grande ville de Marans. L’une ouverte sur les terres profondes de la province du Poitou et de la Gâtine, l’autre ouverte sur les contrées océaniques. Après avoir obtenu l’autorisation du passeur nous allions regarder inlassablement passer les gabares chargées de marchandises. Ces embarcations nous paraissaient gigantesques et nous rêvions à quelques voyages vers le lointain.

Papa me traînait comme mes frères sur tous les chantiers, ils étaient plus vieux que moi et travaillaient comme des hommes. L’hiver nous ramassions des pierres de champs avec les paysans, puis en un travail de forçat les maçons préparaient les faces visibles pour les constructions qui débuteraient au printemps. Travail de titan, les tas formant montagne, mes jeunes mains y gagnaient en ampoules et en cales. Mes frères pour rigoler me faisait pisser dans mes mains pour soulager la douleur.

Puis vint le grand bouleversement, j’étais petit mais j’en ai perçu l’agitation. Les gens étaient survoltés, mus par l’espérance d’une vie meilleure.

Nous au village dans nos marais on en percevait une version erronée, merveilleuse, lisse et allant de soit. On apprit la prise de la bastille mais nous ne savions pas ce que c’était, des plus avisés expliquèrent que cette prise d’assaut d’une forteresse royale était un symbole de la liberté.

Peut être, mais mon père au soleil de juillet, montait toujours ses murs avec mes frères aînés et ma mère pliait sous les taches agricoles pour nous sortir d’une crasse pauvreté.

Je crois même que l’on planta un arbre dit de la liberté et que mes frères avec quelques coquines dansèrent autour.

Nous ne parlions pas de république, le roi pour la plupart d’entre nous était sacré. Mais le mauvais temps arriva, il voulut  s’enfuir et se fit reconnaitre bêtement par un maitre de poste. La guerre contre l’Europe coalisée arriva doucement et mes frères tremblèrent lorsque tous les hommes de 18 à 40 ans non mariés furent réquisitionnés pour aller se battre. Ils ne partirent pas mais la menace planait insidieuse.

Il y eut aussi cette abolition des droits seigneuriaux, l’on comprit qu’on ne payerait plus rien, foutue bêtise, les droit attachés aux terres étaient rachetables. Mon père gueula tant qu’il put mais les décisions de l’assemblée parisienne ne correspondaient pas forcément aux aspirations du peuple des campagnes

Ma mère enfin souffrit de cette histoire de prêtre jureur, elle aimait le sien et la forme qu’avait pris ce clergé séculaire. Notre bon prêtre comme notre bon roi étaient sacrés dans son esprit et jamais elle ne transigera là dessus, même quand le destin me permit de servir le grand homme.

Ensuite les biens de l’église furent vendus, si les lots n’avaient pas été trop gros nous aurions pû peut être acquérir un bien,mais les jolies terres furent phagocytées par les bourgeois des villes ou les coqs de village. Papa bourse vide se tapa sur le ventre et bu une chopine.

Vint ensuite la terreur des comités, le roi passa au rasoir national ainsi que celle qu’on appelait plus que l’autrichienne. Première république avec un calendrier bizarre, on nous enlevait les dimanches et la messe, cela grondait ferme.

J’appris en voyant passer des troupes que les départements limitrophes se soulevaient, le notre sous l’influence des villes de garnisons comme La Rochelle, Rochefort et Saintes ne bougea pas.

Je me souviens que les gens vivaient sous un régime d’inquiétude, le moindre mot, la moindre opinion contraire pouvaient vous mener devant une bande d’excités qui vous menaient de vie à trépas.

La situation redevint plus calme, bien que la guerre continua de plus belle, on commençait à parler d’un général au nom bizarre.

Moi j’avais grandi, de pantalons fraternels en pantalons fraternels. J’étais plus grand que mes aînés et ma mère fut contrainte de me trouver des habits plus saillants. Les marais nous servaient de terrain de jeux et nous y reproduisions les batailles de Hoche, Marceau, et Bonaparte. Commençait aussi à apparaître les filles, des jeux moins innocents succédaient aux jeux guerriers. Nous devenions pudiques sur les bords de la sèvre alors que peu de temps auparavant nous nous y baignons nus.

Moi j’étais un peu en avance sur certains de mes camarades, une fine moustache, des poils dans la culotte et une musculature de maçon en devenir.

Car oui mon destin oscillait sans cesse entre la maçonnerie et le travail de la terre. Mais la révolution n’entraînant pas la richesse, les constructions devinrent plus rares et mon père me colla au cul des vaches. Moi qui plutôt courait au cul des filles et braconnait les anguilles au marais la contrainte des bêtes et des travaux agraires m’emmerda au plus au point. J’osais donner mon avis, mais une magistrale trempe me fit rentrer dans le rang. Mon père ne badinait pas avec son autorité.

Je devins donc journalier et comme les autres une bête de somme.

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