LE GROGNARD DE TAUGON, ÉPISODE 17, L’ILE D’ELBE

Nous étions  anéantis, tout cela pour rien, la misère, la mort, la fatigue et la faim. Nous avions gagné une éternelle réputation et lui rentrait peu à peu dans sa légende.

Après la sidération nous apprenions qu’il allait emmener certains de nous avec lui, il fallait des volontaires.

J’ étais  l’un des premiers à me présenter, pas une sirène de mon pays avait de son chant réussi à me détourner de mon devoir.

Devant l’abondance des demandes serais-je pris, il y a même des officiers qui demandaient à servir comme simples grenadiers.

La tension montait dans les quartiers de la garde, l’incertitude était grande pour tous, alors le 7 avril tout le monde quitta  le cantonnement, en armes, des torches à la main.

J’étais  évidemment l’un d’eux, l’on cria vive l’empereur , à bas les traître, à Paris, vive l’empereur.

Dans les jours qui suivirent, j’appris que je restais avec l’empereur, il y avaient  beaucoup de mécontents, des bagarres éclatèrent

C’était enfin l’épilogue de cette tragique histoire, notre monde venait  de s’écrouler, moi qui au départ n’était nullement volontaire pour me faire tuer, pas plus pour Bonaparte que pour un autre. Moi qui pendant longtemps avait végété dans les montagnes brûlantes de l ‘Espagne et qui n’avait été chauffé que tardivement par le zénith j’allais finalement suivre comme un idolâtre celui que certains considéraient comme le fossoyeur de la France.

C’était au vrai un peu incompréhensible mais quand vous aviez été foudroyé par son regard jamais plus vous n’étiez le même. En ma jeunesse je rigolais de l’extase que procurait à certaines la vue d’un christ et maintenant lorsque je me trouvais à proximité de ce bonhomme tout rond, et ventripotent je le considérais comme une divinité christique.

Le 20 avril 1814 nous étions réunis dans la cour du château, c’était le départ du grand homme, l’ambiance était celle d’un enterrement . Pas un seul membre de sa famille n’était présent, aucun dignitaire. Tous ces tristes personnages qui  s’étaient roulés pendant tout l’empire dans l’or qui avait découlé de sa gloire, s’étaient reniés pour conserver leur bien matériel. Retrouveront-ils une dignité en baisant le cul du gros roi et en léchant les pieds des immigrés de retour en leurs hôtels ?

Le général Petit fit présenter les armes, notre tondu portait son uniforme favori, celui des chasseurs.

Son éternel chapeau sur la tête, la lente construction de sa légende commençait, un tel départ, une telle solennité vous forgeait une image bien supérieure à n’importe quelle entrée dans un palais.

Il vint  à la rencontre du général lui serra la main et entama ses adieux. Je ne perçus pas grand chose des paroles mais lorsque Petit brandit son épée et hurla vive l’empereur, je m’époumonais et hurlais à mon tour comme tous les autres.

Ne pouvant nous remercier tous, je le vis qui étreignit le général et qui embrassa à trois reprises l’aigle symbolique.

Adieu mes enfants, il partait et nous laissait dévastés au milieu de la cour du cheval blanc. Nous vîmes  la grosse berline s’éloigner puis nous entendîmes s’éteindre peu à peu le bruit de ses roues et le bruit des grenadiers à cheval qui l’escortaient.

Nous avons attendu  même plusieurs jours afin de prendre la route pour le rejoindre, nous faisions nos adieux à ceux qui étaient licenciés, et à ceux qui voulaient devenir gardes royaux.

Encore une fois ou comme à chaque fois nous devions marcher. C’était le colonel Cambronne qui nous commandait.

Nous allions embarquer à Savone en Italie, il y avait un sacré chemin, près de 300 lieux.

La descente vers la méditerranée se passa bien, chaque ville nous faisait liesse, il faut dire que nous en imposions et certains opposants à notre passage s’en souviendront longtemps. Chaque entrée dans une ville ou village se faisait tambour battant et arme au bras.

Avallon, Saulieu, Macon, Lyon , Chambéry, Montmémian, Le Mont Cenis, Savone. Enfin nous y étions, prit pour moitié dans les grenadiers et les chasseurs de la vieille garde on s’appelait désormais tous grenadiers.

D’après ce qu’on dit nous étions 472, mais à cela il fallait rajouter, 20 marins , 28 artilleurs, 84 polonais et 122 officiers et sous officiers, 24 officiers polonais, 8 mameluks, 20 musiciens et 14 tambours.

On embarqua sur quatre ou cinq bateaux anglais le 19 mai, la traversée ne fut pas longue, puisque nous arrivâmes dans la nuit du 25 au 26 mai. J’avais hâte d’arriver car pour mon premier voyage en mer j’avais été malade. J’avais passé plus de temps pencher sur le bastingage que dans l’entre pont où nous étions entassés.

Quel  soulagement quand j’ai entendu la vigie crier terre, immédiatement nous étions tous sur le pont afin d’apercevoir la côte qui vaguement se dessinait. Notre joie était indicible.

Le débarquement s’effectua à 8 heure du matin, l’empereur était là sur le quai à nous attendre, il était aussi heureux que nous, on aurait dit un gamin devant une friandise. Il avait retrouvé ses grognards et nous notre Dieu. Sur la place d’arme de Porto-Ferrajo on se forma en carré, il nous harangua comme il savait si bien le faire. La terre ne me portait plus, enfin nous allions goutter sa présence. Certes les dimensions de cette place n’étaient pas celles du carrousel, ni de la cours du cheval blanc mais il était là et bien là.

On prit nos quartiers au fort de l’étoile et à la caserne Saint François et la vie s’organisa.

Ce n »était pas une vie exaltante, même si l’écrin était magnifique, l’île était  petite et les distractions forts rares. Il n »y avait que 12 000 habitants et nous nous demandions comment nous allions trouver une compagnie féminine.

On tenta de nous occuper et chaque matin nous effectuions une prise d’armes , pour sûr c’était beau mais on s’en lassa vite. Le tondu avait bien organisé une fanfare mais la lassitude et le mal du pays allaient nous gagner c’est sûr. Heureusement le vin de l’île était bon et coulait à flot. Cela occasionna des bagarres et du désordre, mais une concentration pareille de jeunes soldats en manque d’occupation les engendrait presque normalement.

Pour le service c’était simple, on montait la garde auprès de l’empereur où sur les ouvrages de défense de l’île afin qu’on ne nous enlève pas l’empereur. J’ai aussi oublié de le dire mais dans ma poche ne me quittait pas ma cocarde tricolore. On avait été obligé de la retirer pour mettre celle de notre nouveau royaume.

Le temps s’étira doucement, la solde était maigre, je mâchonnais ma pipe en regardant du coté de la France, il me prit l’envie de me gifler d’avoir choisi une telle vie.

Certains ont épousé des Elboise, moi j’avais épousé le vin du pays et ma foi j’ai cru attraper une saloperie avec une ribaude de l’auberge sauvage.

Mais sans qu’on sache grand chose nous ressentions une agitation autour de l’empereur, beaucoup de visiteurs du continent. Au grand dame de Cambronne qui voulait contrôler tout de peur d’un attentat, l’empereur reçut tout le monde. Cela le distrayait d’autant qu’il attendait en vain sa femme et son fils. La traîtresse était déjà dans les bras d’un autre, notre empereur était cocu c’est sûr. Il eut quand même la visite de son illégitime, la polonaise et du petit bâtard qu’il avait eu avec. Elle ne resta guère car pour attendre la légitime il ne devait pas avoir son ex amante au palais. Il y eut sa sœur Pauline qui vint tout de même, pour nous ce fut un plaisir.

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