LE GROGNARD DE TAUGON, ÉPISODE 16, LES DERNIÈRES TRAITRISES

Nous autres étions  prêts à fusiller tous ces députés, ces sénateurs cousus d’or, sans même parler du prince de Bénévent et du prince d’Otrante qui a eux deux formaient un bataillon de Judas.

Les alliés arrivèrent vers Paris, avec notre empereur on reprit la route le 28 mars pour arriver avant eux. La couronne impériale vacillait, le rougeaud et les autres maréchaux qui lui devaient tout étaient  prêt à se renier. Nous on en pleurait et nos larmes sur nos joues tannées gelaient tellement il faisait un froid de mort. L’artillerie s’enlisait, les chevaux crevaient, nous autre c’était la faim qui nous tenaillait . Les paysans n’avaient plus rien, ils avaient  déjà été pillés par les mongols des steppes et par les chiens de prussiens. De temps à autres une femme surgissait de sa mansarde et en pleurant nous offrait son dernier morceau de pain. Des paysans qui s’étaient transformés en partisans nous aidaient à trouver notre chemin parmi le blizzard, les kilomètres s’enchaînaient vite, toujours plus vite. Nous étions à Troyes et on apprit que l’impératrice et le roi de Rome avaient quitté les Tuileries, le bateau coulait . Napoléon donna le commandement de l’armée à Berthier prince de Neuchâtel, nous on allait marcher sous les ordres du rougeaud, Michel Ney duc d’Elchingen et prince de la Moskowa. En d’autres temps cela aurait été un honneur de servir sous ses ordres mais tout le monde disait déjà qu’il allait trahir. Moi je ne pouvais y croire mais des officiers en parlaient et n’étaient pas très confiants.

Le 30 mars, nous partions à quatre heures du matin, la nuit était noire et toujours aussi froide, nos membres ankylosés avaient bien du mal à se mouvoir.

Alors que nous crevions de fatigue et que nous allions enfin bivouaquer nous apprenions l’impensable, Paris c’était rendu à l’ennemi, pas ou peu de combat. La capitale avait été vendue.

C’était la fin ou presque, nous allions à Fontainebleau. Je ne raconte pas la bataille de Paris je n’y était pas.

Le tondu arriva au château de Fontainebleau nous y présentâmes les armes. Il se disait qu’il avait encore 600000 hommes autour de lui,  avec cela on pouvait renverser la situation. Avec nos jambes, notre volonté et son génie nous pouvions encore vaincre. Puis nous étions persuadés que les ouvriers parisiens à la vue de l’empereur et de sa garde prendraient les armes, oui nous allions vaincre et repousser ces barbares.

Le 3 avril 1814 dimanche des rameaux , nous étions  réunis dans la cour du château au pied de l’escalier en fer à cheval. Toute la division Friand était  là, nous les chasseurs étions en avant , les grenadiers et les gendarmes juste derrière nous. En face, fiers et martiaux, les gamins de la jeune garde. Sur le perron les officiers faisaient  grise mine, visiblement ils seraient mieux en leurs châteaux et hôtels. Il y avait là Berthier, Moncey, Ney, Drouot, Bertrand, Caulaincourt.

On présenta les armes, les tambours battaient aux champs. C’était une revue, une inspection, le petit caporal avait  la mine des mauvais jours, il passa devant moi, je sentis son souffle et remarqua qu’il me fixait. Comme aux grands jours il passa tout en détail, sa garde devait être belle et impeccable.

Puis il réunit ses plus vieux officiers, sous officiers et soldats. Il fit ouvrir le ban et les harangua .

Tout y passa, les offres de paix, les trahisons, la cocarde blanche, puis son intention d’attaquer Paris. Il s’anima et demanda si tout le monde était prêt à le suivre, personne ne répondit, alors il demanda  » ai je raison  ».

Alors ce ne fut que liesse, vive l’empereur, à Paris , vive l’empereur. A ces paroles répondit un délire complet, vengeance, vengeance, à Paris, vive l’empereur.

Les troupes défilèrent et hurlèrent, la musique du premier grenadier exécuta le chant du départ et la marseillaise

La victoire en chantant nous ouvre la barrière
La Liberté guide nos pas.
Et du Nord au Midi la trompette guerrière
A sonné l’heure des combats.
Tremblez ennemis de la France,
Rois ivres de sang et d’orgueil ;
Le Peuple souverain s’avance :
Tyrans descendez au cercueil !

Nous étions fou de joie, ivre de gloire, et avide de vengeance. Nous étions convaincus que nous allions vaincre une dernière fois.

On était  encore une fois prêt à mourir pour lui.

Mais le lendemain les maréchaux eurent raison du tondu, il abdiqua en faveur du roi de Rome c’était la consternation chez nous. Moi j’irais bien crever la paillasse au brave des braves et au distingué duc de Caulaincourt.

Mais il était  dit que l’on boirait la coupe jusqu’à la lie, Marmont duc de Raguse brisa par sa trahison toutes velléités de défense, cette fois c’est la fin, le 6 avril l’abdication était définitive.

Le roi bourbon revint dans les valises des Russes et Napoléon devenait souverain de l’île d’Elbe.

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