LE GROGNARD DE TAUGON, PARTIE 14/25, PARIS SE RAPPROCHE

Les Autrichiens par la vallée de la Seine et les prussiens par la vallée de la Marne se séparèrent dangereusement face au meilleur stratège d’Europe.

Le 10 février à Champaubert les gamins mettaient une trempe aux sauvages de l’est, nous on intervenait que le lendemain.

Dès 4 heures du matin avec ma division on fila sur Montmirail, autant vous dire que nous n’ avions  pas dormi de la nuit. J’avais simplement volé quelques minutes de sommeil à la nuit enveloppé dans mon manteau.

La journée fut longue croyez moi, sans soupe, sans pain, le nez au vent et les boulets qui tombaient comme grêle.

Au départ ce furent  les petits Marie-Louise qui se coltinèrent l’ennemi, puis quand le petit caporal eut tout le monde à sa main nous les enfonçâmes

Nous étions  à coté de la ferme des Grénaux, c’est un paysan qui nous servant de guide nous l’affirma. Nous on vit rien de la bataille, seuls les chefs avaient  une vision d’ensemble et encore dans le meilleur des cas.

Vers 15 heures le maréchal Ney se mit à notre tête, c’était  sans doute le meilleur pour foncer tête baissée. Mais avant cela le rougeaud nous fit ouvrir nos bassinets afin que nous jetions nos amorces au vent , il exigea que l’on charge seulement  à la baïonnette. Ainsi fait nous enfonçâmes  les russes de Sacken qui nous faisaient  face. Malgré leur supériorité numérique ils ne valaient pas grand chose. Nos cris, nos chants, nos tambours se mirent  à l’unisson du massacre. Nous vengions les femmes violées, les paysans massacrés, les objets sacerdotaux pillés. Mort aux cosaques, aux mongols, aux kalmouks, tue et crève. Ma baïonnette ruisselait  d’un sang impure celui qui abreuvait nos sillons.

On resta sur place quelques jours, les paysans enterrèrent les cadavres et on essaya de trouver à manger. Nous étions  vainqueurs mais cela ne servait à rien, les alliés étaient toujours plus nombreux et nous de moins en moins. Nous avions un peu le sentiment que cela allait finir mal mais nous lui faisions confiance aveuglément.

Nous n’étions que des tas de boue, plus hommes des bois que soldats, nous peinions dans tous les déplacements. Tout se ressemble sous le ciel bas de cet hiver maudit, le Morin, la Marne, la Seine, nous jouions avec les eaux gonflées par les pluies. D’ailleurs nous ne savions pas où nous étions  la plupart du temps mais nous nous doutions qu’on se rapprochait de Paris.

On était  maintenant à Nangis et l’on campait dans le parc du château, le tondu lui dormait sur son lit de camps dans les vieux murs. La cavalerie avait  bien travaillé dans la plaine près du village de Mormant.

Au bivouac un camarade nous raconta sa mésaventure. Alors qu’il était à refaire son bandage à la jambe au milieu de la route l’empereur qui arrivait à cheval lui dit   »tu ne me vois donc pas ». Le bougre lui répond   »la route est à tout le monde ». L’empereur lui dit mais que veux tu, mauvaise tête, tu as la croix, ton fusil, ta pipe, ton bidon plein, du Kaiserliks et du russe à gogo et en plus tu vois ton empereur tous les jours. Notre camarade fit un peu durer le plaisir et nous dit je lui ai répondu que » mon bidon sonne creux, comme mes tripes et que ce n’est pas avec les cinq sous que tu nous donnes par jour quand on les a qu’on peut faire bombance ». Le tondu lui a répondu  » crois tu que mes affaires vont mieux que les tiennes  ». Le copain lui a répondu  » pour ça non ! On est dans la merde.

L’empereur lui a dit je vois ce qui te manques  » tu veux de la bataille ; tu en auras demain et de la bonne  ». Le petit caporal il était bien bon, même si on marchait plus qu’on ne se battait, les occasions de se faire plomber étaient  quand même multiples.

Toujours est il qu’on avait pu boire un coup car le vieux avait  été marqué généreusement de dix Napoléons.

Moi au chef je n’avais jamais eu l’occasion de lui parler mais ces récits me confortaient dans mon admiration pour lui. Certes je préférerais ne pas mourir, il valait  mieux vivre pour quelqu’un que de gagner le royaume des cieux pour lui.

18 février 1814, nous voilà en bataille près d’une grande forêt, il faisait humide et glacial, les toits de chaume du village de Villeneuve les bordes nous apparaissaient dans une couronne de brouillard. Le jour succédait à la nuit, deux lignes de 4500 bonnets à poils, j’avais  des frisson à chaque fois, c’était Friant qui nous commandait.

Devant il y avait  le général Cambronne avec 1200 chasseurs, puis les 900 du général Henrion puis nous, puis des grenadiers. Les tambours étaient prêts à battre et on avait fourbi nos armes. Au loin nous entendions le canon, les gars du coin nous disaient que c’était  sur Montereau, une ville où la Seine et l’Yonne se rejoignent. Nous attendîmes  dans le froid et la boue, ce n’était qu’une habitude à prendre. Il y avait des cadavres de Bavarois fixés dans une étrange immobilité, ils n’avaient  pas encore été détroussés, la population se terrait et bon nombre de chaumière avaient été détruites lors des combats du jour d’avant.

Il se disait  que l’empereur était mécontent du maréchal Victor, celui qu’on appelle Beau soleil allait en prendre pour son grade, le tondu il était pas finaud avec ses généraux.

On fit enfin mouvement mais encore une fois on allait  rester en réserve, la bataille se fit sans nous.

Les autres régiments ne nous aimaient  guère, on était  mieux payés qu’eux, on mangeait mieux, on était mieux habillés et surtout on mourait  moins, pas aimés mais convoités, c’était notre lot. Le Napoléon gagna encore une fois  mais hélas encore une fois pour rien.

On resta deux jours à Montereau, le chef dans son palais du château de Survillle et nous en campement sur le plateau balayé par les vents. Au niveau paysage c’était à ne pas se mentir magnifique, ces cours d’eau qui se rejoignaient, ces vieilles maisons qui couraient le long de l’eau.

Mais bon je pourrais certainement plus m’extasier lorsque  la belle saison ramènera  les blés dans les  champs et qu’ils se pareront d’une belle couleur jaune. Alors que là de faction les pieds dans la boue, la gueule au vent je maudissais ce foutu pays Seine et Marnais.

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