Je faisais partie de ceux qui devaient accrocher les autrichiens qui se trouvaient dans le petit village de Chatenay. Il fallut qu’on fasse quatre lieux en pleine nuit sous une neige battante. Baïonnette au canon chaque peloton était guidé par un habitant, sans eux nous nous serions perdu depuis longtemps, je peinais à suivre mon camarade de devant. Foutu tondu il allait nous faire crever avant l’age.
Notre chef le baron Albert nous fit ranger en bataille dans les ravins du village pendant que d’autres contournaient les lignes ennemies. Nous engageâmes le combat, ce fut un véritable succès, la surprise et notre hargne firent que nous massacrâmes les autrichiens. J’eus la satisfaction d’en tuer plusieurs de mes mains, je n’étais pas spécialement sanguinaire mais l’ivresse du combat me faisait presque autant jouir que le cul de ma bourgeoise teutonne.
Mais tout cela ne fut que petites choses, l’on revint à Langres. Mortie avait fabriqué 60 0000 cartouches par la population, le fait est que nous avions des munitions mais pas à manger.
Tout devint critique, le 18 janvier on battait la grenadière et la carabinière et l’on se massa sur la place de l’hôtel de ville. Direction le plateau de Corlée, on marcha à en mourir. Minuit nous faisions un faux bivouac et nous nous glissions dans la nuit. Ces marches et contres marches ne servirent à rien, Langres était pris, ainsi que Chaumont que nous étions sensés secourir. Le combat de Chaumont et les marches nous avaient épuisés, si cela continuait je ne donnais pas cher de ma peau.
Heureusement les autrichiens devaient aussi se reposer et les quelques jours de répit nous firent le plus grand bien . Nous étions prés de Bar sur Aube, l’ennemi ne devait pas passer la rivière, nous fîmes front le 24 janvier 1814, toujours du froid, de la neige et de la pluie. La disproportion des forces était gigantesque mais la garde ne reculait pas, plutôt mourir que de sentir le froid du déshonneur.
Pourtant nous finîmes par partir pour couvrir la route de Paris. Le 27 on atteignait la ville de Troyes, aucune éclaircie dans le brouillard de notre retraite.
La seule bonne chose c’était que le tondu était de retour aux commandes, fini les mésententes entre maréchaux, lui seul pourrait nous tirer de cette merde.
J’étais aux ordres du général Petit car Curial était passé à la jeune garde, mon régiment avait deux bataillons pour un ensemble de 898 hommes, bien sur il y avait beaucoup de jeunes car les vieilles bacchantes étaient mortes mais l’esprit de la garde était encore là, » vive l’empereur. »
Quand il arriva, notre empereur et bien il ne savait pas grand chose, le nombre des ennemis et leurs positions étaient très flous et surtout fluctuants.
Il commença dès le 27 janvier une série de victoires, les prussiens dans la ville de Saint Dizier en firent les frais. Nous n’en fumes pas, malgré la célérité de nos jambes.
De fait nous passions notre temps à marcher, Arcis sur Aube, Troyes, toujours un temps dégueulasse. Nous ne savions bien sûr absolument rien et je crois que nos chefs n’en savaient pas beaucoup plus. Un cavalier nous apprit que Napoléon avait mis une fessée aux Russes et à Blucher mais comment savoir la vérité.
Nous apprîmes que la vérité se situait entre les deux, vainqueur à Brienne, Napoléon avait été vaincu par le nombre à la Rothière. C’est à Troyes le 3 février qu’avec mon régiment on le revit cela faisait bientôt trois mois que nous étions séparés de lui.
Les acclamations de notre part furent vives mais celles de la population apeurée par tous les revirements qui survenaient, un peu moins. L’empereur mit même pied à terre pour constater que les gens se terraient chez eux pour protéger leurs biens ou du moins pour l’ avoir à disposition lorsque l’ennemi reviendrait.
Le 4 février nous étions réunis en avant de Troyes, la jeune et la vieille garde, l’empereur passa dans nos rang. Nous étions couverts de boue mais nos armes reluisaient, nous étions dépenaillés mais nous nous étions rasés. Un coup de boutoir en avant et les Autrichiens se méprirent et crurent que nous allions nous porter sur Langres. Il n’en était rien et dès le 6 février nous nous portions vers Nogent.
Mais rien n’allait, Murat le beau frère était un traître, la Belgique était perdue, les désertions augmentaient et les édiles regimbaient à soutenir l’effort de guerre. Heureusement la garde était là vigilante. A aucun moment je me disais que j’allais repartir chez moi, non il fallait tenir pour le bien de l’empire, de la France et du petit Tondu.
Mais Empereur ou pas il nous fallait marcher et encore marcher, le temps ne s’arrangeait pas mais on s’habituait. Non, moi ce qui me gênait c’était de parcourir des lieux et des lieux le ventre vide, cela je ne pouvais m’y habituer. En marchant on forma les jeunes, ils ne seraient pas parfaits dans le combat mais comme nous les vieux ils mourraient dignement.
Autrichiens et Prussiens, le génie voulait les battre à tour de rôle, le Schwarzenberg et le Blucher étaient des idiots qui ne s’y entendaient guère.