LE GROGNARD DE TAUGON, PARTIE 11/25, LA RETRAITE

Au bivouac ceux qui avaient fait Austerlitz, Eylau, Friedland, Wagram et Borodino disaient avec fatalisme que cette fois, même le Napo ne s’en sortirait pas. Leur multitude était telle qu’avec certitude on crèverait sous leur nombre. Le programme ne me plaisait guère, je mâchonnais ma pipe et le sommeil ne vint pas.

C’est le  16 octobre 1813 que  le drame se joua, de bon matin on se mit en mouvement. Je ne saurais dire ou nous nous trouvions exactement  mais le déploiement des troupes était toujours aussi beau à mes yeux. Nous attendions l’arme au pied. Le combat démarra magnifique en son intensité, les duels d’artillerie entre  l’ennemi et la garde furent spectaculaires. Un vrai orage, une pluie de boulets et encore et encore des rangs d’hommes fauchés. Seule la jeune garde eut l’honneur de donner.  Nous les vieux gardions un œil  sur notre empereur. Mais les boulets nous atteignaient  nous contraignant à serrer les rangs  afin de combler les places des  malheureux qui étaient touchés.

Mais le soir il faut bien le dire, la victoire n’était pas là, nous avions reculé. La nuit se passa  assis sur nos sacs, prêts à défendre notre Dieu. D’heure en heure nous effectuions les relèves. Je finissais toutefois  par m’écrouler de sommeil. Au loin j’entendais les artilleurs qui faisaient rouler leurs pièces et les chevaux des cavaliers qui hennissaient sous l’effet de la faim et de la lassitude.

Pendant la nuit de nombreuses estafettes partirent donner les ordres, il fallait resserrer les lignes, les convois se retirèrent peu à peu derrière le fleuve l’Elster.

Nous on suivit  l’empereur sur le Thonberg, il nous partagea en quatre colonnes auxquelles on attribua  une batterie d’artillerie.

Les combats reprenaient partout, les blessés affluaient dans la ville, les morts s’entassaient sans qu’on puisse les enterrer. Déjà des détrousseurs s’activaient et de nombreux soldats roides dans leur nudité égrainaient le champ d’horreur.

Les Autrichiens voulaient passer le fleuve pour nous couper la retraite. Les heures étaient longues, on avait le ventre vide, la fatigue tirait nos traits.

Il se disait dans les rangs que les saxons avaient  tourné les armes contre nous. Cela n’allait  pas arranger nos affaires, j’avais un mauvais pressentiment. C’était  fugace mais je crus à la fin d’une époque, la fin d’un temps. Il pleuvait toujours, nous étions trempés de nouveau, la brume était  dense et ce brouillard ouaté ne  faisait qu’augmenter notre anxiété. Les heures passèrent, de temps à autre un détachement accompagnait l’empereur, les maréchaux paraissaient de temps à autre, chacun était sublime dans son devoir. Ce fut une lutte titanesque, un combat sanguinaire entre des bêtes fauves. Il y avait comme un acharnement meurtrier dans ces joutes. La mort faucha des milliers de soldats mais toujours ils en arrivaient, un fleuve jamais tari qui enveloppait de ses bras nos rangs à nous qui ne faisait que s’amenuiser

Le soir, je fus  de service au palais, l’empereur alla dormir à l’auberge  » aux armes de Prusse » , on prépara le logis c’est à dire qu’on balança les meubles par la fenêtre pour faire place net.

Toute la nuit nous nous chauffâmes de ce bois autour d’un immense brasier. Nous étions fatigués, mais nous devions tout de même manger, on marauda, on cuisina, puis enroulés dans notre toile nous dormîmes d’un sommeil mauvais. Toute la nuit il y eut du mouvement , nous reculions, les pillards avançaient, la population devint mauvaise et profita de nos derniers sous.

On nous sollicita de bon matin pour faire la police, les ponts avaient  sautés prématurément piégeant sur la mauvaise rive des dizaines de milliers d’hommes. Nous, la vieille garde nous étions les seuls à garder notre sang froid, la discipline régnait dans nos rangs. Ailleurs dans les autres corps c’était  la fuite qui prévalait, tous les hommes, malgré qu’ils fussent couturés de gloire perdaient la tête dans ces moment là. Nous les faisions rentrer dans le bon ordre.

C’était  la défaite, une immense et terrible défaite, l’Europe venait  de gagner sur la France. Les chefs alliés exultèrent,  mais se méfiaient  de la bête qui encore pouvait mordre.

Nous accompagnâmes l’empereur à Wissenfeld puis à Erfurt. Napoléon avait  besoin de tout son génie.

Nous reculions encore et encore mais nous nous approchions du Rhin. L’armée était  en mauvais état, nos ventres criaient famines, il pleuvait des trombes d’eau et le typhus tel un allié des coalisés faisait des ravages dans nos rangs.

Heureusement que nos principaux ennemis n’étaient  pas virulents, avec un chef efficace ils auraient certainement pu nous anéantir.

En reculant nous apprîmes dans nos colonnes qu’un corps d’austro bavarois avait l’impudence de vouloir nous barrer le passage.

Le général bavarois De wrede joua le matamore en pensant pouvoir bloquer le grand Napoléon. Ce général vipérin grandit sous les ailes de l’aigle impérial se crut capable avec ses 70 000 hommes de nous bloquer.

Si nous étions  des vaincus nous n’en portions que les stigmates physiques,  au niveau du moral celui de la vieille garde restait infiniment élevé. Notre sentiment de supériorité restait entier, il avait  fallut l’Europe entière et un beau lot de traîtrise pour faire plier nos aigles.

Hanau c’est le nom de la ville que nous allions devoir forcer, une rivière et des marécages gonflés par les pluies d’automne.

Après reconnaissance l’endroit semblait  infranchissable, ponts détruits, forêt occupée.

L’action commença, c’était le maréchal Mac Donald qui commandait, mais cela ne suffit pas.Le tondu ordonna que la vielle garde se mette en carré.  Promptement nous nous exécutâmes.Ce ne fut tout d’abord qu’un combat de tirailleurs, mais il en fallut plus pour se frayer un passage. On engagea l’artillerie de la garde de Drouot et  les chasseurs de la vieille garde, nous allions faire la différence. En colonne nous chargeâmes,  le combat fut magnifique, les boulets tombèrent, le bruit était assourdissant mais finalement nous eûmes le dessus. La garde était  inarrêtable. Dès le lendemain nous étions sur l’autre rive.

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