LE GROGNARD DE TAUGON, PARTIE 10/25, LA BATAILLE DES NATIONS

Le maréchal Blucher ne voulut pas nous affronter, la peur de l’empereur sans doute, il fit demi tour, Napoléon laissa le maréchal Mac Donald en surveillance et nous nous répartîmes vers la ville de Gorlitz. Je n’en pouvais plus, épuisé, je rêvais de m’étendre dans l’herbe verte de mes marais de Taugon.

Cela ne se fit pas cette fois, les Autrichiens arrivèrent sur Dresde, on marcha, on courut. Toujours sous la pluie, la grêle. Des hommes s’égarèrent, n’arrivèrent plus à suivre, il fallait maintenant courir pour arriver encore une fois à temps. L’on cria vive l’empereur et nous fument convaincus qu’il allait mettre une raclée aux troupes de beau papa .

On y était, la garde  ravitaillée par des habitants  favorables, mangeait à sa faim. L’eau de vie me revigora un peu et sembla provisoirement chasser ma fatigue. Nous fîmes un brin de toilette, les membres de la garde devaient monter au combat rasés et propres. Le fait de mourir sans poil au menton me faisait sourire un peu mais je ne luttais pas contre la tradition.

Au moyen de bacs on nous fit  passer les trois bras de l’Elbe, les boulets pleuvaient sur la ville, des incendies se déclarèrent.

Nous, vieille garde on était en réserve générale, mon chef était  le colonel major Deshayes et j’appartenais  à la brigade Curial qui elle même faisait partie de la division Friant. Mes chefs étaient  des héros et c’est bête à dire mais je croyais  que je pouvais mourir pour eux.

La bataille de Dresde commença le 26 août, elle dura deux jours, je n’en connus point les détails mais ce que je sus c’est qu’il avait plu et plu encore, j’ était  trempé, nos fusils firent long feu . Les boulets tombèrent drus et fauchèrent nos rangs, nous souffrions dans cet enfer, mais la garde comme le reste de l’armée ne rompit  pas. La première nuit arrêta les combats, mais dégoulinant de pluie et de boue le ventre vide je m’enroulais dans mon manteau et je m’endormis comme une bête.

Le lendemain cela reprit, nous tenions à peine debout, j’arrivais à récupérer un ignoble quignon de pain moisi, je ne finassais pas et et ne fit pas mon difficile.

Encore une journée d’efforts et nous vainquîmes nos ennemis, mais si la bête étrangère était  terrassée elle n’était pas morte pour autant.

Napoléon trempé comme nous autres rentra au palais et croyant que les Autrichiens ré-attaqueraient le lendemain il ne prévit rien pour les poursuivre. Le problème qui se posa était maintenant le même qu’à chaque fois, il fallait que nous nous  alimentions, la gamelle et surtout la gamelle. Moi les destinées de l’Europe en ce moment je m’en foutais, je voulais simplement me déshabiller pour faire sécher mon linge, tuer quelques poux, manger et chier en paix.

Nous eûmes droit au ravitaillement car la garde se devait d’être bien nourrie mais le reste de l’armée dut je crois se débrouiller.

Nous dûmes aussi rendre les honneurs à notre colonel qui trouva le moyen de se faire tuer, on apprit aussi que le général félon Moreau était passé de vie à trépas, un traître de moins à la France.

Mais si la bataille de Dresde a été gagnée et que tous ont vaillamment combattu il n’en demeurait pas moins vrai que la situation des armes françaises était  difficile. Si Napoléon épaulé par la garde gagna toutes ses batailles, ses lieutenant se firent battre à chaque fois.

D’ailleurs parlons du bonhomme, lui comme nous marchait et marchait encore, infatigable sur son cheval, nous le suivions à grande peine. Un jour au bivouac nous étions près du presbytère d’Hochkirch je l’ai  aperçu. Il était assis sur une botte de paille, éclairé par un incendie, il méditait, silencieux, seul, muré dans sa réflexion. Nous autres en impies nous prenions les croix qui se trouvaient sur les tombes du cimetière pour en faire des feux. Alors que lui réfléchissait au monde, nous nous réfléchissions à notre pitance.

Nous étions  maintenant en octobre 1813, il faisait toujours mauvais dans ce pays, pourquoi s’y accrocher. Nous ne discutions pas les ordres mais tout de même nous pensions à la France. Moi j’avais le mal du pays et souvent je me posais la question de savoir si j’allais le revoir, tant de camarades étaient  déjà morts autour de moi.

Il m’arriva de monter la garde autour du palais impérial, pas à proximité immédiate car je n’étais  pas grenadier mais suffisamment pour apercevoir les empanachés courir dans tous les sens.

Il faisait  froid au cantonnement et comme la région avait déjà été pillée nous avions du mal à améliorer l’ordinaire. Une cantinière me faisait du gringue, elle avait perdu dans les faubourgs de Dresde son homme , un chasseur comme moi mais du premier régiment. Je m’en serais bien occupé physiquement mais pour le reste je n’étais pas preneur. Je préférais ma solitude et pour me satisfaire il y avait toujours les quelques putains qui nous suivaient malgré les interdictions de nos officiers. Il y avait bien des inconvénients et des risques, mon sergent disait que si l’on résistait aux balles des autrichiens on mourrait de la vérole.

Nous allions bientôt nous battre, les alliés se rejoignent pour en finir avec nous, le roi Murat  le beau Murat, le plus beau cavalier de l’empire respirait la traîtrise. Nos alliés les bavarois méditaient un retournement d’alliance, nos amis les saxons étaient peu sûrs.

La garde impériale représentait un tiers des effectifs de l’armée il y avait 47 269 hommes commandés par 1684 officiers. C’est dire que le temps ou la garde n’était pas engagée, était bien révolu. Notre chef comptait sur nous.

Tout le monde disait, même ceux qui n’en savaient rien que l’explication finale aurait lieu autour de la ville de Leipzig.

Moi je ne voulais rien en penser , mais le 14 octobre avec ma division nous nous dirigions là bas.

Dans la ville régnait une atmosphère un peu bizarre, le vieux renouaient immédiatement avec ceux qui les avaient hébergés en 1807. Les plus chanceux se coulaient dans les reins de belles allemandes et d’autres fièrement se baladaient à leur bras sur les avenues. Moi je ne connaissais personne alors je fréquentais les tavernes, je m’enivrais comme si c’était la dernière fois. Cela me fit l’effet d’une dernière fête, une veillée en somme. La population qui ne savait encore qui allait  gagner était encore joviale avec nous mais mon impression finale était  que si l’on perdait, tout ce beau monde accueillerait de la même façon nos gagnants et qu’on nous égorgerait volontiers.

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