UN FUNESTE DESTIN, ÉPISODE 19, Enfin du bonheur

Moi qui n’avait jusqu’à là eu aucune intention particulière à son égard, je me mis à l’admirer.

Je ne me lassais pas de l’observer, de suivre son ombre, de humer son odeur, de boire ses paroles. Voir ce corps éploré, cette âme perdue glisser comme un ectoplasme entre l’âtre et le potager me transcendait, me vivifiait. La petite morte était ma chance, je me nourrissais à la sève de sa mère comme un lierre sur un tronc mort.

Les mois passèrent, et Marie Magdeine resta, c’était pour tout comme ma femme sauf que cela ne l’était pas. Jamais je n’aurais l’audace de toucher ou bien même d’approcher cette idole en laine noire. Pour le village nous étions des suppôts de Satan, sous le même toit , pas mariés, peut être que même nous avions tué nos conjoints, allez savoir.

Lorsqu’elle se rendait à l’église pour la messe moi je n’y allais pas, tous faisaient silence devant l’apparition avec sa mantille noire. Pieuse, elle visitait chaque jour sa fille au nouveau cimetière.Elle lui parlait et même lui chantait parfois une berceuse. On la traita bientôt de folle, un peu de dignité quand même ce n’était qu’une enfant.

Un soir comme tous les soirs je gagnais ma couche, me déshabillais à la lueur chancelante de ma chandelle et me glissais dans les draps rêches et froids confectionnés avec le chanvre du Charre.

Elle apparut soudain dans l’encadrement de la porte, presque dans le noir, je ne voyais que ses contours.

Je la vis retirer son bonnet, puis ôter tour à tour toutes les épingles de ses cheveux. Son dur chignon tomba en une masse folle sur ses épaules. Mon désir montait, inavouable, incontrôlable, Marie se défit de sa robe noire, de son fourreau de deuil. Me fixant elle posa sa jambe sur la chaise qui me servait de table de nuit, négligemment elle fit glisser ses bas noirs sur ses longues jambes effilées.

Je n’osais plus bouger, stupéfait, ébahi, mon désir à son paroxysme. Jamais l’une ou l’autre de mes femmes ne m’avait transporté ainsi.

J’entendis plus que je  ne vis tomber la dernière parure, le dernier voile de la pudeur. Sa chemise en tas comme une offrande au pied du lit invitait à s’en saisir pour en sentir toutes les flagrances.

Offerte, à mon regard, mes yeux scrutaient cette reine, j’allais de ses seins en forme de poires, à son ventre, de sa toison crépue à son visage et de ses bras divins à ses fesses dodues. Elle se glissa le long de moi et me fit l’amour.

Rien ne pourrait décrire ce moment magique, elle devint mienne et je devins sien.

On resta encore quelques temps à troubler l’ordre publique puis quand la rapacité villageoise relâcha ses serres on décida comme un défi d’enfin de nous marier.

On se décida pour le 24 janvier 1853, j’avais 51 ans et elle 42, nous étions libres de nos vies, de nos corps, un mauvais destin nous avait réuni, nous étions soudés comme jamais.

Un indéfectible amour nous unissait et je me mettais à bénir ce jour où je lui avais proposé de s’installer chez moi.

On fit une discrète petite fête, avec nos quatre témoins et leurs épouses, François Renaud mon ami, Louis Torchon compagnon de labour, Jean François Belaud dont la femme ne renia jamais Marie Magdeleine et notre garde champêtre Napoléon Morin le bien prénommé.

Dès lors tout redevint normal, la vie suivit son cours, plus de malheur, plus de décès.

Nous aurions bien voulu faire un petit ou deux, Marie Magdeleine était encore assez jeune pour cela et moi bien assez vert encore. Mais la nature sûrement bien faite nous épargna peut être d’autres catastrophes.

J’avais perdu quatre épouses et pour tout l’or du monde je ne voulais suivre une cinquième fois un triste convoi.

Mon fils François a quitté la maison et est devenu domestique de ferme, puis valet.

Maintenant il se loue comme journalier près de la Jarrie, il y a beaucoup de vignes par là. Cela fait des années que je ne l’ai pas vu.

J’ai maintenant vendu mes terres, cela me fait une petite rente qui complétée par les gages de ma femme nous suffit amplement.

J’aurais peut être préféré que mon fils reste à Saint Sauveur et reprenne les sillons où j’avais tant peiné, mais il ne le voulait pas et la petitesse de mon patrimoine ne correspondait pas à son ambition.

Je suis maintenant au chaud près de l’âtre, je suis fatigué et bien bon à rien, d’autres à mon âge travaillent encore c’est sûr, mais je ne culpabilise pas pour autant. Mes mains tordues ne me permettent plus de soutenir un labeur intense.

Bercé par le bruit des flammes qui crépitent, il me vient à me remémorer les bons et les mauvais souvenirs de ma vie.

Je revois ma première Marie Magdeleine en sa folle jeunesse, pleine de fougue, de surprises. Je me souviens de la première fois avec elle, ma toute première fois avec une femme. Malheureusement je me souviens aussi lorsque les gendarmes l’ont emmenée.

Puis il eut ma vieille, Renée ma bretonne à la peau blanche, douce et gentille. Ce fut une comète dans ma vie j’eus à peine le temps de la connaître et l’apprécier, paix à son âme.

Puis il y a eu Marie la mère de François, je me souviens de tout, notre bal au Gué d’Alleré, notre nuit de noces, ses cris de bonheur lorsqu’elle fut pleine la première fois. Mais aussi sa triste mort, conséquence d’une fausse couche.

Ma deuxième Marie Magdeleine me relie inexorablement à une tragédie celle de ce foutu choléra qui m’emmena cette tendre femme, mes deux garçons et ma mère.

Les mânes de mes disparues viennent souvent me hanter, je les vois , je les sens, elles habitent encore mes vieux murs. Lorsque je me couche auprès de ma troisième Marie Magdeleine je me parle à moi même et me surprends à dire pousse toi Renée, tes pieds sont froids Marie, veux- tu de moi Marie Magdeleine?

Ma femme bougonne de me voir dans mes pensées mais c’est ma vie et son journal défile maintenant que l’ horloge est prête à s’arrêter.

François Petit est mort à Saint Sauveur de Nuaillé ou d’Aunis le 27 juillet 1867, sa dernière femme est décédée le 26 juillet 1884 toujours à Saint Sauveur.

Le seul fils survivant de François s’est marié le 01 juin1869 à Saint Nazaire sur Charente et il est décédé à l’hospice de Rochefort le 11 décembre 1902, d’où descendance.

Fin

UN FUNESTE DESTIN, Épisode 18, l’indigente

Les hommes pour la plupart se remarièrent, les veuves se réfugièrent dans d’autres bras réconfortants et bientôt les enfants oublièrent le rire de leur mère et l’odeur de leur père.

La boisson me coupa toutes velléités de travail, je perdis les fruits de mes vignes. Le revenu de la vente de mon vin me manqua terriblement, l’année 1850 fut terrible je n’arrivais pas à joindre les deux bouts, on me traitait de feignant car ma vigne n’était plus entretenue.

Pour me sauver, pour m’aider on voulut me la racheter, plutôt crever oui.

Pour ce qui était de crever nous n’en étions pas loin, moi je vivais du mauvais vin de l’auberge et mon fils François était nourri chez sa tante. Pas comme un neveu non mais comme un chien à qui l’on jette un quignon de pain dur.

On se moquait de nous, de moi pour mon ivresse constante de ma crasse et de mon fils pour son air de vagabond poussé à la rue et se développant comme une mauvaise herbe. Le maitre d’école n’en voulut plus car je ne payais plus rien. François était aussi battu car soit disant il ramenait des puces et des poux. Il se défendait diablement et le maire m’en faisait reproche.

Cette année de détresse fut longue à passer mais enfin le temps fit son œuvre et péniblement je remontais la pente. La mairie nous avait classé comme indigents, cela me vexa, me cingla le visage, on m’aurait attaché au carcan que cela ne m’aurait pas plus anéanti.

Ce fut  finalement ce qui me sauva.

Fin février 1851 l’un de mes voisins décéda, il s’appelait Charles Court, sa femme un matin frappa à ma porte , elle était comme folle, hirsute, à peine habillée d’un châle qu’elle avait jeté sur sa chemise de nuit.  » Mon mari il est mort , il est mort, venez vite, vite.  »

Je me précipitais à sa suite et pour mort il semblait bien mort. L’homme s’était écroulé de toute sa masse. Il s’était pissé dessus et de sa bouche sortait un filet de bave.

Ne sachant que faire l’éplorée se jeta dans mes bras en pleurant. Il faut bien dire que le contact de ce corps chaud, de ses larmes tièdes qui me mouillaient le cou m’émurent bien au delà de ce que la présence d’un cadavre aurait du m’autoriser.

Cela me fit fondre et comme un idiot je me mis à pleurer aussi.

Il fallut bien s’occuper du corps du défunt, je le portais dans le nid nuptial où sûrement la veille le couple s’était uni.

Le lendemain je suivais le cortège, peu de famille, je tentais de rester en arrière mais Marie Magdeleine tenant sa petite fille par la main me demanda de rester à coté d’elle.

Autant vous dire que tout le village parla du François Petit qui s’installait dans le nid d’un homme point encore enseveli .

Il faut dire que nous passâmes les jours suivant ensemble, elle avait besoin de ceci moi j’avais besoin de cela. On discutait de tout et de rien de notre vie, de nos peines. Elle m’avoua qu’elle n’avait pas d’argent pour payer son loyer et qu’elle allait être jetée dehors.

Sans que je réfléchisse, spontanément je lui proposais de s’installer chez moi. Elle me regarda surprise, puis sans un mot se jeta à mon cou.

Je n’avais aucune idée derrière la tête. Mon fils me regarda d’un drôle d’air quand je lui annonçais la nouvelle.

Ce fut d’un bel effet,une veuve de quinze jours âgée de 30 ans qui s’installait chez le veuf noir.

Encore une fois rien entre nous mais on ne peut empêcher les gens de jaser. J’étais un moins que rien et elle une pauvre fille, nous étions affublés d’un enfant chacun, bien que ma situation ce soit considérablement rétablie le maire nous nota tous deux comme indigents et de plus vivants en concubinage.

J’eus beau protester ainsi fut noté.

Il était aussi écris que je n’en n’avais pas encore fini avec le malheur. Mathilde la fille de Marie Magdeleine tomba malade au mois de mai 1851, le médecin diagnostiqua un refroidissement , la petite sur le bord du champs avait joué avec d’autres gamins, ils étaient trempés de sueur et le soir en rentrant alors que la température fléchissait elle avait du attraper froid.

Il n’empêche, elle eut une belle fièvre, sa gorge lui faisait mal, sa mère la coucha le long d’elle pour la réchauffer car elle tremblait mais aussi pour se rassurer.

Je me permis de rentrer dans la chambre pour m’assurer que tout allait bien, Marie Magdeleine me gratifia d’un sourire qui semblait vouloir dire que tout allait bien.

Rassuré je pouvais aller me coucher car le lendemain je devais mener des bœufs sur la lointaine La Rochelle.

A l’aube je fus surpris de ne pas voir apparaître ma locataire, elle avait en effet pris l’habitude de me faire réchauffer ma soupe le matin avant que je ne parte.

J’appelais doucement, rien, je pris ma chandelle pour aller voir si tout se passait bien. Marie Magdeleine allongée dans sa chemise de lin blanche ne bougeait pas, pétrifiée, le regard fixe comme une pierre de gisant. Sur son visage livide coulait de grosses larmes qui se répandaient le long de son cou puis sur ses épaules dénudées, certaines hésitaient puis allaient se perdre entre les vals de sa poitrine. Dans ses bras serrés ,sa fillette semblait dormir d’un profond sommeil. Les yeux clos, sa peau blanche de poupée de porcelaine était parsemée de fines veinules . Son teint diaphane me fit peur, un fantôme, une dame blanche non pas. Les cheveux mouillées par les pleurs de sa mère lui collaient sur le front, tout aussi immobiles que sa maman mais sans les larmes. Un fantôme ou une dame blanche , non pas mais une morte gamine qui s’en était allée dans les bras chauds de sa maman.

Je devais porter malchance, après mes enfants et mes femmes, mourait une petite que je recueillais en mon sein.

UN FUNESTE DESTIN, Épisode 17, une nuit de mort et de chagrin

Le jour de la fête de la vierge, mon fils René ne se sentit pas très bien, de sa turbulence habituelle il ne restait rien, il eut de la fièvre, vomit, eut la diarrhée. Sa mère le coucha courut chercher le jeune médecin de la Rochelle, celui qui avait remplacé monsieur Potet maintenant malade et épuisé.

Le docteur Pros vint examiner le petit, il hocha le tête en signe d’impuissance, Marie était désespérée, elle le veilla toute la nuit. Le matin j’entendis un cri déchirant de bête que l’on traquait, accrochée au cou sans vie de notre fils. Elle hurlait de désespoir et je dus le lui enlever des bras de force.

Sans était fini pour lui mais hélas aussi pour elle, prise de malaise son corps lâcha, entrailles, estomac elle se vida je ne savais que faire, nous les hommes nous ne sommes pas doués pour cela.

J’appelais ma sœur, mais de peur d’être contaminée elle ne voulut pas me suivre, alors je courus à la cure pour ramener l’une des deux sœurs hospitalières qui étaient venues de la Rochelle pour aider la population. Pleines d’abnégation, remplies d’amour pour leur prochain, on trouva ma femme dans ses déjections évanouie et tenant encore son petit roide comme une buche de noël.

Ce fut terrible, la pire nuit de ma vie, une femme mourante, un fils mort dans son petit lit. Personne d’adulte avec moi, le petit Jacques vint sur mes genoux et s’endormit et François en ainé de neuf ans nous réchauffa une soupe.

Je ne dormis pas de la nuit, Marie râla et agonisa, elle ne pouvait plus respirer. Le curé vint lui administrer les derniers sacrements. Avant de partir elle me recommanda Jacques, je lui promis ce qu’elle voulait. Après un petit moment de sursaut où elle embrassa son fils Jacques et François, elle nous quitta pour toujours.

Sans pleurer sur mon sort car ce n’était pas le moment j’étais veuf pour la quatrième fois.

Il me fallut quand même réagir, j’avais deux cadavres dans la maison et mon fils mort la veille avec cette chaleur commençait à sentir une doucereuse odeur.

C’est seul que je suivis la morne charrette, j’avais eu assez d’argent pour payer une bière à ma femme mais malheureusement sans le sou je dus me résoudre à entourer mon fils d’un simple linceul. Dans la carriole brinquebalante cette petite forme blanche faisait contraste avec la rudesse des planches de sa maman chérie.

Il avait aussi fallu que je graisse la patte aux fossoyeurs pour que les deux soient enterrer côte à côte

. Le curé bâcla l’oraison, il lui fallait courir à l’autre bout du village pour sauver une âme moribonde.

Nous étions au pic de l’épidémie, j’avais perdu ma mère, ma femme et mon fils. J’étais comme un vaisseau perdu sur l’océan, je rentrais chez moi et je bus, encore et encore.

Le lendemain j’étais malade à mon tour, la tête me faisait mal j’avais vomi dans mon lit, j’étais sale, nauséeux et honteux de ma conduite. Mes fils me regardaient plein d’incrédulité, il fallait que je me reprenne. Comme personne ne voulait de mes enfants je juchais le plus petit sur mon dos et accompagné du grand François on alla s’occuper de nos terres.

Mais pourquoi alors que des foyers entiers étaient épargnés, pourquoi alors que l’épidémie semblait régresser j’eus encore une dernière épreuve à subir.

La loi des séries, une damnation céleste, un manque de chance évident, un sort que l’on m’aurait jeté

Je n’avais pas de mot et bientôt je n’aurais plus de larmes. Jacques lorsque l’on revint du champs où il avait gambadé avec d’autres garnement et en pleine insouciance, ne se sentit pas très bien.

Je voulais sans doute refouler mes inquiétude en pensant que ce n’était que de la fatigue. Mais dans la nuit il me réveilla et malheureusement les symptômes étaient les mêmes que pour mon autre fils.

Jacques mourut le soixante quatorzième sur les quatre vingt trois dus au choléra, moi j’étais proche de l’anéantissement, les morts d’enfants sont évidemment légions dans notre dure existence mais tout de même.

J’étais presque seul à le porter en terre, cela aussi était très dur, un enterrement sans le monde, tous derrière, tous derrière et moi devant . Au cimetière la terre des tombes de ma mère , de mon fils et de ma femme n’était pas encore tassée. Les rares fleurs qui avaient été déposées, étaient maintenant bien séchées, presque poussières. Aucune croix, aucune pierre, rien que des monticules de terre qui bientôt s’effaceront pour laisser place aux autres morts qui viendront.

Moi je sombrais immédiatement dans une sorte de néant, comme un trou de sable dont les bord s’effondre lorsque vous tentez de remonter.

Je me mis à boire un peu, beaucoup, j’avais déjà touché le fond une fois mais cette fois il me semblait qu’en toute logique on viendrait à mon aide.

Voila c’est cela je buvais pour qu’on vienne à mon secours, mais personne ne se présenta, Anne ma sœur ne m’adressait plus la parole, son mari bon et généreux m’accordait un signe de tête lointain.

UN FUNESTE DESTIN, ÉPISODE 16, le début d’une liste macabre

Ma mère claqua la porte et une heure après ma sœur vint chercher son balluchon. Nous eûmes droit à une représentation théâtrale comme les bohémiens nous en donnaient de temps en temps sur la place. J’étais un mauvais fils, Marie qu’une pièce rapportée qui n’avait rien à dire. Ce départ nous soulagea, ma femme retrouva un peu de sérénité et de légèreté.

Le problème c’est qu’elle ne voulut plus nous garder les enfants.

Mon beau frère François Bourru était fort mécontent de se retrouver avec la vieille aux pieds de son lit. Il me battit froid un moment puis comme nos terres et nos maisons étaient voisines il fut difficile que l’on s’ignore. Alors sans se préoccuper des femmes on but notre canon ensemble , on fit route aux champs l’un à coté de l’autre et on continua à s’entraider.

Il faisait une chaleur épouvantable en cette fin de mois de mai 1849, digne d’un mois d’aout. Les températures allaient nous amener à une vilaine sécheresse. La Charre, le petit ruisseau qui traversait le village était presque à sec, le chanvre qui rouissait, exhalait une odeur nauséabonde, tous nous souffrions déjà de cette chaleur inaccoutumée pour la saison.

J’étais chez Rousseaux le forgeron, quand François Bourru est venu me chercher pour me dire que ma mère était au plus mal.

Je fus vraiment étonné car jamais je ne l’avais vue malade. En chemin il m’expliqua qu’elle vomissait sans arrêt et qu’elle se chiait dessus. Ma sœur ne s’en sortait pas et elle attendait le docteur Potet.

Même fâché je me devais d’aller à son chevet, sur place je la trouvais exsangue, blanche comme une statue d’église. Ses long cheveux gris dispersés sur l’oreiller lui faisaient comme une couronne, elle trouva la peine d’esquisser un léger sourire. La chaleur dans sa soupente était intolérable, elle réclamait de l’eau mais chaque fois la régurgitait. Maman avait encore fait sous elle, une pestilence s’éleva, prégnante à vous faire lever le cœur, une larme s’échappa de son triste visage. Ma sœur me demanda si ma femme pouvait venir l’aider.Justement d’initiative en âme charitable apprenant les choses elle passait la porte. Les deux femmes changèrent et nettoyèrent la pauvre vieille. Dans l’adversité fini les ressentiments, le docteur arriva et alla examiner la moribonde.

Son pronostic fut pessimiste, cela ressemble au choléra, attendez vous au pire et faites attention à vous.

Nous avions déjà entendu parler de cette maladie et par les journaux nous savions qu’à La Rochelle quelques cas s’étaient déclarés.

Maman passa dans la journée, elle inaugurait la liste des morts de cette sinistre épidémie. Pour une fois qu’elle était première en quelques choses.

On lui organisa un bel enterrement mais déjà quelques personnes qui auraient du suivre le convoi étaient malades.

Mettre sa mère entre quatre planches était assez rude, vous enterrez en fait une partie de votre vie et je pense que non seulement vous perdez un être qui vous est cher mais aussi  vous perdez une part de vous. C’est encore Marie et Anne qui firent la toilette mortuaire de ma mère, toutes les voisines se défilèrent de peur de la contagion. Le convoi fut morne et triste et les rues bizarrement étaient vides, comme ci les miasmes mortels du choléra Morbus allaient sortir du corps de ma mère, traverser le cercueil et se jeter sur eux.

Ma mère fut enterrée un peu à l’écart, c’était ridicule, en tout cas c’est sûr, elle ne se disputera pas avec mes premières femmes.

L’ épidémie s’amplifiait, la liste des morts aussi, au début on pensa que seuls les vieux seraient touchés mais quand les premiers enfants disparurent le mal être devint général et l’on eut tendance à se calfeutrer chez soit. Mais il fallait bien vivre et surtout travailler à nos récoltes, les moissons arrivèrent bientôt.

A la Saint Jean les grosses exploitations eurent du mal à engager des journaliers, personne ne voulait venir chez nous, alors comme d’habitude lorsqu’il y avait pénurie de main d’œuvre les vieux redoublaient d’efforts et les femmes se démultipliaient en leurs différentes tâches.

On comptait les morts par dizaines, et ma mère était maintenant entourée de toutes parts, le maire qui se trouvait être monsieur Raimond convoqua le conseil municipal pour résoudre l’insoluble manque de place dans le cimetière. Il fallait acheter un nouveau terrain pour le champ des morts.

De toutes façons les gens habitant autour du cimetière de l’église se plaignaient d’une contamination possible des eaux.

UN FUNESTE DESTIN, Épisode 15, Une période idyllique

Neuf mois presque jour pour jour elle me donna un garçon, nous n’avions pas trainé, elle était heureuse et moi aussi.

Un fort bel enfant que l’on nomma René François, accouchement sans problème, enfant désiré, nous coulions enfin des jours heureux.

Le maire Louis Junin fut heureux de me voir déclarer cet enfant et il accepta même d’aller boire un verre avec moi et mon témoin le père Jean Sauvaitre. Le nouvel instituteur Jean Claironin qui faisait office de secrétaire vint aussi avec nous, c’était de bon augure.

A la maison ma mère trouva en ma femme toutes les qualités du monde, cela me changeait,  Marie Magdeleine alliait aux yeux de ma mère tout ce que pouvait désirer une femme. Pas assez belle pour attirer les convoitises d’autrui, laborieuse au travail, bonne ménagère, bonne chrétienne, fertile et enfin une teinte de respectabilité envers elle, vraiment j’avais épousé une perle.

Marie effaçait toutes les tares des trois précédentes, moi je ne voyais pas tout à fait cela comme ça, mais bon quand je rentrais la paix régnait, mes deux femmes m’entouraient et me choyaient.

De plus ma femme avait repris en main l’éducation de mon fils François, ce diable de garnement qui méritait le fouet sans cesse avait trouvé une adversaire à sa taille.

A la fin de l’année 1847 ma femme n’eut plus ses menstrues, c’était annonciateur d’une bonne nouvelle ou d’une catastrophe, c’était selon . Chez nous la famille n’était pas assez étoffée pour que cela présente un problème. Marie fut ravie, moi plus inquiet car j’avançais en âge, ce n’était pas le tout de les faire il fallait les élever.

Ma femme devint fort grosse, au début cela avait du charme ensuite un peu moins de toutes façons je ne pouvais plus la toucher, alors pour compenser je passais un peu plus de temps au bistroquet, d’autant que cela discutait ferme. Les journaux parisiens arrivaient et ceux qui savaient lire les commentaient, parfois quelques uns se battaient , Orléanistes, légitimistes, républicains, les avis divergeaient.

Lorsque l’ambiance était trop tendue, on allait chercher le maire, ce dernier en vieux sage calmait l’assemblée. Il n’empêche l’atmosphère n’était pas bonne et ceux qui se prenaient le col à l’auberge ne s’embrassaient pas quand ils se croisaient sur les chemins de campagne.

Moi j’en tenais pour les républicains, sans savoir ce que c’était exactement mais le souvenir des récits de la grande révolution mais faisaient aimer ces opposants au régime actuel.

A la maison un peu saoul je remettais cela sur le tapis, évidemment ces gueuses de femmes ne comprenaient rien, ma mère voulait Chambord celui du drapeau blanc, ma femme voulait garder le roi des Français Louis Philippe, gros bourgeois ou voulant le laisser paraître. Quand j’en avais marre d’entendre leurs inepties j’allais me coucher.

C’est la foule parisienne qui se chargea de départager, le 22 février 1848, les étudiants, les ouvriers se levèrent en masse pour demander le départ du ministre Guizot honnis par tous. Le roi ne s’inquiéta guère il avait des troupes fidèles. Le lendemain les gardes Nationaux firent défections, le ministre détesté fut renversé, tout sembla se calmer, mais une fusillade sema de nouveau le trouble, la foule s’embrasa, le 24 février Louis Philippe d’Orléans abdiqua en faveur de son petit fils, mais personne ne voulut de cette solution, un gouvernement provisoire se forma.

Nous à Saint Sauveur de Nuaillé on eut une vision un peu raccourcie de l’affaire car tous les journaux arrivèrent en même temps, alors dans la même lecture on  eut le début et la fin de l’affaire.

Nous étions donc en république, mais bon ici du moment que les récoltes étaient bonnes et le vin bien titré.

Jacques Alexis Gabriel naquit le 04 avril 1848. Ma femme s’était surpassée, en quelques heures à l’aide de Marie Magdeleine Baudin la sage femme notre enfant était là. Tellement rapide qu’on alla même pas me chercher . Lorsque j’arrivais, le petit braillait, la mère fatiguée dans son lit dormait et la grand mère dans le fauteuil s’était assoupie.

J’observais avec attendrissement mes deux femmes, maman parcheminée, ratatinée par des années de labeur conservait un reste de beauté, elle était là en son sommeil comme une belle fée protectrice. Ma femme qui pendant toute sa grossesse avait été gonflée, reprenait ses traits. Un léger sourire sur son visage la rendait belle. Je ne sais ce qui m’a pris je lui ai déposé un baiser sur le front . Elle se réveilla, illuminée, transcendée, heureuse, la vie nous sera belle avec les trois garçons.

Je pris le chemin de la mairie, là bas, le maire prit ma déclaration et me parla des futures élections municipales au suffrage universel.

Je ne savais pas ce que cela voulait dire, il m’expliqua que tous les hommes pourraient voter et s’exprimer librement. Il n’avait pas l’air de trouver cela très bon, inquiet une forte ride semblait lui barrer le front, en tous cas moi je voterai pour lui.

Marie tînt à faire ses relevailles à l’église, moi je lui fis ses relevailles sous notre édredon, à chacun sa religion.

En juin de nouvelles émeutes ouvrières firent des milliers de morts, l’armée  chargea les blouses bleues, c’était bien la peine de  renvoyer les Orléans en Angleterre si la République tirait sur les ouvriers

Nous au village ce fut la première fois que nous votions, en fin de compte ce ne fut pas Junin le chirurgien qui serait nommé mais celui qui fut son adjoint Pierre Robin. Moi ce négociant arrogant, aux allures de gros bourgeois, fréquentant les gens du château de Beauregard et de Ferrières, je ne l’aimais pas beaucoup, un vrai coq imbu de son argent.

Mais bon laissons ces affaires politiques moi je n’étais pas au conseil municipal et je ne savais pas lire. C’est pourquoi j’ai cru bon d’envoyer mon fils François s’instruire un peu à l’école.

UN FUNESTE DESTIN, Épisode 14, un être s’en va , un être arrive

Avec mon beau frère François nous avions décidé d’aller à la foire de Marans, c’était un grand rassemblement, le port sur la Sèvre Niortaise très actif drainait toutes les denrées, les bois, les grains et les bestiaux du marais. Également ouverture sur la vendée le bourg se trouvait donc être un marché important pour toutes les communes confluantes.

Naviguable de la mer à Niort, le fleuve n’était qu’encombrement de bateaux de toutes tailles, tout se vendait sur ses quais, bois, osier, vins, charbon, sel, enfin une multitude de choses qui faisaient la richesse de cette petite ville.

On partit de bonne heure car la route était fort longue, certainement plus de trois heures de marche, nous avions l’habitude mais tout de même.

Lorsque nous arrivâmes là bas, la foire battait son plein , d’autres paysans arrivaient encore et la rue principale qui descendait sur les quais était noire de monde. Artère encadrée par de multiples boutiques, tout m’émerveillait, un fabriquant de chaises, un horloger, de nombreuses auberges.

Je regardais à droite à gauche, et ne me gênais pas pour observer les Marandaises aux belles coiffes.

En venant nous avions un but précis, à savoir acheter chacun une vache, pour sûr il y avait des foire aux bestiaux plus près mais ici la diversité et le nombre faisaient diminuer un peu les prix.

Après avoir erres au hasard nous tombâmes sur un marchand de bestiaux qui ma foi avait de magnifiques bêtes. On fit affaire et on alla boire un coup chez l’un des bistrotiers du port.

A l’intérieur François rencontra un paysan de sa connaissance, le père Vincent, on discuta un moment de tout et de rien.

Lorsqu’il apprit que j’étais veuf ses yeux s’ouvrirent en grand, au bout de deux trois chopines il me proposa carrément sa fille.

Figurez vous que je n’ai pas dis non car justement la dite Marie Magdeleine apparaissait sur le quai. Elle venait de vendre ses ouvrages de vannerie et venait déloger son père de son quartier général pour qu’il ne dépense pas le fruit des ventes de la journée.

Ses yeux me dévisagèrent, je me retrouvais nu au milieu de la salle. Elle n’était plus toute jeune et n’était pas d’une grande beauté, petite, un peu courtaude, grasse, la poitrine lourde. Son teint coupe rosé de paysanne vivant au grand air lui donnait une apparence joviale, mais sa bouche légèrement édentée venait gâcher sa physionomie. Son nez petit et mignon apportait un peu d’insolence.Ses yeux marron tirant sur le vert la faisaient rayonner malgré tout et lui donnaient un éclat qui compensait la médiocrité de sa modeste apparence générale.

Le vieux maintenant un peu saoul me la vendit presque sur le pas de la porte, elle devint rouge comme une pomme. Finalement on décida de se revoir le dimanche suivant.

Je n’aimais guère que l’on parle à la place des intéressés mais le père me donna rendez vous avec sa fille et je l’acceptais. Elle n’exprima aucun contentement ni refus.

Ainsi allèrent les choses, mais la route de Marans à Saint Sauveur me pesait, alors au bout de quelques semaines ni pouvant plus je l’embrassais et lui demandais sa main.

C’était bien rapide, mais bon j’avais besoin d’une mère pour mes enfants et d’une femelle pour mes sens. L’amour pourrait venir plus tard.

On décida de se marier le 2 avril 1845 à la mairie Saint Sauveur d’Aunis. On prépara tout mais un événement vint contrarier ce bel agencement.

Ma fille Marie Eugénie allait maintenant sur ses trois ans, marchait, gambadait, parlait très bien et faisait régner la terreur dans la maison. Ma mère lui cédait absolument tout et moi bien trop occupé à mon travail et à mes allez et retour sur Marans je ne pouvais pas corriger cette mauvaise inclinaison. De toutes façons ce n’était pas le rôle d’un homme de s’occuper de cela.

Un jour elle eut de la fièvre, beaucoup de fièvre , brulante, elle se coucha dans mon grand lit, elle toussait aussi beaucoup et une irruption de bouton lui couvrit l’ensemble du corps.

Ma mère n’était pas inquiète du tout, tous les enfants ont cette maladie. Peut être mais rien ne passa, la fièvre augmenta, elle délirait et avait grand peine à respirer.

Maman fit venir une espèce de sorcière qui habitait  Rioux, un hameau du Gué d’Alleré, incantation, plantes, la vieille aux mains sales ne guérit rien. Je ne m’étais rendu compte de rien, mais un soir devant la gravité des faits , j’allais trouver le docteur Potet, il vint aussitôt mais finalement ne put que fermer les yeux de ma petite.

La rougeole et l’ignorance de ma mère avait tué ma petite fille. Mourir à 15 jours du remariage de son père cassait un peu la dynamique de la fête.

Je n’avais plus de planches alors un drap de lin suffit, même si la mortalité reculait un peu chez les enfants, peu de famille était épargnée par ces morts prématurées. Alors à quoi bon se lamenter, notre cœur était dur et il fallait bien continuer à vivre.

Ma future m’accompagna le jour de l’enterrement, je la présentais ainsi au village,bien sûr les commères parlaient d’indécence de montrer ma nouvelle femme à l’enterrement de la fille de la précédente.

Je n’en avais rien à faire, et le soir Marie Magdeleine dormit chez moi. Cela aurait pu être le prélude à une nuit de noces, mais figurez vous qu’elle ne le souhaita pas.

Quinze jours plus tard ce fut mon quatrième mariage, nous avions décidé de faire profil bas suite au décès de ma petite, mais enfin un repas fort bon sanctionna la journée.

C’est monsieur Junin qui maintenant maire nous maria, je respectais fort cet homme. C’était une bénédiction pour le village.

Marie Magdeleine Ursule Vincent ma belle Marandaise devint donc madame Petit.

Dois je vous parler de ma nuit de noces, moi c’était ma quatrième, un vieux routard en somme. Mais pour Marie cela devait être sa première. J’avais beau être un paysan analphabète et sans culture je sentais confusément que la lorsque un homme et une femme se découvraient pour la première fois l’évènement conditionnait leur vie intime future. Alors même si ce n’était pas une attirance exceptionnelle qui nous avait réunis je voulais que cette nuit fut belle et que ma compagne soit heureuse.

UN FUNESTE DESTIN, Épisode 13, un curetage mortel

Encore une fois ma mère poussa des cris d’orfraie, maladroit, idiot, incapable. Je la laissais dire par respect. De toutes façons Marie imprégnée des saintes recommandations de monsieur le curé ne voulait pas entendre parler d’une sexualité autre que reproductive. Je parle un peu savant car on m’a expliqué cela, en langage clair, je ne pouvais délivrer ma semence qu’en le corps de Marie, je ne pouvais la posséder que par les voies dites naturelles et pour sur ma femme répugnait à toutes aventures dignes de catin du vieux port de La Rochelle.

Cela ne se passa pas comme prévu, accablée par le travail, les tâches ménagères, l’allaitement de Nini, elle voulut en plus m’aider dans les gros travaux d’hiver.

Un matin au champ, Marie eut une vive douleur dans le bas du ventre et sa robe se teinta de rouge. Courageuse, elle voulut poursuivre mais son corps l’abandonna et elle s’écroula dans un sillon. Avec son frère qui labourait non loin on la ramena à la maison. Apparemment c’était choses de femmes et l’on nous renvoya à nos bœufs. La Marie avait perdu beaucoup de sang ainsi que des déchets brunâtres. Elle s’était aussi souillée en vomissant et ma mère avait fait venir le praticien. Ce que je sus en rentrant c’est que je n’aurais pas de bébé, quand à Marie elle n’était pas belle à voir, la douleur lui avait retiré la couleur du visage, blême, have, blafarde, déjà gisante de marbre blanc. L’enfant mort dans son ventre n’ y était plu, le chirurgien à l’aide d’une curette l’avait évacué.

Mais Marie avait maintenant de la fièvre et Monsieur Junin nous prévint qu’un curetage n’était pas sans risque pour la mère

De fait son état empira, la fièvre persista, toujours des vomissements et une forte douleur au bas ventre. La nuit fut catastrophique et maintes fois on crut la perdre. Vaillante guerrière elle lutta plusieurs jours mais le mardi 9 janvier 1841 dans un dernier spasme elle rendit son âme à dieu.

Le curé était à nos cotés, nous étions donc tranquille pour son avenir dans les cieux.

J’étais effondré car je n’avais pas imaginé ce dénouement, contrairement à mes deux premiers veuvages j’en fus grandement affecté. Ma première femme était morte en prison et je ne l’avais pas vue partir, pour la deuxième ma foi j’étais bien présent mais est ce dureté de ma part ou sentiments ambigus je n’avais pas ressenti une peine très chrétienne.

De plus j’entrevoyais qu’avec deux enfants ma vie ne serait guère facile. La première corvée fut de se mettre en quête de mamelles pour ma fille. Pas sevrée elle hurlait depuis des heures de ne pas être nourrie . Quand à François il ne comprenait guère que sa mère si aimante couchée dans ses plus beaux atours avec un chapelet dans ses mains jointes ne répondit pas à ses appels.

Elle eut droit à de belles planches de fruitier que j’avais dédiées en premier lieu à un buffet droit. Je les portais personnellement au menuisier du village. Ma mère et ma belle mère lui avaient fait une belle toilette mortuaire, pure comme le jour de sa naissance qu’elle serait la belle Marie quand on lui jetterait quelques pelletées de terre sur le ventre.

L’enterrement fut lugubre comme un soir d’hiver, nous étions endimanchés, chacun avait revêtu ses beaux atours. La bière posée sur une charrette, le curé et ses petits enfants de cœur, puis nous, silencieux derrière pour suivre le corps de ma splendeur trop tôt disparue. Tête basse, nez reniflant, yeux humides et semis clos nous avançâmes vers le jardin du repos sis au pied de l’église du village. Respectueusement les hommes se découvraient et les femmes se signaient, la haine à mon encontre avait disparu, remplacée maintenant par de la pitié.

Le fossoyeur avait eu toutes les peines du monde à lui creuser son trou, la terre étant gelée sur une forte épaisseur. Il faisait si froid que le curé expédia sa cérémonie, je comprenais mais cette précipitation non chrétienne était à la limite de l’indécence.

Le tout expédié je payais le curé, le fossoyeur, le menuisier et un coup à boire aux participants de notre triste cortège.

La soirée fut très dure, lorsque je me couchais je croyais sentir les pieds toujours froids de mon aimée. Je me tournais et retournais pour rechercher sa présence ne serait ce qu’une odeur, mais rien, désespérément rien, juste un vide absolu.

Dans notre société le mieux à faire lorsque vous aviez des enfants à élever était de vous remarier. Mais voilà j’étais un peu le maudit du village, je faisais un peu peur aux filles à marier et de plus j’avais passé l’age de faire le beau aux fêtes du village. Non il me fallait une femme à négocier, elle m’aiderait à élever les enfants et moi je lui donnerais une relative aisance. Je ne me sentais pas obligé de l’aimer et elle ne serait pas non plus contrainte d’éprouver quoi que ce soit pour moi. Bien sur il ne fallait pas qu’elle me rebute car elle devrait tout de même me satisfaire.

En fin d’année 1844 on me fit rencontrer une jeune femme qui pourrait correspondre à mes attentes.

Maintenant un autre problème se faisait jour, il était d’ordre moral, la mère de ma défunte était encore vivante mais subsistait grâce à nous et à son fils. Devais- je maintenant, que sa fille n’était plus là, continuer à l’aider. Ma mère, avare, dure et égoïste me poussait à arrêter ma charité. Maman toujours en veine de bons mots sortit à la cantonade avec le nombre de femmes ,qu’il enterre cela va nous couter cher en entretien de belle mère.

Finalement une mauvaise récolte me fit devenir sec en argent et en cœur et ma belle mère fut classée indigente par la commune.

UN FUNESTE DESTIN, Épisode 12, une louve dans la bergerie

On calcula approximativement qu’il arriverait vers les Pâques de l’année 1842. Marie voulait une fille moi un autre garçon. Je préférais inconsciemment assurer ma postérité, c’est bizarre de vouloir ainsi perdurer à travers le sang de son sang. Je présume que cet instinct est animal et qu’il vient de la nuit des temps car sinon notre espèce aurait disparu. Les enfants vous apportent quelques satisfactions mais aussi beaucoup de tracas alors si on fait la part de toutes ces choses il y a peut être équilibre entre les bonheurs et les malheurs.

Son ventre tranquillement s’arrondissait et le travail lui devint pénible mais enfin tout ce passa au mieux

En la maison voisine ma sœur venait d’accoucher d’une petite fille, ils la nommèrent Geneviève Élina.

J’ étais présent lorsqu’elle est arrivée et pourtant le beau frère fit choix de cet idiot d’Etienne Petit comme témoin. Certes je n’étais pas marchand drapier mais tout de même on se voyait tous les jours. On était comme les doigts d’une même main alors je lui en ai voulu.

Bon maintenant il faut quand même que je vous raconte, avec Marie on avait fait entrer le loup dans la bergerie ou plutôt la louve. Pour nos vendanges nous avions eu besoin d’un peu de main d’œuvre et on embaucha une journalière de 27 ans qui venait des Deux Sèvres, le département voisin. Mais comme elle n’avait nul part où loger on la prit à la maison.

La maison n’était pas grande et la promiscuité avec cette étrangère devint vite équivoque. Elle se lia d’amitié avec ma femme, elle faisait tout ensemble, travail, ménage, lessive, toilette. Magdeleine puisque c’est son prénom passait des heures à peigner les longs cheveux de Marie en se racontant des histoires. Ma mère enrageait et en les voyant claquait la porte et s’en allait chez ma sœur. Les deux bougresses se disaient tout et j’avais l’impression que Magdeleine connaissait tout de moi, mes particularités physiques et mes performances au lit. Au début lorsque je faisais l’amour à Marie j’avais l’impression que Magdeleine était à coté à nous observer. Nous voir non mais nous entendre certainement, elle devint un peu embarrassante. Si il n’y avait pas eu ma mère à la maison, le village aurait crû que nous faisions ménage à trois. C’était faux même si il faut l’avouer la belle ne me laissait pas indifférent. Toujours à virevolter, à faire tourner son jupon, à se pencher pour me montrer sa belle poitrine et en plus de cela une impudicité presque totale. Elle attisait mon envie, était jolie, jeune et bien tournée.

Un jour à l’étable elle se fit un peu présente et se frotta à moi en allant traire, j’explosais de désir mais un brin de respect pour ma femme et une peur des ennuis me fit repousser l’audace de la journalière.

Quelques temps après elle nous déclara en pleurant qu’elle pensait être enceinte. Nom de dieu il manquait plus que cela, ma mère se tourna vers moi et ma femme aussi. Il me fallut me fâcher pour leurs imposer le fait que je n’y étais pour rien.

Le soir au lit on s’engueula copieusement, je n’avais rien fait et que l’on m’accuse me mettait en rage.

C’est la première fois que j’eus envie de mettre une volée à la Marie, j’étais de bonne fois elle m’aurait arraché les coups.

Mais le pire c’est que tout le village crut réellement que j’étais le père, je vous dis pas la réputation.

Ma mère et moi on voulait la mettre dehors, mais Marie était solidaire avec la traitresse qui se refusait à donner le nom du père. Mais savait- elle finalement qui il était?

Elle accoucha le 8 octobre 1841 à la maison assistée de ma femme et c’est moi qui du aller déclarer la petite. Magdeleine lui donna le prénom bizarre de Brigitte.

Le maire monsieur Raimond ne mâcha pas ses mots en me voyant,  » alors Dauvert tu viens déclarer ta fille, tu es presque bigame  »

Oui le maire m’appelait Dauvert pour me distinguer des autres Petit qui habitaient le village. Nous étions nombreux à nous appeler ainsi alors on me surnommait en m’accolant le nom de ma mère.

J’eus bien du mal avec cette croyance et c’est tout juste si on ne me tourna pas le dos lorsqu’enfin je pus nous libérer de la présence de Magdeleine et de Brigitte. C’est comme ci je jetais dehors ma femme et ma fille.

Ma femme fut délivrée de notre fille le 14 avril 1842, Marie Eugénie qu’on la nomma, ce fut par la suite la petite nini. La belle fut tout de suite bien fragile, petit oiseau blessé, au regard terne, à la peau jaune. Les femmes y voyaient un air de ressemblance avec mon épouse, comment cet être emmailloté, en équilibre entre la vie et la mort pouvait- il ressembler à la belle Marie. D’ailleurs les mégères de Saint Sauveur et ma mère en tête trouvaient bien que la petite Brigitte Roi tenait de moi au physique alors que je n’avais jamais touché sa mère.

Ma foi contrairement à toutes attentes elle résista un peu, il fallut bien sevrer le François car se foutu goulu asséchait le lait de sa mère et tétait aussi fort qu’un veau.

On le passa au lait de vache et le bougre fut tellement pris de diarrhée qu’on cru le perdre. Encore une fois c’est le bon docteur Junin qui nous tira d’affaire. Nous avions eu chaud et nous aurions eu déplaisir à le perdre car ce petit être plein de vie illuminait un peu la notre.

Tout aurait pu être parfait si ma femme n’était tombée de nouveau enceinte, nous avions la paire du roi, je n’avais pas assez de terre pour nourrir une grande fratrie alors à quoi bon s’embarrasser de mouflets qui vous suçaient le capital.

UN FUNESTE DESTIN Épisode 11, le bonheur d’être enfin père

On vécut sur une sorte de nuage, la vie était douce lorsque l’on aimait. Je travaillais, ma femme aussi, la surface que je mettais en semence et les quelques pieds de vigne que j’avais nous procuraient une chétive pitance. Derrière la maison un jardin jalousement labouré par Marie nous apportait des légumes, nous avions aussi quelques vaches et bien sur deux magnifiques bœufs pour mes attelages.

Ma mère aidait bien sur au ménage, mais sa santé parfois vacillait et son apport nous faisait défaut.

Nous n’étions pas dans le besoin, mais loin de la richesse ni d’une quelconque aisance. Nous vivions presque en autarcie avec la ferme de François Bourru mon beau frère. Mais comme tous nous n’étions pas loin d’un malheur éventuel. Qu’une maladie, qu’un accident vous fassent perdre votre force de travail et vous basculiez dans l’indigence, la pauvreté voir même la mendicité, nous n’avions aucune réserve numéraire.

Le roi de Paris qu’on nommait Louis Philippe se foutait bien de nos problèmes agraires et frumentaires. Même si le village était moins isolé que d’autres par le passage de la voie royale qui menait à Paris il restait tout de même replié sur lui même.

L’équilibre financier de mon ménage n’était guère assuré car en plus de ma mère il m’échut la subsistance de la mère de ma femme. Cette dernière journalière gagnait à peine de quoi payer son loyer et n’être pas jetée dehors. Marie faisait mon siège pour qu’on la prenne avec nous. Nom de Dieu quelle vie aurions nous eu entourés des deux vieilles.

Marie pourtant jeune ne me donna pas d’enfant tout de suite, son ventre était désespérément plat, ma mère me disait mais bougre de couillon tu sais donc pas faire.

Elle se prenait de bec avec Marie et méchamment lui reprochait d’être sèche comme une planche de cercueil.

Nous y mettions pourtant du cœur à l’ouvrage, malgré la fatigue de la journée nous le faisions tous les soirs. Sauf évidemment les jours ou l’église avait décidé que c’était un péché. Ma religion était affaire de bonnes femmes et de bonhommes sans femme. Vous pensiez bien que je n’allais pas m’endormir comme une buche pendant le carême, l’avent, les vendredi, Pâques, les Rameaux, l’ascension et l’abstention, il ne fallait quand même pas exagéré.

Maintenant avoir un enfant, voyez vous j’y mettais une affaire de fierté, un homme sans enfants sans descendance n’était pas vraiment un homme.

Mais un jour que je semais sur l’une de mes pièces en compagnie de François mon beau frère, je vis accourir ma femme, elle était comme une folle. J’ai cru qu’il était arrivé malheur à ma mère, mais non elle m’annonça qu’elle portait, c’était sur, plus de menstrues et une visite chez la matrone. Je l’ai bisée comme du bon pain, je l’ai soulevée, fait tourner, j’ai même embrassé son ventre. Jamais ensuite les semailles furent faites si rapidement. Il fallait que tout le monde le sache, François Petit était un vrai mâle virile, un de ceux qui procréait, il atteignait enfin une vraie dimension de respectabilité.

Ce soir là je bus un grand nombre de coups, toujours il arrivait un copain, un ami pour trinquer à mon futur drôle.

Je ne sais si c’est moi qui ai ramené le beau frère ou le contraire. Marie, Anne et ma mère nous attendaient mais devant notre réelle gaité, elles rirent avec nous et nous couchèrent tout habillés.

Marie porta bien son petit, je la trouvais très belle, la maternité lui donnait un charme extraordinaire. Sa poitrine devint vraiment opulente et je ne demandais qu’à y boire, seulement voilà Marie avait décidé que tout rapprochement physique nuirait au bébé alors je dus regarder ma déesse de la fécondité comme on regarde la vierge Marie à l’église.

J’ai bien tenté quelques fois mais son seul regard de tueuse m’arrêta, le matin ma mère me gratifiait d’un  » tu vas bien lui foutre la paix  » comme si elle avait assisté à la scène. Je ne pouvais lutter, mais le temps me paraissait long.

Le neuf octobre 1840, alors que nous étions en pleine vendanges, Marie perdit les eaux, il convenait de faire vite si on ne voulait pas qu’elle accouche entre deux ceps de vigne. On la porta sur la charrette et on fit retour à la maison. Mais le garnement tarda, la sage femme commençait à s’inquiéter et l’on alla réveiller Monsieur Junin le vieux chirurgien de la grande armée .Marie aurait préféré qu’aucun homme n’intervienne car elle n’aimait guère se montrer en cette position.

Le praticien expert à l’aide de pince nous le sortit sans nous l’abimer à quatre heures du matin, mon fils était beau et costaud et la mère ma foi apaisée et heureuse s’endormit d’épuisement.

J’offris le casse croute et la blanche et avec mes beaux frères et le chirurgien on trinqua au petit que j’allais nommer François Alfred.

Les femmes s’affairaient sur la septième merveille du monde.

J’ai déclaré mon fils à neuf heures du matin et ce fut Baptiste Luneau le frère de ma femme qui me servit de témoin.

Le maire Louis Raimond nous vit sur les marche et nous dit, alors un mort ou une naissance. Pour cette fois ce fut une bonne nouvelle et l’on repartit finir la cueillette de notre raisin. Car cela aussi était primordial, notre économie ménagère reposait sur cette source de revenus.

J’étais maintenant comblé dans mes instincts de mâle dominant, une jeune femme dont je pouvais disposer à peu près comme je voulais, un héritier et quelques terres pour pouvoir les nourrir décemment.

Je me considérais comme heureux, d’un bonheur simple, la vie s’écoulait comme une douce rivière, serpentant en ses nombreux méandres. Je n’avais pas besoin de fleuve en crue pour me satisfaire.

A l’ombre des douze moulins du village, le temps passa et comme j’étais assidu en la couche de mon épouse que j’aimais son corps dodu et ses effluves voluptueuses ma tendre fertile fut bientôt prête à me donner un nouvel enfant.

UN FUNESTE DESTIN, Épisode 10, la conquête

Je mis longtemps à me refaire une réputation mais un jour, ma mère m’accueillit avec un grand sourire, dans un coin de la grande pièce se tenait la veuve Luneau ou la Bertide Renoux comme on voudra. Je connaissais la vieille de vue et je me demandais ce qu’elle faisait là n’étant point une amie de ma mère.

En fait je compris assez vite, les deux malines s’occupaient de mon avenir. Sans que je puisse donner mon avis je me voyais contraint d ’emmener danser la petite Marie Luneau à un bal dans le village du Gué d’Alleré.

Le jour dit, j’allais prendre la belle devant chez elle , je ne la connaissais guère. Comme on peut bien s’y attendre le chemin pour aller au Gué fut un peu morne, j’étais taiseux, elle n’était guère bavarde. Nous avions deux choix pour faire la route, passer par les Sablières et rejoindre le chemin de Marans à Surgères, soit prendre par les Baraques et sa rude montée.

Je pris comme beaucoup d’autres couples sur les Baraques, au haut on apercevait tout ,Saint Sauveur et l’on voyait au loin les ailes du moulin David à l’entrée du Gué D’Alleré. Peu à peu nos langues se délièrent, je voyais maintenant ma danseuse imposée sous un autre jour, drôle, sarcastique elle me fit sur le chemin un portrait haut en couleur des gens du village. Je n’osais pas lui demander comment elle me voyait réellement.

La place du château était noire de monde, venus de Saint Sauveur comme nous, de Benon, de Ferrieres,, de Nuaillé, et de Bouhet les paysans endimanchés se pressaient. Lorsque je pris Marie par la taille j’eus comme un ravissement, enfin ma main affleurait le corps d’une femme.

Mon Dieu qu’elle pouvait être belle, aussi grande que moi, une poitrine débordante que contenait à peine son beau corsage. Des hanches larges faites pour l’enfantement. Des yeux bleus comme un ciel de printemps, un nez retroussé parsemé de son qui lui donnait un petit air juvénile. Elle était blonde et cela en soit me ravissait car mes deux précédentes étaient d’un noir d’esclave. Sa bouche attirait mes baisers, mais je n’osais pas encore.

Je la trouvais donc sublime et n’y voyais aucun défaut, j’étais mauvais danseur, je suais comme si je moissonnais et je bégaillais à chaque fois que je devais lui répondre. Elle ne devait pas me voir sous mon meilleur jour. On dansa à en perdre haleine, avec quelques arrêts pour nous désaltérer. Certains pour se rafraichir se mouillaient dans la Roullière mais son faible débit ne m’encourageait guère à m’y jeter. Par contre l’ombre des arbres sur sa berge et la fraicheur de son herbe grasse nous invita à nous y coucher. Bon nombres de couples avaient fait le même choix que nous et un cousin se trouvait non loin de nous.

C’est là qu’on échangea notre premier baiser. Suave, sucré, comme un fruit mûr mon corps se décomposa et une envie profonde de m’unir à ce don du ciel me vint de façon irrépressible.

Autant vous dire que l’on musarda pour le retour.

On laissa nos mères organiser nos noces, Marie n’avait pas de terre à mettre dans la corbeille mais en bonne fille s’était confectionnée un trousseau à l’épreuve du temps. Jamais nous ne pourrions user toutes ces nappes, ces draps, ces serviettes en lin patiemment tissés par la mère et la fille.

On se marierait le mardi 4 décembre 1838, je trouvais cela lointain, une question me taraudait, devait on rester sages maintenant que nous avions convenu de tout. Le corps à ses droits mais les usages coutumiers aussi, moi je trouvais fou de ne pas pouvoir gouter à ce bon fruit. Marie était respectueuse à outrance des préceptes religieux. Pour enlever sa fleur il me faudrait attendre et encore attendre. Plus d’une fois je faillis tel un homme d’arme pénétrer dans ce chaste château fort mais à chaque fois par un artifice j’en fus rejeté. Des colporteurs nous racontèrent un jour qu’en certaines régions il existait des rites d’essayage où ma foi les choses étaient poussées très loin, rien ni fit,la pucelle me mena jusqu’à la mairie sans que je lui soulève son vertueux cotillon.

Pierre Roumillou fut de nouveau mon témoin ainsi que le beau frère François Bourru avec qui j’étais réconcilié. Jean Noël Gillet et André Drappeau furent les témoins de ma femme.

0n fit une belle fête, oublié la confidentialité de mon deuxième mariage. Un cortège de l’église à la maison et traversant le village, ma mère fière redressait la tête comme une reine et semblait dire vous voyez mon fils comme il est beau.

Bref la veuve Petit et la veuve Luneau nous gratifièrent d’un superbe repas, on dansa , on but et l’on rigola . Mais pour sûr je n’avais qu’une hâte enlever ma femme et enfin la découvrir totalement.

Ne croyez pas que ce fut facile, j’avais certes un peu d’expérience avec mes précédentes mais Marie était une oie blanche, apeurée, anxieuse, effarouchée. Je ne voulus pas la brusquer, lui faire peur, lui faire du mal mais je dus prendre les choses en mains. L’effeuillage fut compliqué, je me perdis entre robe, jupon, chemise, bas, caraco et gilet, quand fut déposé ce tas d’oripeaux artificiels elle m’apparut à la lumière vacillante de la chandelle comme la huitième merveille du monde.

Elle alliait les beautés physiques de Marie Magdeleine et de Renée, j’étais subjugué, fier, ému.

Ce ne fut pas qu’une défloraison ce fut un orage d’été, une vague frappant la falaise et l’ explosion florale d’un champs de fleurs sauvages.

Nous avions tellement veillé que le matin, nus, nos corps entremêlés nous fumes réveillés par la noce. Je pensais que ma qualité de veuf me ferait échapper à cette grotesque coutume mais les lascars en avaient disposé autrement. C’est donc en chemise à moitié nus que l’on se plia au rituel, André Drappeau examina les draps et les quelques taches qu’il y vit, parurent le satisfaire.

Venu du fin fond des ages, cette coutume qui perdurait et qui consistait à voir des traces de sang virginal et à constater l’entière possession de l’homme sur la femme me gênait considérablement.

Marie était morte de honte, rouge comme une pivoine de se voir surprise en son intimité.

Mais ce n’était que la continuation de la noce, qu’il fallait voir comme une plaisanterie, une farce.

Le midi gaiement l’on finit les restes et bon nombres d’habitants de Saint Sauveur passèrent boire un coup ou bien casser une croute en notre honneur.

Le docteur Junin gentiment passa nous féliciter, ma mère gonflant la poitrine, haussant le menton était fière comme une châtelaine montrant son donjon.