UN MARIAGE AU CHÂTEAU DE MILESCUS, PAROISSE DU GUÉ D’ALLERÉ, ÉPISODE 1

 

Mais aujourd’hui était jour extraordinaire, non seulement pour lui mais évidemment et infiniment plus pour la population de la noble demeure.

Sa carrière en temps qu’ecclésiastique commençait maintenant à s’allonger, il avait été vicaire à Surgères et depuis maintenant quatre ans il officiait comme curé en la paroisse du Gué d’ Alleré et annexes.

L’endroit et les habitants lui avaient bien plu, il faut dire que le Gué d’alleré avait la particularité intéressante d’avoir trois paroisses en une seule. Le village n’était pas bien grand, loin de là, mais son histoire dont il ignorait les aboutissements avait fait qu’il s’était formé en trois entités. Il y avait le bourg principal, avec l’église Saint André et son cimetière, puis une église et un cimetière au hameau de Rioux et pour terminer, une église, un château et un cimetière au hameau de Mille écus.

Il enterrait, baptisait et mariait indistinctement en un lieu ou un autre en fonction de l’endroit où habitaient ses ouailles.

Bien que les familles se mélangeaient indistinctement au gré des mariages, quand vous étiez de Rioux, vous n’étiez pas du Gué et quand vous étiez de Mille écus vous n’étiez pas de Rioux.

Le curé s’amusait de la situation mais s’en agaçait aussi parfois. Les querelles qui découlaient de cette particularité pouvait virer au tragique comme au comique. Si ces territoires ne dépendaient pas de la même seigneurie, les habitants qu’ils soient sous la tutelle de celle de Mille écus, de celle du Gué d’Alleré ou bien même sous la dépendance de l’abbaye de Benon, n’en étaient pas moins miséreux et pressés par les impôts les plus divers.

Le village où se trouvait sa cure s’était développé le long d’un petit ruisseau et plus particulièrement d’un endroit où l’on pouvait le passer à gué . Une petite église et son cimetière, une maison noble le long du cours d’eau et quelques maisons blotties frileusement autour. A la sortie du village en allant sur Saint Sauveur de Nuaillé tournaient les ailes du moulin David. Le seigneur du lieu s’appelait Louis Poirel, le curé avait de bons rapports avec lui bien que le maître du village fut parfois distant.

De vastes prairies humides séparaient le bourg principal de son hameau de Rioux, les eaux débordantes du ruisseau de l’abbaye déposaient un fertile limon et assuraient une récolte abondante qui faisait appeler l’endroit » les jardins du Roi » .

Le chemin qui menait à la paroisse de Rioux était souvent impraticable et le curé d’Aubon crottait ses souliers plus que de raison en allant administrer les sacrements à ses paroissiens.

Pour venir à Mille écus le chemin était plus praticable, on montait par le moulin de Mille écus.

Celui ci dominait les prairies humides des ruisseaux du Gigan ( le Curé actuellement ) et de l’abbaye. Une fois au sommet de cette modeste côte, il suffisait de se laisser couler le long des vignes qui poussaient sur le coteau pour arriver au modeste ensemble qui formait Mille écus.

Le château de mille écus avait depuis longtemps perdu la fonction de défense qu’il avait autrefois. Il en restait des douves encore pleine d’eau en cette période mais qui seraient presque à sec au plus fort des chaleurs de l’été et des tours pour moitié écroulées.

La demeure seigneuriale encore grande, avait elle aussi perdu de sa superbe, le curé se demandait pourquoi la fratrie qui possédait cette terre ne se mariait pas en la paroisse saint Barthélémy à la Rochelle où ils possédaient un hôtel. Il est vrai que le bon prêtre ignorant de la situation exacte de la famille ne pouvait leurs présumer des difficultés financières.

Coincé entre deux cours d’eau l’endroit était fort humide en hiver et souvent inaccessible quand les eaux montaient et envahissaient les prairies . D’Aubons se voyait mal vivre ici, même si parfois son presbytère souffrait également d’une inconvenance du ruisseau qui venait de l’abbaye de la Grâce dieu .

Prés du château se trouvait la chapelle elle aussi fort délabrée, c’est là qu’il allait unir les deux promis. Autour ce n’était que misérables baraques, à demi-enfoncées dans la terre, repliées sur elles- mêmes, aux maigres ouvertures . Des toits de jonc émergeaient des cheminées branlantes d’où s’échappaient les fumées odorantes d’un méchant bois vert.

Autour de la petite chapelle qui servait d’église, comme un vilain champs mal labouré. De ce lieu mal défini, surnageaient quelques croix de bois et de faibles monticules de terre encore mal tassés.

Il émanait de ce jardin sacré comme une tristesse indéfinissable qui finalement se mariait assez bien à cette pauvre seigneurie et à cet endroit lugubre.

Au soleil blafard qui  tentait de se faire jour parmi les brumes qui montaient du ruisseau et essayait désespérément de réchauffer quelques êtres blafards .

Mal nourris, pieds nus et vêtus de méchantes hardes, ils formaient toute la population de Mille écus. Presque tous laboureurs à bras, ils attendaient déférents mais transis, l’arrivée des invités de la noce.

Le meunier Jean Aurard s’était mis un peu en retrait, personnage important et moins famélique, il n’en attendait pas moins ses maîtres avec autant d’impatience que les presque serfs qui l’environnaient.

André Poitou parlait à Jean Cholet, les deux hommes faisaient les cents pas pour se réchauffer en agitant leurs bras.

Suzanne Rozeau, la femme au Laurent Merle se lamentait de la dureté des temps auprès de Françoise Guenon la femme au Chabourny.

Barthélémy Guilbeau force de la nature morigénait ses drôles en leur promettant force torgnoles si ils n’arrêtaient pas de gauger dans les flaques d’eau encore prises par la gelée du matin.

Barthélémy n’avait jamais frappé l’un de ses enfants et ils en profitaient jusqu’au moment où Anne Nolet leur mère leur administrait à chacun une calotte afin qu’ils se tiennent enfin tranquilles.

Mais un bruit de cheval hennissant leurs fit tourner les têtes. Enfin le spectacle allait pouvoir commencer. Le cavalier pénétra dans la cour du château et Anthoine Berthomet l’un des serviteurs du lieu se précipita pour récupérer le cheval.

L’homme que tous attendaient, était le marié. Le noble homme se nommait Jacques Mignoneau écuyer, seigneur des vignaux, capitaine au régiment de Périgord. En descendant de sa monture il n’eut aucun regard pour ces gueux qui pourtant l’attendaient avec impatience.

Lui, rejeton d’une vieille famille protestante qui avait comporté un maire de La Rochelle, héritier d’un proche du grand Jean Guiton, lui même officier de sa majesté n’avait évidemment que faire de cette plèbe.

LE COMBAT DU 15 DÉCEMBRE 1944 AU GUÉ D’ ALLERÉ

 

I

 

Après le débarquement du 6 juin 1944 en Normandie les troupes allemandes refluent vers leurs frontières. Mal menées par les groupes de résistants elles commettent les pires atrocités. En retraitant, elles laissent toutefois des poches de résistance pour protéger leurs bases sous marine, Brest, Lorient, La Rochelle, Royan, Pointe de Grave, Saint Nazaire.

Les 18000 allemands de la poche de La Rochelle se retrouvent encerclés par les FFI  (Forces françaises de l’intérieur) et les FTP ( francs-tireurs et partisans) , provenant du sud ouest.

En ce qui concerne notre secteur, il est occupé par le groupe FTPF Demorny fort de 1500 hommes et par le régiment Foch.

Le régiment Demorny devant Forges, Aigrefeuille, Le Thou, Ciré et Chambon. Le régiment Rico devant Bouhet et Virson et le régiment Soleil devant le Gué d’Alleré.

Le régiment Foch progresse sur l’axe Niort La Rochelle et son premier bataillon s’installe à Bouhet, La Roullière, le Gué d’Alleré, la Laigne et Benon, son second bataillon reste en réserve sur Frontenay Rohan Rohan.

Le PC de ce régiment se trouve à la Laigne.

Il convient de préciser que le régiment Foch devient le 01 décembre 1944 le 123ème régiment d’infanterie, transformant ainsi les maquisards en soldats d’une armée régulière. Les hommes seront ainsi protégés par les conventions de la guerre et non plus considérés comme des terroristes.

Le régiment Demorny se transforme en 108ème RI .

Le 78 régiment d’infanterie prend position en arrière du régiment Foch au sud ouest de Bouhet à partir du 13 décembre.

Le régiment Soleil tient quand à lui le secteur des Haies de Virson.

Il convient de préciser que suite à une convention négociée entre le contre amiral Schirlitz et le commandant Meyer, puis ratifiée par le général Adeline qui commande les forces françaises du sud ouest, La Rochelle ne sera pas attaquée, les installations portuaires et urbaines ne seront pas détruites.

Une zone de no man’s land est créée entre les lignes allemandes et les lignes françaises. Dans cette zone les deux contractants conservent leur liberté d’action.

Les communes du Gué d’Alleré, de Saint Sauveur et de Ferrière se trouvent dans cette zone.

Celles de Benon et Bouhet se trouvent en limite de la zone française.

La ligne de front se situe au niveau de Rioux et de Mille écus pour ce qui concerne le Gué d’Alleré, et de la ferme du Silop, de Supplancay et de Blameré pour la commune de Bouhet.

Les attaques allemandes seront avant tout des raids d’alimentation. Celle du 15 décembre sur notre commune n’en fait pas exception

Dès le 13 décembre 1944 des mouvements de troupes sont signalés près de Virson, Saint Christophe, Saint Médard, Vérines et les craintes d’une attaque dans le sous secteur 3 et le sous secteur 4 se précisent. On constate la mise en place de pièces d’artilleries.

Les régiments Foch et Demorny sont en état d’alerte et un bataillon du 78 RI est envoyé à Maison Neuve.

Les alertes étaient fondées et le 15 décembre 1944 les Allemands attaquent en force et c’est près de 2500 hommes qui fondent sur les positions françaises.

A 8 h 15 l’artillerie tonne et les premiers obus s’abattent sur le bois de l’Encens, les haies de Virson et Bouhet.

L’aile droite allemande engage son avance depuis Virson sur les Haies de Virson. Le 4ème régiment Soleil qui tient la position devant la supériorité numérique des allemands se retire sur Blameré, le repli se fait en infligeant de grosses pertes à l’ennemi.

A 9 heure, l’attaque allemande se reporte au nord c’est à dire sur Bouhet , la ferme Silop, Supplancay et Blameré.

Ce secteur est tenu par la compagnie Wacherot du 1er bataillon du régiment Foch, le lieutenant Perrot Minot en exerce pour l’heure le commandement.

Une première colonne allemande est bloquée aux Haies et une autre se dirige vers les Petites Rivières. Les tirs de mortier s’abattent sur les positions et malgré une défense farouche, le repli par échelon est commandé sur la gare de Bouhet, puis en lisière de la forêt de Benon.

A 9 h 45 Bouhet est occupé, les derniers habitants qui n’avaient pas répondu aux ordres d’évacuation tentent de fuir ou se terrent dans les maisons mises immédiatement au pillage par les troupes allemandes.

Ce premier bourg en leur possession les allemands dirigent leurs effort sur le Gué d’Alleré qui est tenu par la compagnie Fournier du régiment Foch.

Il est 10 h 45 quand l’attaque commence, Rioux est bombardé ainsi que Saint Sauveur.

L’ennemi laisse une couverture sur Bouhet et attaque en force sur Mille écus et Rioux.

La compagnie Pascal qui couvre le Gué d’Alleré se défend vaillamment. La section Marot et la section Paillé ( de la compagnie Fournier ) résistent désespérément sur les positions de Mille écus.

Mais les abris sommaires et les armes légères ainsi que la modicité du nombre de soldats ne peuvent rien contre la supériorité en nombre des Allemands et sur leur supériorité en armement.

La colonne ennemie est précédée de deux camion blindés.

Malgré l’héroïsme désespéré des hommes, les allemands progressent et le Gué d’Alleré est évacué par la compagnie Fournier. A 13 heures le village est envahi et les allemands commencent leur pillage, là aussi la population qui n’est pas entièrement partie se cache ou s’enfuit.

Les survivants décrivent bien la panique et la peur qui s’empara d’eux, la préoccupation principale étant la préservation des troupeaux, nombre d’entre eux s’enfuirent à travers champs en direction de Benon.

Normalement la population aurait du être entièrement évacuée conformément aux ordres préfectoraux mais certains avaient fait choix de rester.

D’autres que la maladie avaient cloué au lit ne purent partir, et deux décès survinrent ce jour.

Les allemand furent sévèrement accrochés et de nombreux morts et blessés jonchaient les rues du village.

La majorité des morts que les français eurent à déplorer, fut lors de la défense du point de Mille écus et l’adjudant Marot qui commandait fut fait prisonnier et soigné dans un hôpital de La Rochelle.

Mais les français réagirent assez vite et le régiment Demorny prépara une contre offensive.

Un bataillon du 4ème zouave arriva également en renfort avec 4 pièces d’artillerie de 105 mm. A 14 heures, ils commencèrent à tirer sur les allemands qui se trouvaient à Bouhet .

A 15 heures 35, une patrouille pénétra dans Bouhet et constata que les allemand avaient évacué.

Le bombardement aérien prévu par six avions du groupement aérien de Cognac a été décommandé et redirigé sur le Gué d’Alleré. La mission n’a pas été  une réussite et 4 avions seront endommagés par la Flak allemande.

A 17 heures les allemands évacuèrent toutes les positions qu’ils avaient conquises.

Le bilan est terrible :

14 soldats français sont morts sur le terrain.

42 ont été faits prisonniers dont une vingtaine blessés.

11 d’entre eux décéderont dans les hôpitaux de la Rochelle portant le bilan total à 25 tués

Les Allemand eurent approximativement 57 morts et 120 blessés.

Leurs deux véhicules blindés furent détruits.

Mais ils emportèrent un important butin, 50 tonnes de céréale , 100 têtes de bétail et 11 mitrailleuses.

Dans les jours qui suivirent le village finit d’être évacué et la population se dirigea pour une grande part vers les Deux Sèvres. Seules quelques personnes ayant des sauf-conduits purent à nouveau pénétrer dans la zone.

Le régiment Foch durement éprouvé fut relevé et le 78 RI prit sa place.

LA VIEILLE AU CHAT Épisode 2

 

 

Maintenant elle était libre d’homme et libre tout court, mais telle une meute de loups, les mâles libres ou non libres du village se mirent à tourner autour d’elle. C’était bien misère qu’un beau corps de femme ne contente plus personne, c’était bien misère que ses hanches ne soient plus prises.

Anne en entendait de belle lorsqu’elle se rendait à l’église ou chez une pratique pour ses ouvrages.

La crudité des mots la faisait rougir, elle accélérait le pas tête basse. Le curé la sommait presque de reprendre un époux, ses frères et sœurs lui organisaient des rencontres. Mais elle n’avait besoin de personne, refusait tous les partis. Sa vie était concentrée sur l’éducation de sa fille Constance et de son fils Pierre.

La vieille Anne comme statufiée dut bouger, elle dérangea le chat qui pourtant n’avait aucune intention de se mouvoir. Trottant d’un menu pas elle gagna le fond du jardin, le froid la saisissait, elle écarta négligemment ses frêles jambes et pissa debout. La bise qui fouettait son visage lui rappela soudainement un événement heureux de sa vie. Heureux et malheureux serait-il plus juste de dire.

Nous étions en octobre 1849, Anne se rendait chez une cliente pour effectuer une retouche sur une robe qu’elle avait cousue. Bizarrement ce jour là elle ne trouva pas celle qu’elle venait voir mais son mari. Bêtement elle s’était trompée de jour, l’homme la pria de rentrer afin de se réchauffer un peu.

Il faisait bon, l’homme était disert, elle fut bientôt sous son charme. Depuis sept ans que son mari était mort elle n’avait plus ressenti l’impression diffuse qui tétanise les muscles et brouille l’esprit.

Il ne se passa rien ce jour là mais Anne sentit qu’une mâchoire s’était refermée sur elle.

Elle était, en cette période, d’une irrésistible beauté, du moins le ressentait-elle ainsi. La vie lui souriait à nouveau, chaque matin était jour de fête, les enfants étaient contents et rayonnaient.

Évidemment il arriva ce qu’il devait arriver, l’homme, le mari de sa cliente devint un amant. Pourvoyeur de plaisir au départ il se fit bientôt plus présent. Cela devenait dangereux, mais leur irrépressible attirance faisait fi des risques encourus.

Mais la chance les couvrit et leur secret point découvert . Seulement dame nature traitresse aux âmes amoureuses rappela Anne à plus de tenue. Elle n’eut bientôt plus ses menstrues, le divin hiver se transforma en un printemps de chagrin.

Dans les premiers temps Anne de ses mains expertes de couturière cacha par d’amples vêtements son ventre qui grossissait.

Mais bientôt la chose se révéla, la grenouille de bénitier s’était faite crapaud, les femmes du village offusquées commencèrent leur travail de médisance. Les spéculations sur le père allèrent bon train, on croyait savoir qu’untel était le fautif, puis non c’était un autre, en bref personne ne savait et cela énervait . Où avait-elle été troussée et par qui, le maire tenta de lui extorquer le nom, le curé se mêla évidemment de l’affaire?

Anne qui était vilipendée, huée et chahutée ne sortait plus de chez elle. Au lavoir elle avait été bousculée, on lui avait jeté du crottin de cheval à la figure en la traitant de catin. Une troupe de poissardes eut bien voulu la déshabiller et la jeter dans la Roulière. Elle était la salope du Gué, la voleuse d’homme, chacune croyait son mari responsable de la forfaiture.

Puis le terme arriva il fallait bien recracher le vilain fruit.

Anne avait froid, elle rentra chez sa fille et n’eut que le temps de se caler dans son fauteuil en reprenant son chat que François et Constance rentrèrent d’une pièce de terre où ils effectuaient des travaux d’hiver.

Le gendre était peu amène et de fort méchante humeur, il s’en pris à sa femme qu’il trouvait souillon. Comme si une femme qui avait pataugé dans la fange toute la journée pouvait être aussi propre qu’une bourgeoise des villes. Mais la fille d’Anne avait du répondant et François qui menaçait en permanence de lui foutre une volée n’oserait certes pas la toucher.

Il s’en prit donc à l’inutilité qu’était   sa vieille belle mère, c’était un rituel. Anne sans se préoccuper outre mesure de la méchanceté de son gendre replongea dans ses pensées.

Il n’était pas question pour elle de mettre son enfant au monde au Gué d’Alleré, trop de méchanceté, elle portait le poids du déshonneur. La sage femme lui avait d’ailleurs fait savoir qu’elle se refusait à l’accoucher.

On lui parla alors d’une accoucheuse dans un village à quelques kilomètres qui à n’en pas douter serait moins regarde si la rémunération était bonne.

Elle approcha donc par l’intermédiaire d’une connaissance la dame  Voyer Catherine, née Crouton, du village de Saint Médard d’Aunis

On se mit d’accord sur le prix, pratique et logement.

Lorsque le moment fut venu ce fut Louis Turgné son beau frère qui accepta de l’emmener, avec son gros ventre il n’était guère possible de faire les dix kilomètres qui séparaient les deux bourgs.

Curieusement les membres de la famille de son défunt mari ne lui étaient pas hostiles et là protégeaient même de la vindicte populaire.

Sur place elle fut prise en charge par la Catherine, femme replète à la poitrine abondante approchant la soixantaine. Dire qu’elle fut bien accueillie serait mentir, là aussi on lui fit comprendre qu’ouvrir les cuisses sans être mariée était une iniquité innommable.

On la coucha sur une mauvaise paillasse et sans plus de cérémonie la vieille aux ongles douteux examina l’ouverture du col.

Le tour en charrette avait accéléré la dilatation et l’enfant ne tarderait pas. Visiblement la matrone connaissait son affaire mais les réflexions osées et graveleuses accompagnèrent Anne pendant son travail.

Anne avait déjà eu deux enfants, alors la sage femme pronostiqua que l’ouverture était faite et que cela irait très vite.

La bonne femme vaqua à ses occupations et fit la soupe pour ses enfants. Lorsque Anne vit rentrer toute la maisonnée, Alexis, Louis, Pierre,Magdeleine et Françoise elle crut qu’elle devrait mettre bas devant tous ces jeunes hommes. Elle fut prise de panique et couverte de honte.

Mais Catherine ne garda que sa plus jeune fille et fit sortir tout le monde, même pour une femme de rien une certaine pudeur s’imposait quand même.

Anne mit plusieurs heures à faire sortir son gros garçon, il n’était pas bien placé et la sage femme d’une main experte l’extirpa du ventre de sa mère.

Anne était épuisée, exsangue, une légère hémorragie se déclara et la Catherine à l’aide d’étoupe confectionna un pansement.

La petite Françoise s’occupa du bébé, malgré son jeune âge on voyait bien que sa mère lui avait transmis ses connaissances.

Il fallut bien nommer l’enfant, pas de père alors pas de nom. Mais le prénom demanda la famille Voyer, Anne qui n’avait guère réfléchit lâcha le doux vocable de Mathurin.

Louis Voyer le fils de l’accoucheuse et Etienne Crouton cordier de profession et frère de la docte femme allèrent en Mairie déclarer l’enfant.

On revint chercher Anne et elle fit son grand retour au Gué d’Alleré.

Curieusement le fait d’avoir accouché fit que le village s’apaisa un peu. Sa mère la vieille Marcou qui lui avait tourné le dos vint même voir son bâtard de petit fils. Même ce foutu curé de Joseph Mestre lui rendit une visite, croyait-il que je n’allais pas baptiser le petit?

Eh bien si, François Mathurin entra dans la communauté chrétienne et finalement se fera une place dans le village du Gué d’Alleré.

L’histoire aurait pu s’arrêter là si Anne n’avait eu la malencontreuse idée d’épouser Auguste Eugène le bigame.

Anne était maintenant couchée sur sa paillasse, au loin on entendait une vache qui beuglait et au près une charrette dont les roues étaient cerclées de fer et qui s’avançait en chantant une mélopée.

Dans la maison le couple avait fini sa joute, François ronflait et Constance qui n’arrivait pas à trouver le sommeil se retournait en pestant. Les deux enfants épuisés par le travail avaient eu aussi rejoint les bras de Morphé.

La vieille au faible sommeil pensait et se refaisait l’histoire de sa vie, elle savait que bientôt elle allait rejoindre son mari Pierre et surtout son fils François Mathurin. Elle souriait aussi car les hasards de la vie allait faire qu’elle mourait dans le même lit que son fils. C’était une façon de revivre un peu avec lui. Quand elle pensait à ce gamin qui lui avait apporté de la joie malgré les problèmes occasionnés par sa venue elle était heureuse.

Le lendemain de ce jour elle ne se réveilla pas.

Anne Duteau, la petite limousine, la femme au Pierre Turgnié, la veuve Turgné, la salope voleuse d’homme, la mère du bâtard, la femme du bigame s’éteignit le 30 octobre 1894 dans la commune de Saint Rogatien. Elle y repose non loin de son fils Mathurin mort dans la fleur de l’âge le 25 novembre 1873.

 

LA VIEILLE AU CHAT, Épisode 1, une fin de vie

 

Oh pas grand chose un petit rien, serait-ce une main qui se lève, qui se soulève comme pour demander un peu d’attention.

Le regard s’habituant à la faible clarté on la distingue enfin. C’est Anne, enfin la vieille Anne, la mère à la Constance, sans âge, comme statufiée par le temps. Elle est là sur son fauteuil de paille. Comme elle semble bien fragile, dans sa robe de laine noire, sèche comme une poire tapée, les yeux à peine ouverts, déjà fermés sur la vie. D’une maigreur de spectre, la peau parcheminée d’une momie égyptienne, la bouche fermée en un rictus, édentée elle caresse machinalement une chatte lovée comme une couverture sur ses genoux cagneux.

Comme elle, la bête ne semble pas avoir d’âge, vieille féline au cul pelé ayant reçu plus de coup de pieds que de caresses. Elle ronronne de satisfaction et profite d’être seule avec sa maitresse ou du moins avec celle à qui elle s’est donnée. On ne sait plus si elle est rousse mais son pelage jaune pisseux attire plus les pierres des gamins du village que les grattouilles que pourtant elle affectionne.

Anne n’est pas centenaire, loin de là mais les vicissitudes de la vie et les hasards de santé ont fait qu’elle n’est plus qu’une ombre alors que d’autres à son âges sont encore penchées sur leur planche à laver ou bien binent les rangs de betteraves. C’est ainsi, elle aimerait pouvoir courir la campagne, être autonome, rire des enfants, se brûler au soleil ou écouter le chant des oiseaux, alors que son seul trajet est celui du jardin où péniblement elle s’accroupit pour rendre à la nature le surplus dont son corps n’a pas besoin.

Elle vit depuis quelques temps chez sa fille Constance ou plutôt chez son beau fils François Guichard. Il aime à répéter qu’il est chez lui et que sa maison est celle de ses ancêtres, comme si le fait pour Constance, de lui donner des enfants, de s’échiner à en perdre la santé sur les terres de monsieur ou bien de laver ses fonds de culottes ne lui accordaient aucun droit de propriété.

Anne n’est que tolérée et n’a comme espace vital que son fauteuil et un vieux lit, sorte de grabat qu’un bagnard ne voudrait pas, calé dans une pièce sombre et humide, endroit précurseur de son futur tombeau.

Cet antre, elle le partage avec Marie sa petite fille, une garce au sang chaud qui pour l’heure n’a d’autres projets que de se faire voler sa fleur du milieu par un cultivateur du Thou répondant au joli prénom de Constant. Constant, il le sera, car il troussa la belle en chaleur et l’épousa pour compenser le don qu’elle lui avait fait. En attendant d’être repue des caresses d’un homme elle était d’une méchanceté à l’égard de tous et particulièrement de sa grand mère qui n’avait pas de défense.

Heureusement Anne avait son petit fils François, il la dorlotait, lui donnait le peu de friandises qu’il trouvait, lui racontait les histoires du village et les siennes propres. Elle était sa confidente et seule sa présence lui apportait joie et réconfort. Il la protégeait aussi des avanies de Marie.

Non pas que Constance sa fille fut méchante, non cela serait mentir, mais cette froide paysanne qui avait déjà fort à faire avec son diable de mari ne la considérait que comme un objet, une buche, une chaise ou une simple cruche.

On la nourrissait, la soupe était bonne et grasse, mais sa fille rêche comme une toile de chanvre n’avait pas d’amour à donner.

Des fois elle s’emportait même, disant qu’ Anne puait comme une vieille chèvre, c’était peut être vrai, la vieille ne se lavait guère. Mais le cul de la Constance ne voyait guère l’eau non plus, certainement que la sueur de son travail la lavait.

Non c’est sûrement la vieillesse qui puait, bien que certaines fois pressée par le besoin elle s’oublie quelques peu.

Ce qu’elle redoutait le plus était le retour des champs ou du cabaret de son gendre, il la rudoyait, n’était pas gentil, lui faisait sentir que sa présence dérangeait, qu’il serait bien qu’elle crève au plus vite pour récupérer le fauteuil et la place au chaud qui allait avec.

Le soir il n’avait qu’une hâte qu’elle se couche, qu’elle débarrasse la pièce principale afin qu’eux puisse vivre leur intimité derrière la protection des coutils entourant le lit du couple.

N’allez pas croire qu’elle ne participait pas à la dépense, Constance lui prenait tous ses sous, elle était un complément aux finances du couple .  La vente des biens, qu’elle avait au Gué d’Alleré avait permis l’agrandissement des biens de François Guichard. Mais que voulez vous l’ingratitude allait de paire avec la convoitise. Elle avait bien hâte de partir rejoindre son mari Pierre et son fils François dans les flammes d’un enfer certain ou dans la quiétude d’un paradis plus qu’incertain.

En attendant que l’indifférente et le tourmenteur rentrent du travail, que la peste ne revienne de quelques tribulations et que le gentil mignon lui dépose un sonore baiser elle n’avait que sa mémoire à faire travailler.

Cela au moins était intact et sa vie revenait en boucle enfin surtout les mauvais moments.

Il y avait un couple d’années que sa vie comme celle des femmes en ce genre de cas, avait basculé.

D’une normalité à toutes épreuves son quotidien de femme mariée avait changé lorsque son mari Pierre Turgnier avait commis l’idiotie irréparable de mourir en la fleur de l’âge. Ce rude maçon aux mains calleuses, capable de boire plusieurs litres de rouge par jour, pouvant soulever des charges qu’un âne bâté aurait refusé, l’avait laissée comme une andouille en partant prématurément. Oui, elle avait gagné en liberté, plus de père, ni d’homme pour lui dire quoi faire. Mais en contre partie une solitude affreuse dans une société paysanne qui refusait d’admettre qu’un bas ventre de cet âge là ne fusse possédé par un mâle membre de la communauté villageoise.

Se refusant à tous les partis elle avait souffert, souvent mise à l’écart par les autres femmes qui la suspectaient d’être une potentielle voleuse d’homme. Elle était la veuve, pourquoi ne se remariait-elle pas?

Oui elle avait maudit son homme de l’avoir abandonnée, elle regrettait ses mains rudes qui la rudoyaient pendant l’amour, elle se mettait aussi à rêver des coups de reins sans douceur de cet ours mal léché. Elle regrettait aussi l’odeur de sa bouche sentant le vin et l’eau de vie, elle regrettait son odeur de fauve faite de senteur de terre, de pierre, de cheval.

Il était mort à trente cinq ans, une drôle d’idée qu’il avait eu là le Pierre. Ses compagnons de travail l’avaient un jour ramené à la maison sur une charrette, le teint livide, les yeux enfoncés dans les orbites, cela en était effrayant. Il souffrait le martyr, le maladroit. Une pierre de grosse taille qu’il devait tailler lui avait roulé sur la poitrine. Sa respiration était faible, le médecin de Saint Sauveur qui était venu ne nous avait donné aucun espoir. Je priais soir et matin et lui râlait de même.

Un matin, ses lamentations cessèrent, mes demandes auprès du Seigneur avaient-elles été exaucé. Non pas le Pierre était mort et bien mort. Mes belles-sœurs m’aidèrent à la toilette, une dernière fois je voyais le corps nu de celui que j’avais aimé. On le veilla et on l’enterra autour de l’église, des gens commençaient d’ailleurs à dire qu’il serait mieux d’éloigner les sépultures car les eaux se gâtaient, moi je préférais que nos morts soient sous l’ombre protectrice du saint lieu, cela faisait plusieurs siècles que nos défunts dormaient ici et que je sache personne n’avait été malade, à part peut-être quelques bonnes chiasses.

UN AVORTEMENT VIOLENT Épisode 2, l’acte

Cette dernière d’une conscience chrétienne à toutes épreuves, lève les yeux au ciel et prend Dieu à témoin, jamais tu dois faire cela, tu serais damnée.

Vous parlez d’un soutien entre une folle de Dieu et une folle tout court, je suis bien avancée.

En soirée je surprends Jacques et Jeanne sa mère, elle lui explique comment me le faire passer.

Jacques mon fils ainé qui avait surpris la conversation  me dit « maman, il parle de toi et d’un bébé dans ton ventre ».

Les méchants ne se cachent même pas de mon enfant, j’en ai honte pour eux.

Le repas se passe presque normalement, je couche les enfants et nous veillons un peu, la vieille file, les deux hommes cassent des noix et moi je ravaude.

Dans le lit Jacques exige que je remonte ma chemise, oh non il ne va recommencer.

Mais ce n’est pas pour cela qu’il veut voir mon ventre. Je suis inquiète je refuse, il exige, j’ai tant de fois abdiqué mon corps, que cette fois ci  encore, je remonte ma chemise. De le voir ainsi penché sur moi me gène quand il me veut il ne prend pas autant de temps. Instinctivement ce soir il me fait peur , ses yeux vont de mon sexe à ma poitrine, mais ce n’est pas à mes parties intimes qu’il en veut, je le sens c’est sûr.  Subitement il pose  ses deux grosses mains,sur le bas de mon ventre, il m’appuie dessus,  puis me malaxe violemment. Il me fait très mal mais ce n’est pas fini, il m’assène des coups de poing au dessus de ma toison. J’hurle,  dans le lointain il me semble entendre sa mère qui le félicite, c’est un coup monté entre eux deux, ils veulent que le petit se décroche. Je ravale ma douleur, mon tortionnaire satisfait bientôt ronfle comme une forge.

Moi le lendemain j’ai mal au ventre , mais j’ai mon labeur et je l’effectue sans geindre. Mon mari le soir il exige de recommencer, et les coups de poing et le reste à croire que me battre l’excite.

Il recommencera le lendemain. Maintenant j’ai mal et je je marche péniblement, la belle mère s’en aperçois et jubile, « je crois que ton mari te l’a fait passer, mais dit rien tu lui attirerais des ennuis ».

Je me traîne, je souffre, j’irais bien voir le docteur, mais avec quel argent je le paierais?

Un matin j’expulse en pissant un caillot sanguinolent, j’hurle toute seule sur mon pot.

Je crois en avoir fini, la douleur s’estompe un peu, je reprends des couleurs et  la vie me sourit de nouveau. Jacques mon grand va à l’école j’en suis fière mais je suis la seule, le reste de la famille considère l’instruction comme inutile. Heureusement Louis Morin l’instituteur à une grande influence dans la commune et une grande partie des paysans mette leurs enfants en classe.

Non en fait je n’en ai pas fini, la douleur revient, insidieuse, vicieuse, je saigne au mauvais endroit, cela dégoute mon mari. Mais cet idiot se gausse, rigole, se vante et croit que j’ai de nouveau mes règles. Quand sait-il, ce monstre?

Moi je dépéris à vue d’œil, je ne mange plus, je vomis , je marche courbée comme une vieille.

Mes vêtements sont souvent tachés de sang et au lavoir j’attire l’attention des autres femmes..

Mon mari s’inquiète un peu, mais sa mère le rassure, c’est des problèmes de femme lui dit-elle, ça va passer.

Mais rien ne passe, je vais crever, mais en attendant j’en souffre autant qu’un accouchement.

On s’inquiète enfin de moi lorsqu’un soir en voulant porter mon petit Pierre je chute lourdement sur la terre battue. Les trois malfaisants délibèrent, inquiets pour leur respectabilité ils appelleraient bien le docteur Vivielle. Mais malheureusement leur avarice les retient et je continue de souffrir en silence.

Les jours se passent et je ne suis que l’ombre de moi même, je rencontre mes parents et je leurs fais part qu’en plus de mes douleurs incessantes le petit Pierre hurle toutes les nuits et m’empêche de dormir.

Le père m’engage à venir chez lui, j’accepte et je me sauve presque de chez moi.

La vieille jubile de me voir partir et d’abandonner la place, je suis prise d’une anxiété qui grandit à mesure que les heures passent. Je redoute que mon mari ne revienne me chercher de force, ne me batte et exerce son droit marital.

Mais le soir venu rien, désintéressement total de la famille Bourdin, j’étais partie, tant mieux on ne m’entendra plus pleurnicher.

Mon état s’aggrave, le père fait venir le médecin, il m’examine, il a sa mine des mauvais jours.

Je l’entends parler avec mes parents, ma mère pleure, mon père est terrassé, les deux doivent s’asseoir, ils ne me disent rien. Pourquoi, je suis au premier chef concerné?

Dans les jours qui suivent je commence une longue descente, j’ai mal, puis je ne ressens plus rien c’est une alternance. Mes parents oscillent entre la peine et l’espoir. J’ai même la visite de mon mari, il se repent, m’explique qu’il ferra venir le docteur si besoin mais que cela ne se fait pas de quitter le domicile conjugal. Nous y voit là, aucune considération pour moi, pas une once d’amour, juste l’apparence et le qu’en dira-t-on. Je lui oppose un non méprisant.

Le docteur Potet m’annonce que j’ai une hydropisie, c’est pour moi du charabia, j’ai un mauvais pressentiment je demande à voir mes enfants.

Jacques doit sans doute refuser car je ne vois personne venir. Je crois que je vais mourir, j’appelle, mon père ma mère et le docteur sont à mon chevet. Je leurs explique enfin ce qui c’est passé, je leur explique que j’étais enceinte et que mon mari à tenté de m’avorter en me frappant le ventre.

Je délire, on demande le curé, mon père ne s’occupe pas de mon mari.  Chez les Bourdin personne ne bouge. Je vois maintenant mon frère Guillaume, il pleure, me tient la main.

Ma vue se brouille je ne sens plus la main qui me tenait, les bruits s’enfuient, je ne perçois plus les odeurs, une lueur.

UN AVORTEMENT VIOLENT, Épisode 1, l’annonce

En ce mois de janvier 1830 sous le règne de Charles x le prénommé et sous la gouvernance de quelques ultras, Marguerite Sivadier  fait les cent pas dans sa maison.

Pour être précis ce n’est pas exactement sa demeure, mais plutôt celle de son beau père. Elle vit ici depuis son mariage avec Jacques le fils de la maison. C’était il y a huit ans, une éternité quand on est pas heureuse.

La raison de son tourment est bien simple, elle redoute d’annoncer une future maternité à son mari et à sa famille.

Les signes ne trompent pas , elle connait son corps de femme par cœur, elle n’est pas une jeunette qui se raconte des histoires. Ses foutues menstrues elle aurait dû les avoir, mais rien ne vient, il peut bien sûr y avoir des retards, mais ordinairement, elles sont ponctuelles comme la cloche de l’église de Saint Sauveur de Nuaillé.

Il y a aussi depuis quelques jours un léger état nauséeux qui la tracasse, elle le sent confusément, sa cinquième grossesse est en cours.

Elle est sûrement dans les normes du temps, cinq fois en huit ans, d’autres l’ont fait et d’autres le feront. Mais seulement voilà, Jacques le mari n’en veut pas.

Depuis quelques jours je me sens nauséeuse, je ne suis pas comme à mon habitude. Mes enfants qui virevoltent à coté de moi m’exaspèrent. D’habitude mes menstrues provoquent en moi cette nervosité, là c’est plutôt leur absence.

J ‘ai comme l’impression qu’il s’opère en moi un changement et que j’en connais la cause. Je ne suis plus une gamine, j’ai l’expérience des choses de la vie. La vie de femme il s’entend, vous m’avez sans doute comprise je suis enceinte.

Je me suis mariée avec mon mari Jacques Bourdin en 1822, nous étions tous deux de Saint Sauveur de Nuaillé. Je ne sais pas si je l’aimais, et encore aujourd’hui je n’ai pas de réponse à cette question.

Nous les filles en ce temps nous nous devions d’être mariées et d’avoir des enfants, alors lui ou un autre en fait cela devait m’importer peu. Il était bien mis de sa personne, avait un peu de vignes et savait danser à merveille.

Je l’avais fait attendre jusqu’aux noces pour lui octroyer mes faveurs, je ne suis pas une Marie couche toi là tout de même.

Depuis je lui avais fait quatre enfants, nous avions eu le malheur d’en perdre deux.

Nous vivions avec mes beaux parents ou plutôt chez eux, je souffrais énormément de cette promiscuité. La maison était petite et nous faisions chambre commune avec les enfants et les parents de mon mari. Qu’on juge de la simplicité, nous faisions tout en commun et on partageait tout. Vivre une vie de femme lorsque vous saviez que vous étiez épiée et écoutée, eh bien moi cela me coinçait littéralement. Jacques ne semblait pas préoccupé de savoir que sa mère l’entendait quand il me besognait. Ce qui préoccupait cette harpie c’est que je sois pleine et lorsqu’elle nous avait entendu le soir et bien le matin elle me faisait la soupe à la grimace.

« Ma fille vous allez encore être grosse, crois tu qu’on ait la même bourse que les rois »

Mon beau père lui se fendait la pipe, le vieux graveleux devait peut être s’imaginer sur moi lorsqu’il avait droit aux faveurs de sa vieille bonne femme.

Mon mari lui était aussi catégorique que sa mère il ne voulait plus d’enfant. Moi je lui répondais si t’en veux plus, laisse moi donc tranquille.

Vous pensez bien qu’il avait ses besoins et que j’étais tout de même là pour les satisfaire, alors il fallait s’en remettre au bon Dieu. Avec la fréquence de nos rapports il aurait fallu que notre seigneur , Jésus, Marie sa mère, et tous les saints interviennent pour que je n’ai plus de bébé. Mais suivez mon raisonnement le curé disait que nous étions pires que des bêtes à toujours copuler et qu’il ne fallait le faire que si nous voulions un enfant.

Je me morfondais quand il arriva, non plutôt j’étais terrorisée de sa réaction possible.

« – Faut que je te dises le Jacques.

  • quoi donc?
  • Je suis pleine
  • Encore, mais bougre d’andouille comment que tu t’y prends
  • Mais, mais j’y peux rien
  • Bien sûr que t’y peux, c’est bien ton ventre
  • Oui mais c’est ta semence
  • quoi que tu dis Marguerite, si t’es insolente je vais te mettre une plumée
  • Jamais t’oserais et si tu me touches je gueule au milieu de la rue et tu auras l’air malin. »

Immédiatement il me gifle, je me touche la joue et des larmes coulent, sa colère s’estompe. Mais pour combien de temps?

Le soir il annonce la nouvelle à la maisonnée, le vieux dit m’étonne pas, la vieille dit, il faut le faire passer, mon mari dit j’en veux pas, débarrassons nous en.

Pendant que je cuisine les trois complotent, puis comme des princes je les sers et plus un ne me parle.

Je connais bien dans le village une matrone qui fait passer les bébés, mais j’ai peur, c’est interdit, c’est un meurtre, c’est un péché.

Le soir je n’en n’ai pas envie, je le hais de m’avoir battue mais lui il veux, alors si il veut je dois le faire.

Je n’éprouve rien, il ahane, et me pilonne encore plus fort que d ‘habitude, je crois savoir ce qu’il a en tête.

Il me fait mal, arrive à son affaire, puis se tourne en me disant « il faut qu’il passe.»

LA BAILLETTE DU GUÉ D’ALLERÉ, Épisode 1

 

En ce dimanche 1er janvier 1804, Jean Gaquignol ne tenait plus sur son banc, la messe qui pourtant avait toujours la même durée semblait s’éterniser.

Il avait comme chaque dimanche, revêtu ses plus beaux habits. Mais en ce jour il avait encore plus prêté de soin à son apparence. Du haut de ses vingt ans, fier de sa jeunesse, de sa force il semblait défier l’assemblée de paroissiens de son petit village . Né en 1784 dans le petit bourg vigneron du Gué d’Alleré, il était fils de Jean et de Marie Favreau. Son père petit cultivateur, vigneron possédait quelques terres, décédé depuis sept ans les quelques arpents de la famille étaient passés dans ses mains. Il s’efforçait d’entretenir ce capital mais il avait aussi l’ambition de l’agrandir.

C’était donc en temps que chef de famille qu’il allait à l’issue de la messe postuler pour l’attribution du banc sur lequel il se tenait serré au près de sa mère.

Tenant son chapeau à pleines mains il se forçait à suivre le long sermon du père .

Sa mère la Marie Favreau comme l’appelaient les habitants du village, penchait la tête pleine d’humilité, petite, menue comme un oiseau, toute de noire vêtue, un strict bonnet posé sur ses cheveux gris tirés en arrière. Jamais elle n’aurait imaginé, qu’elle vivante un Gaquignolle serait assez téméraire et assez aisé pour s’attribuer un banc d’église. Elle en était effrayée, mais elle savait que son fils malgré ou grâce à son jeune âge osait tout entreprendre.

Assis non loin de lui se tenait Jean Petit aussi cultivateur et ami d’enfance de Jean, aussi petit et trapu que Jean était grand et svelte. Il allait partager les frais avec les Gaquignolle et bénéficierait aussi de ce banc.

Jean Petit était aussi fils du Gué d’Alleré. Les deux familles devraient donc partager la longueur de ce banc de prière.

Les deux familles s’appréciaient depuis toujours et étaient peut-être liées par quelques cousinades.

Enfin ce foutu curé Benoit terminait, certains habitants quittèrent le saint lieux mais un grand nombre resta.

Sur le premier banc se tenaient les membres du conseil de la Fabrique et le maire du village. Il était d’usage de le nommer le banc d’œuvre.

Les bancs étaient attribués à vie et ils s’en libéraient donc très peu

Au moyen âge les fidèles dans les églises restaient debout, puis des bancs de pierre apparurent.

Les seigneurs jouissaient d’un droit de prééminence ou de jouissance pour y poser leur noble postérieur.

Ces lourds bancs de pierre souvent accolés sur les cotés furent remplacés par des bancs de bois, puis par des chaises qui chacun apportait.

Devant le désordre occasionné il fut décidé que ces bancs seraient loués par la Fabrique.

La coutume se codifia au 18ème siècle et perdura même, après que l’usage des bancs et des sièges devint gratuit. Les notables continuant d’être propriétaires des leurs et s’attribuant évidemment les meilleures places. Le nom des familles était souvent inscrit sur des plaques de cuivre, on en trouve encore dans certaines églises.

Cet état de fait ne fut supprimé qu’en 1962 pendant le concile Vatican II.

 

La suite à lire dans La Baillette du gué d’Alleré épisode  2

 

 

LE BIGAME DU GUÉ D’ALLERÉ épisode 4

Je trouvais néanmoins qu’il passait beaucoup de temps dans les auberges ou à boire des coups avec ses amis. Souvent il rentrait un peu gris mais bon j’étais conciliante les hommes sont comme cela.

Ce que j’aimais moins c’est quand il me réclamait de l’argent et cela arrivait de plus en plus souvent.

On peut pas dire qu’il était constant en son travail et les journées manquantes ainsi que les journées bues obéraient nos finances.

C’était un motif de fâcherie mais bon amoureuse je lui passais tout.

Puis tout bascula, mon amour, ma vie.

Le 23 octobre1866 par ma fenêtre je vis passer un groupe de gendarmes qui se rendait à la maison commune. Auguste à les voir changea de couleur, visiblement il n’aimait pas la maréchaussée.

Les pandores, accompagnés du maire se dirigèrent vers notre maison, puis toquèrent à notre porte.

Ce fut un joli raffut . les voyant Auguste sauta par la fenêtre et s’enfuit par le jardin. Les soldats partirent à ses trousses et le maire et le gradé rentrèrent chez moi.

Je ne comprenais pas et je me mis à pleurer.

  • Madame nous venons arrêter monsieur Auguste Eugène.
  • Mais pourquoi
  • Vous vous êtes bien mariée en janvier avec lui
  • Oui
  • Eh bien, il n’en n’avait pas le droit, car il était déjà marié
  • Vous devez faire erreur
  • Oh non madame
  • En plus ce n’est pas la première fois qu’il fait le coup.

J’étais atterrée, stupéfaite, le maréchal des logis me révéla que mon mari avait contracté mariage avec la nommée Marie Magdeleine Zy à Rochefort en date du 1er aout 1854.

Il était donc bigame et qui plus est père de famille.

Ils ramenèrent Auguste, trempé, les menottes aux poignets, il avait tenté de fuir par les fossés de la Roulière.

Je ne revis plus mon mari, il fut emmené à la brigade de gendarmerie de Nuaillé d’Aunis, puis à la maison d’arrêt de La Rochelle.

J’appris tout de lui, par les journaux et par le maire, ce n’était guère joli. Mon lascar était en fait un récidiviste des mariages. Après qu’il fut marié à mademoiselle Zy le vaurien fut condamné à deux ans de prison pour vol. Laissant cette malheureuse dans le besoin avec sa fille qui avait vue le jour lorsqu’il était déjà en prison. A sa sortie de prison il resta pourtant en couple avec elle pendant deux ans, puis en fin d’année 1858 il la quitta à jamais pour tenter l’aventure sur La Rochelle où il était moins connu.

Il mit le grappin sur une petite journalière qui avait un peu de bien et la demanda en mariage, elle lui rétorqua qu’elle était déjà enceinte d’un autre. Mon escroc enjôleur décida de prendre la paternité à son compte et le 26 janvier 1859, Marie Chignac pour son malheur devînt madame Eugène.

La supercherie fut rapidement découverte car la première madame Eugène vint accoucher à l’hospice de La Rochelle. Auguste reconnut les faits et à la cour d’assise de Saintes le 29 juin 1859 il fut reconnu coupable et condamné à cinq ans de réclusion.

Le traitre abandonnait donc deux enfants et sa femme légitime ainsi que la malheureuse Rochelaise et son enfant qu’il avait reconnu.

Cela faisait déjà beaucoup pour moi.

Il fit donc ses années de prison et à sa sortie retournant chez lui. Il apprit que sa femme était en prison pour 18 mois et qu’elle avait un amant.

Il s’empara des meubles et des effets de sa femme vendit le tout et alla s’installer au Gué d’Alleré.

Vous connaissez la suite, l’ignoble individu que j’aimais tant n’était qu’un vaste imposteur.

Les choses ne traînèrent pas, de la maison d’arrêt de La Rochelle il fut conduit à celle de Saintes et le 20 novembre 1866 repassa une seconde fois aux assises pour fait de bigamie. Il prétexta qu’il croyait sa femme décédée, son avocat monsieur Guédon concentra sa plaidoirie là dessus. Les jurés ne furent pas dupes et il fut condamné à six ans de prison.

Je ne le revis jamais, j’en avais maintenant soupé des hommes. Sans pouvoir lui pardonner je pense que je l’aimais encore mais bon c’était une autre histoire. C’est assez courant d’aimer quelqu’un qui vous a fait du mal.

Voila l’histoire du Bigame du Gué d’Alleré, jusqu’à présent je n’ai pas retrouvé sa trace, si vous voulez m’aider dans cette enquête ce serait génial et je pourrais poursuivre mon histoire.

Pour l’infortunée Anne Duteau c’est un peu la même chose je perds sa trace en 1871, à cette date elle vit encore au Gué et sa fille Constance Emilie est domestique à La Rochelle. La encore j’aimerais suivre sa trace mais quand à présent mystère.

Je vous mets à tous les renseignements que je possède et je fais appelle à vos talents d’enquêteur.

  •  

Auguste Eugène né le 26 06 1831 à Rochefort de parents inconnus

Marié à Marie Magdeleine Zy le 1 aout 1854 à Rochefort

Marié à Marie Chignac le 29 janvier 1859 à L a Rochelle.

Marié à Anne Duteau le 08 01 1866 au Gué d’Alleré.

Mort à Villeneuve sur Lot le 01 08 1876 ( Présence maison détention de Eysse )?

Anne Duteau née à la Croix 87, le 17 octobre 1814 , décédée le 30 novembre 1894 à Saint Rogatien ( 17 ) chez sa fille Constance Turgnier

de Pierre et de Marie Marcou

Mariée à Pierre Turgnier le 09 02 1839 au Gué d’Alleré

Mariée à Auguste Eugène le 08 01 1866 au Gué d’Alleré

Marie Magdeleine Zy : né à La Rochelle le 17 12 1831, morte à Rochefort le 25 08 1897.

Remariée avec Jean Henry Rosière le 18 01 1879 à Rochefort.

Enfants de Auguste Eugène :

Emile Eugène né, le 16 mai 1855 à Rochefort, mère Marie Magdeleine Zy

Hermine Eugène, née le 8 juin 1859 à La Rochelle, mère Marie Magdeleine Zy

Marie Elisa Eugène, née le 22 mars 1859 à La Rochelle, mère Marie Chignac

Mariée à La Rochelle le 8 juillet 1882 à Pajaud Augustin( dont descendance )

Enfants de Anne Duteau

Constance Emilie Turgnier : née au Gué d’Alleré le 05 mai 1841, mère Marie Duteau, décédée le 29 mars 1925 à La Rochelle (tasdon )

Mariée à Saint Rogatien 17 avec François Guichard le 28 octobre 1872, ( dont descendance )

Firmin Théodore Turgnier : née au Gué d’Alleré le 19 aout 1839

marié à Nantes le 17 novembre 1868 avec Marie Anne Garaud ( dont descendance )

François Duteau : né à Saint Médard d’Aunis, le 18/06/1850 chez catherine Voyer la sage femme. Mort le 25 novembre 1873 à Saint Rogatien ( 17 ) chez son beau frère François Guichard.

LE BIGAME DU GUÉ D’ALLERÉ épisode 3

 

Sans que je puisse le retenir il partit chez Daunis l’aubergiste pour se rincer un peu, il annonça la nouvelle à tout le monde. Une révolution n’aurait pas ému plus la population, la Duteau allait se ficeler avec ce vaurien d’Eugène.

Ma famille leva les bras au ciel et  ma belle famille me tourna carrément le dos. J’étais seule avec mon amour mais peu m’importait, pourvu que je sois avec lui.

Le mariage fut prévu pour le lundi 8 janvier 1866. Ce ne fut pas facile car le maire ne m’aimait pas. Le père Petit ne m’appréciait guère, car voyez vous j’avais eu un enfant hors mariage, alors monsieur fit des difficultés, il me fallait un acte de naissance et il mit quand même un certain temps à arriver du Limousin.

Pour Auguste aucun problème ne se fit jour et on obtint les papiers de Rochefort assez rapidement.

Moi je désirais me marier à l’église, nous en avions droit, car moi veuve et lui garçon. Il fallut convaincre le curé, monsieur Auguste Eugène nous dit-il, je vous veux en communion. Par amour pour moi il ne vît aucun problème dans tout cela, d’autant qu’il était assidu aux offices. Même si certains disaient qu’il venait à l’église pour lorgner les femmes, il n’empêche qu’il était quand même à la messe tous les dimanches alors que d’autres étaient à l’auberge.

Le pauvre fut quand même un peu embarrassé de me dire qu’il était un peu juste pour régler les frais des noces. Qu’à cela ne tienne je paierais avec mon bas de laine.

A l’aide du tailleur Jean Phillion je me confectionnais une jolie robe, il convenait de ne pas la faire trop voyante, trop agressive, pour les yeux prudes des commères, j’étais déjà vieille.

Lorsque je me mirais la première fois dans cette belle tenue, j’en eus les larmes aux yeux, je me trouvais belle, encore jeune et encore désirable. Elle était rose pâle avec par dessus un châle de dentelle façon La Rochelle. Sur ma tête j’avais décidé de me couvrir d’une belle coiffe, j’en rêvais depuis longtemps. Lorsque je me m’étais mariée la première fois la mode de ces longues coiffes avec un voile qui trainait derrière n’était pas encore de mise.

Pour que mon homme soit beau je lui payais aussi un nouvel habit de noce, il pourrait de toutes les façons le remettre le dimanche et sur son lit de mort si il lui arrivait malheur. Quaquignolle le cordonnier lui remit à neuf ses souliers, il fit un peu la moue car il en voulait des neufs. Je sus être ferme malgré ses tentatives de séduction corruptive.

Le choix des témoins ne porta pas à débat, ce fut deux de ses amis de cartes qui furent choisis, Antoine Hillairaud cultivateur et Joseph Mélé le sabotier. Pour moi ce fut Jean Dufourneau mon beau frère et Felix Bouteau mon neveu par alliance. Au début toute la tribu Duteau s’était liguée contre ma nouvelle union, personne ne voulait venir et encore moins me faire l’honneur d’être mon témoin. Puis il y eut revirement sans d’ailleurs que je sache pourquoi et ils acceptèrent.

Sans doute pour qu’il n’y ait pas concours de foule le maire et le curé nous marièrent fort tard et il faisait grand nuit quand on sortit de la mairie par nous convoyer à l’église. On n’y voyait rien car le vent très fort éteignait nos chandelles. Mais par miracle, les curieux du village nous firent une haie d’honneur en ouvrant leur porte pour nous regarder passer. Nous avancions au milieu, apportant une solennité imprévue.

André Morin le maréchal ferrand pointait son sale nez avec sa grosse femme et ses morveux, le boulanger Jouinot teint blafard et calotte blanche les mains sur les hanches réprobateur et goguenard nous toisait du regard. Cet idiot de Joseph Jolivet bourrelier de son état assit sur une chaise le verre à la main trinqua à Auguste. Bien sur la famille du maire derrière les rideaux nous observait sournoisement. Bref sans que je puisse reconnaître tout le monde, les Gué d’ Allérien nous accompagnèrent comme des méchants et des curieux qu’ils étaient.

A la mairie Auguste eut un moment de faiblesse et lui qui avait une si belle écriture ne parvint pas à signer. Le maire rigolard, nota sur l’acte qu’il ne pouvait signer tant il était ému.

Pour le repas on alla chez Pierre et Marie Texier, je n’aimais pas cette auberge mais ils étaient moins chers que chez Daunis. Les hommes burent beaucoup et furent rapidement saouls, nous les femmes les regardions faire avec attendrissement. Vraiment je fus satisfaite et heureuse du bon déroulement de l’ensemble. J’avais tout payé sauf l’ anneau que mon amoureux m’avait passé au doigt.

J’étais maintenant madame Eugène et nous allâmes nous coucher. Pour la nuit de noces Auguste voulut me faire sa spéciale. Je ne vous dirais rien à ce sujet car je rougis rien que d’évoquer cela.

LE BIGAME DU GUÉ D’ALLERÉ épisode 2

J’étais libre comme l’air, comme peu de femmes l’étaient en ces périodes de dépendance masculine.

Un jour que je rentrais de moulin David où j’avais été faire une retouche sur la robe de la fille du meunier, un jeune homme se porta à ma hauteur et me fit la conversation. Je le connaissais de vue, il travaillait chez Jean Chabiron le tisserand.

Très à l’aise et de bel figure il me fit la conversation. En vérité je crois qu’il me fit parler et comme un fil qu’on déroule je lui racontais ma vie.

Arrivée devant chez moi, je savais juste qu’il se nommait Auguste Eugène.

A la maison devant mon ouvrage mon esprit fut tout à lui, il m’obsédait et chaque fois que je le chassais de ma tête il revenait au galop.

Le soir sur mon prie dieu, Jésus et Marie avaient peine à me voiler le visage du jeune Auguste.

Le lendemain comme par enchantement le gamin réapparut, si j’emploie ce mot c’est à dessein car il avait tout de même trente cinq ans. Seulement voyez vous moi j’en avais cinquante deux.

Par son babille il me charma encore d’avantage, ce jeune ouvrier me fascinait. Il avait une facilité à vous charmer, vous hypnotisant de ses belles paroles. Ce merle chanteur, ce rossignol par son chant me fit redevenir une jeune femme

Pour le physique qui n’était pas pour moi un élément essentiel le bel Auguste portait bien le surnom que lui avaient donné les lavandières du village.

Sans que rien n’y paraisse je l’avais examiné des pieds à la tête, mon dieu qu’il était beau j’en rougis encore. De grande taille il me dépassait facilement d’une demie tête, son corps était musclé et dégageait une force intérieure qui n’engageait pas à la lutte avec lui. Ces cheveux longs à l’ancienne mode était d’un châtain assez clair, et encadraient un visage rond et jovial. Ses yeux d’un marron tirant sur le roux vous scrutaient d’une lueur amoureuse et vous conviaient inévitablement à le rejoindre dans une aventure. Seul son nez qu’il avait un peu long et son teint par trop coloré ternissaient son image et l’éloignaient de la perfection.

Je sus bientôt tout de lui, fils de l’assistance il n’avait connu que foyer et hospice. Il avait appris seul la vie depuis sa naissance en 1831 à Rochefort. Il avait vécu de petits boulots puis avait été embauché à l’arsenal de Rochefort. Une décision inique l’avait contraint à quitter un emploi qu’il aimait. Un ami l’avait recommandé et il exerçait le métier de tisserand dans notre petit bourg.

Depuis qu’il était arrivé dans le village des bruits couraient bien sur son sujet. Mais la jalousie des autres hommes face à ses succès féminins et la jalousie des femmes sur qui il n’avait pas levé les yeux faisaient courir ces mauvais ragots.

Je le vis de plus en plus souvent, j’étais fière qu’à mon âge un homme si jeune et si beau s’intéresse à moi.

Tout le village fut bientôt au courant de nos rencontres, alors pourquoi se gêner. Nous nous tenions bientôt par le bras et nous promenions ensemble. Alors de la Moussaudrie, à Mille écus en passant par Rioux et Moulin David ce ne fut plus qu’un murmure. La Anne Duteau fréquentait le Auguste Eugène que c’en était une honte.

Tout le monde réprouvait et en particulier ma famille, mon frère François ne me cachait pas son désarrois et sa colère.  » tu vas te faire avoir par ce joli cœur, il n’en veux qu’à ta bourse. Tu te rends pas compte qu’il pourrait être ton fils  »

Bien sûr que je le savais mais cela me gonflait d’orgueil de le savoir à moi.

Puis un jour il arriva ce qu’il arriva, nous n’étions plus des enfants. Il prit possession de moi au physique comme il avait pris possession de mon âme.

Quand je dis qu’il m’a pris c’est une litote et il serait plus juste de dire que je me suis donnée.

Jamais je n’avais ressenti une chose pareille, ni avec Pierre mon mari dont pourtant j’étais éperdument amoureuse, ni avec l’amant de passage qui m’avait donné mon second fils.

Je vivais seule chez moi alors simplement il me rejoignait, nous n’avions qu’à fermer l’huis de la porte et le paradis nous appartenait. Mon dieu qu’il me semblait beau, son corps m’aveuglait, m’envoutait , m’ensorcelait, me subjuguait, j’étais comme une folle.

Il aurait pu me demander n’importe quoi, me jeter toute nue dans la Roulière ou bien partir en Chine avec lui. Un jour il me demanda un peu d’argent pour payer une dette pressante, je me fis un plaisir de l’aider, une autre fois je lui donnais quelques pièces pour le sabotier Justin Beaujean.

Mon frère n’était pas seul à me faire la leçon, un jour ma sœur vint me trouver pour me dire qu’Auguste était un séducteur et qu’il avait sûrement une compagne à Saint Sauveur. Elle trouvait bizarre que ce gars de Rochefort vienne échouer au Gué d’Alleré, sans attache, sans famille et surtout sans passé.

Même monseigneur l’évêque, même sa sainteté le pape ne m’auraient fait changer d’avis.

Puis un jour après nos ébats en reboutonnant négligemment sa chemise, alors que je fixais la pilosité de sa poitrine et que mon désir montait à nouveau, tout de go il me demanda en mariage.