LES POMMES DE TERRE EN LARD SANS LARD A LA COCOTTE NOIRE

Vieillie au foyer de la vie, la vénérable gueule béante attend ses mets.

Noire comme une plaque de cheminée, calaminée comme le conduit d’un âtre séculaire, la grand mère semble endormie.

Âgée maintenant de soixante quinze ans elle n’est plus autant utilisée qu’autrefois, la concurrence est rude, madame Téfal, la bruyante Seb et les petites nouvelles spécialistes de l’induction.

Toutes elles se moquent de son rustre aspect, certes elle est noire, oui elle semble couverte d’une suie centenaire et son couvercle avec un bouchon de liège est un défi à la modernité.

Mais contrairement aux autres, cette antiquité à une histoire et une âme, elle est liée, mélangée, attachée, soudée, attelée, amarrée à une vie.

Indéfectiblement ce noble monument ménager est la mémoire de la vie de mes parents. Je ne peux la saisir sans voir ma mère penchée sur sa gazinière avec sa cuillère en bois , je ne peux la prendre sans voir mon père les mains dans l’évier la récurer d’importance. Foutue gamelle qui a défaut d »une maitrise parfaite pouvait avoir tendance à vous carboniser les mets les plus fins.

Car voyez vous la vieille fonte est capricieuse, rebelle et insoumise. Elle vous divinise une recette ou bien vous la tyrannise.

Ce bien précieux, cadeau de prince, dot de reine fut offert à maman en 1946 par son patron pour son mariage avec mon feu père. En cette sortie de période difficile où les tickets de rationnement avaient encore libre cours le cadeau valait son poids, de fonte évidemment mais pas que.

Yvonne point avare de sa sueur et de ses forces travaillait chez qui voulait bien d’elle, travaux agricoles, travaux ménagers. En ces années post guerrières, elle travaillait donc dans une fonderie, mais n’allez pas croire qu’elle maniait le creuset en fusion sa mission était sûrement toute autre.

D’année en année, elle arriva la belle noiraude dans son placard sous l’escalier où ma foi tranquille parmi ses congénères elle coula des jours heureux.

La fameuse qui ne répugnait à aucune recette avait toutefois une spécialité. Elle comme nous, les membres de la famille nous dansions à la simple évocation d’un si divin menu.

Nul Carême, nul Vatel pas même les nouveaux dieux Etchebest et Lignac ne sont assez talentueux pour oser imaginer la recette des dieux, quand en mon enfance, je nommais les  »pommes de terre au lard sans lard à la cocotte noire  ».

Aucune carte au monde ne se risque à proposer ce plat des dieux, gouté par nous Tramaux et quelques pièces rapportées.

Indissociablement liée à mon enfance, à mes parents, à notre table de formica bleu, madeleine de Proust, réminiscence du passé, regret éternel de la vie qui passe, je me répugne à vous en donner la recette. Composition non pas secrète mais sacrée, pour l’édification des générations puinées je consens toutefois à vous la livrer.

Installez en trône, votre belle endormie sur un feu de gaz vif mais point trop. Vous y jetterez un copieux morceau de beurre, non pas salé vous n’êtes pas en l’ile de Rhai. Ensuite divin à l’odeur alléchée du lard que vous y ferez griller,et oui comme dans toute énonciation de recette il y a supercherie. Maman pas assez riche pour nous dénicher des ortolans l’était quand même assez pour odoriférer nos patates d’un gras parfumé.

Le beurre chantant, le gras du lard l’accompagnant, vous ajouterez l’invitée principale, les patates adorées venant du marché de la place du pont Perrot. Coupées pas trop grosses, mais pas trop petites ,le tubercule de parmentier se doit de rissoler mais aussi couvercle oblige de cuire à l’étuvée.

Chacun ses secrets, vous devrez jouter avec le feu, la cuillère de bois et le couvercle comme vous joueriez une partition sur un Steinway de compétition.

A vous de surveiller la cuisson, à l’odeur, à la vue, au gouter, le travail est délicat, lard est subtile (jeux de mot ).

Lorsqu’enfin la messe était dite, maman comme un curé avec son ostensoir parsemait le tout d’un gruyère râpé du plus beau effet.

Jusqu’au soir de leur vie, ce plat de roi régala leurs papilles. Chaque fois que nous retournions au giron de notre enfance nous réclamions ce menu gastronomique. Faisant fi du gras ingurgité nous replongions tels des mômes dans notre vie d’enfant.

Devenu vieux à mon tour, mes parents poursuivant peut être ailleurs leur vie, j’ai récupéré en précieux héritage la marmite des dieux.

Chaudron magique, calice, Graal du roi Arthur, elle règne, vieille et vénérable parmi mes batteries neuves. Témoin d’un monde achevé, maillon d’une chaine d’amour familial, je me dois maintenant de vous quitter car l’heure du repas va bientôt arriver et il est grand temps que je la fasse encore travailler.

ODE A UN DÉPART

Accrochée à mon bras une vieille dame va cheminant.

Nos pas résonnent dans un couloir qui mène au néant.

Au loin quelques lumières clignotent, un homme geint.

Nous chuchotons pour fuir le silence que l’on craint.

Chambre onze, nous pénétrons, il est là presque gisant.

Les moniteurs éclairent son regard fuyant.

La pauvre éplorée regarde de ses yeux humides le visage défait.

C’est l’homme qui hier la protégeait et l’aimait.

Joues creuses, face émaciée, notre vieux héros se bat.

Yeux hagards, respiration fuyante, on t’en supplie, ne t’en va pas.

Tremblante elle s’approche , du fond de ton presque trépas.

Rassemblant tes dernières forces, tu lui souris papa.

Se penchant sur lui, elle embrasse son vieil amant.

Il lui susurre un » je t’aime » en souriant.

Qu’il est beau ce témoignage d’amour

Ma chère maman garde le pour toujours.

Peut être m’entendais tu , peut être pas.

Nous avions choisi d’être là.

Peut être nous sentais tu, peut être pas.

Lorsque nous serrions ton bras.

Puis dans un dernier râle ce fut ta fin

Nous laissant orphelin de notre destin

Le phare de notre vie s’est éteint.

Mon dieu qu’il est dur notre chagrin.

Dors en paix petit papa

Fait malheureusement suite au texte ci dessous

ODE A UN VIEILLARD

LE MORT DE LA TOMBE 36

Vandières et Chatillon sur Marne

 

Daniel était pour le moins un drôle de zigoto, né à Coulommiers petite ville de Seine et Marne en 1882 il était le 8ème enfant vivant d’un couple d’ouvriers agricoles.

Petit dernier de la fratrie, le travail agricole ne l’intéressait guère et une première petite condamnation pour outrage vint démarrer sa petite chronique judiciaire.

Il n’avait que 18 ans et l’affaire jugée au tribunal de Coulommiers ne lui valut qu’une amende de 25 francs.

Il n’empêche qu’il préféra s’engager au 18ème régiment de chasseurs à cheval, il y passa 4 ans devint 2ème classe et n’eut pas droit au certificat de bonne conduite.

Il n’avait pas eu le temps de finir son service qu’une demoiselle de Chailly en Brie se trouva grosse de ses œuvres. Il épousa Lucie Eugénie en 1906 .

L’armée ne l’avait guère assagi car une 2ème condamnation en 1907 lui coûta 50 frs, il ne s’agissait que de coups et blessures et bris de clôture mais enfin ce rejeton de la famille Tramaux ne pouvait rester tranquille.

La famille installée à Beautheil s’agrandit et 4 enfants se partageaient l’affection des  leurs parents.

La tranquillité du couple se trouva bientôt troublée car en 1913 Daniel Trameau fut condamné à 3 mois de prison pour abus de confiance.

Vraiment cet arrière grand oncle n’était pas fréquentable.

Voila pour la présentation sommaire de notre futur héros qui était l’oncle du fameux Fernand notre zouave de la chronique.

Nous sommes en juillet 1918 les Allemand libérés du front Russe vont tenter de percer les lignes françaises une dernière fois

Lorsqu’il prit position le 3 juillet 1918 dans le secteur de Vandières le long de la Marne, Daniel savait que sa division, la 8ème du 4ème corps d’armée avait vocation au sacrifice. Les boches ne devaient pas passer la Marne. Affecté au 3ème bataillon du 115ème régiment sous les ordres du commandant Herique, enterré en lisière du bois Rarey il servait de couverture à l’assemble de la position.

Daniel pas plus que dans le civil n’était un bon élément dans l’armée, certes brave et courageux faisant son devoir, il n’était pourtant pas de ceux qui en rajoutaient tel son neveux Fernand un zouave fanatisé couvert de blessure.

D’ailleurs il avait pas mal bourlingué et changé souvent de régiment. D’un groupe spécial à la mobilisation ,il était passé au 169ème régiment d’infanterie, puis au 4ème , puis au 140 régiment territorial, puis enfin au 115ème.

La hiérarchie se méfiait de lui car nommé caporal le 1 septembre 1915 il avait réussit à se faire casser de son grade à peine 4 mois plus tard.

Jusqu’à présent il avait eut une chance insolente, pas une égratignure, pas une seule maladie, à peine quelques poux . Les bombes et les balles ainsi que les gazs l’avaient épargné. La campagne de la Marne, Verdun et le Cornillet n’eurent point raison de notre Seine et Marnais.

L’ éminence d’une attaque se faisait sentir depuis plusieurs jours et chacun anxieux en redoutait la venue.

Le 15 juillet 1918 à 0 h 10 un violent tir se déclencha, toute l’artillerie Allemande semblait s’être donnée rendez vous au même endroit. Les torpilles de gros calibre, les obus à araine ainsi que les obus à gaz s’abattaient comme une nuée de sauterelles sur les malheureuses tranchées françaises. Casqué de son Adrian et ayant positionné son masque à gaz, Daniel comme les autres faisait le gros dos en chiant dans son froc. La terre tremblait et se soulevait, enterrait et déterrait des morceaux de cadavres, la fumée épaisse empêchait les soldats de se voir, le bruit assourdissant abrutissait les poilus qui résignés attendaient la fin du matraquage. Des imprudents ou des malchanceux sans leur masque à gaz hurlaient de douleur, les poumons brûlés par l’ypérite. Les morts se comptaient par centaines.

L’artillerie Française contre balança celle des teutons et le duel se prolongea pendant de longues heures. Daniel ivre de bruit, de peur et de fatigue sentait encore que cette fois- ci il passerait à coté de la sanction finale.

Mal lui en prit de penser cela, la faucheuse l’a t’ elle entendu, qu’un énième obus tomba à proximité. Une violente douleur, de la terre dans la bouche, du sang chaud s’écoulant d’un plaie béante, Daniel Trameau n’était plus. Ses restes mortels furent dégagés quelques jours après que la dernière offensive Allemande de la guerre fut repoussée.

Il repose maintenant en paix au cimetière de Dormans dans la tombe numéro 36.

Dors tranquille oncle inconnu,

Mort pour la France, héros méconnu.

Pour que ton sacrifice soit reconnu

Je te ressuscite un instant pour que ta vie soit lue

PS : 1200 hommes du 115ème régiment périrent lors des combats de Vandières, bois de Rarrey et Chatillon sur Marne

 

Mémorial de Dormans  ( Marne )

CHRONIQUE 11 – SUITE DU TEMPS DES HÉROS – DANIEL MON PÈRE

 

DANIEL

Daniel aidait comme il pouvait et soulageait le foyer en se faisant nourrir le jeudi chez ses grands parents.
Cela avait comme prix le labourage du jardin et la coupe du bois.
Daniel était un bon élève et si la conjoncture avait été autre il aurait pu faire un peu d’étude, mais à quoi bon, à 14 ans il fut placé en apprentissage chez un menuisier, Monsieur LEGOUGE.
Il n’y resta guère car en 1939, le monde trembla de nouveau.
Le chancelier du Reich, Adolf Hitler avait décidé d’envahir la Pologne. Après la Tchécoslovaquie, l’Autriche et le couloir de Dantzig cela faisaiT beaucoup.
L’Angleterre et la France déclarèrent la guerre à l’Allemagne.
Une nouvelle guerre mondiale, en France ce n’était pas l’euphorie, on mobilisa, les hommes montèrent au front à l’abri de la ligne Maginot. La Belgique était neutre, nous étions tranquilles, les Allemand ne passeraient pas .
Mais Hitler ne s’occupa nullement de la neutralité de la Belgique et l’envahit promptement. Nos soldats bedonnants et gorgés de pinard ne s’attendaient nullement à recevoir de plein fouet cette armée de sportifs surentrainés. Le résultat ne se fit pas attendre, les boches entrèrent une nouvelle fois en France, tout s’effondra, l’armée, le gouvernement et la population.
Un vaste exode se déclencha et des flots de militaires et de civils se trouvèrent emmêlés sur les routes en direction du sud.
Mon père se retrouva avec son père et ses sœurs, à fuir comme tout le monde.
Fernand travaillait à la ferme de la Psauve et ce fut en compagnie des employés de la ferme juchés sur des tombereaux et des charrettes qu’ils prirent la route. Ce fut un calvaire, Fernand et ses 5 enfants marchaient au rythme des chevaux, la route était encombrée, des milliers de personnes avec leurs bagages fuyaient l’avance ennemie. On voyait de tout, des automobiles, des camions, des charrettes, des vélos, des landaus et des brouettes qui portaient les enfants, les vieux, les victuailles et les souvenirs.
La progression était bloquée par de fréquents bombardements car les avions allemands en piquée, prenaient pour cible les convois de soldats qui empruntaient dans la même confusion que les civils la route du sud.
Fernand et les siens se jetèrent plusieurs fois dans les fossés, les sirènes des stukas provoquaient la terreur et le bruit des impacts des balles de mitrailleuses qui fouettaient le sol, rependaient la panique dans cet immense convoi. Partout les mêmes cris, les mères qui cherchaient leurs enfants, les enfants terrifiés qui se jetaient au sol en hurlant, les cris de désespoir, lorsqu’un proche ne se relevait pas. Tout cela pour rien

montereau (2)

PONT DE MONTEREAU

Ils arrivèrent à Montereau complètement épuisés après une journée de marche. Mais cette ville était un carrefour stratégique et fut bombardée le soir de l’arrivée des réfugiés de Nangis. Le pont sur la Seine fut détruit, impossible de passer. Un vacher de la Psauve nommé PERSONATA fut tué devant les yeux des enfants. Fernand et les autres ouvriers agricoles cherchèrent et trouvèrent un passeur qui sur une barque faisait la Noria entre les deux rives. Il fallut abandonné toutes les charrettes avec leurs contenus.
Daniel se fit piquer son beau vélo de course, il en eut le cœur gros car c’était un cadeau de sa mère pour son certificat d’étude.
Chacun se retrouva sur l’autre rive ou le ventre vide ils tentèrent dans une grange de trouver le sommeil. Fernand essaya de trouver à manger en vain et Daniel resta à surveiller ses petites sœurs.
Après une nuit sans sommeil il fallut reprendre la route, la faim tenaillait le groupe, ils allèrent à Montargis à plus de 50 kilomètres de Montereau,et mirent plus de 20 heures.
Dans cette dernière localité où il restèrent 2 jours, ils apprirent que le Maréchal Pétain nouveau chef du gouvernement avait signé l’armistice et que les Allemands arrivaient dans les parages de Montargis.
La situation sanitaire des réfugiés était problématique, les ventres criaient famine et la soupe de pattes de poulet que confectionna une paysanne du groupe n’y fit rien.
A l’unanimité ils décidèrent de rentrer et le long calvaire du retour commença, 75 kilomètres.
Pour être juste, il faut signaler qu’il y eut bien des actions d’éclat dans l’armée et la campagne de 1940 fit 100 000 morts, mais nous étions bel et bien vaincu.
A l’arrivée à Nangis les Allemands s’y étaient installés, ils y restèrent 4 ans.
Charles et Léonie avaient quand à eux poussé jusqu’à Gien avec les ouvriers de la sucrerie ou travaillaient Robert leur dernier fils.
Nangis se retrouvait en zone occupée et il fallut bien s’accommoder de la présence Allemande.
Fernand continua son travail dans les fermes, mais voyait rouge à chaque rencontre avec les Fridolins.
Daniel s’était fait embaucher malgré son jeune âge à la sucrerie pour y continuer son apprentissage de menuisier.
Son grand père déjà âgé y travaillait aussi pendant les fabriques, il envoyait Daniel chercher du pinard au bar du Tacot qui se trouvait à coté de l’usine. Il n’avait comme cela aucun compte à rendre à sa femme et pouvait boire un coup sans se faire engueuler.
La jeunesse gardait ses droits et mon père Daniel rencontra une superbe jeune fille de Rampillon . Il en tomba éperdument amoureux ce qui lui valut le désagrément de manquer le couvre feu et d’avoir des ennuis avec les Allemands. Son père mort d’inquiétude avait dû aller le récupérer au poste ou il s’en tira avec une bonne engueulade.
Une autre fois un bras d’honneur à un barrage avait failli lui valoir des ennuis encore plus sérieux.
Malgré l’occupation des milliers d’histoires d’amour se nouèrent, la nature gardait ses droits.
Puis, comme toute chose arrive enfin la France et Nangis furent libérés.
Les américains entrèrent dans la ville le 26 aout 1944, ce fut la liesse.
Des excès furent évidement commis, règlements de compte, femmes battues et tondues et délations diverses.
Mon père décida de s’engager dans un régiment de troupes coloniales.
Il se rendit à Melun et fut incorporé au 6 ème régiment d’infanterie coloniale. Les nouveaux soldats se virent vêtus des défroques Allemandes que l’on avaient teints à la hâte, il n’y avait pas d’arme et la semaine qu’il passa au dépôt fut une semaine de désœuvrement. Ils partirent enfin rejoindre la 9 ème division infanterie coloniale dans les Vosges. Le front de cette dernière s’étendait des Vosges à la Suisse. Le commandement décida de procéder au blanchiment des unités, en effet les troupes coloniales étaient composées de tirailleurs sénégalais et le froid qui commençait à venir était un handicap majeur pour ces soldats d’élite. On incorpora pour les remplacer les jeunes engagés volontaires dont faisait parti Daniel. Les nouvelles recrues n’avaient évidement pas la même valeur guerrière que nos africains aguerris, il fallut donc les instruire au gré des circonstances.
Les occasions de former les nouveaux ne manquaient pas, opérations locales, duels d’artillerie, patrouilles, tirs de harcèlement. Mon père pour sa débrouillardise fut nommé agent de liaison et fut doté d’un fusil américain USM 1917 et d’une radio modèle 536. Il eut l’occasion bientôt de se voir attribuer une carabine semi automatique calibre 30, munition courte surnommée « trente courte ».
Daniel rejoignit le front dans la région d’Anteuil, les derniers soldats noirs se retirèrent, toutes les compagnies furent blanchies et les nouveaux furent repartis dans les diverses compagnies. Les anciens de l’ile d’Elbe et de la bataille de Toulon les prirent en mains. Ils continuèrent leurs instructions, tirs, simulations d’attaques, manipulations d’armes et vie militaire.
Les troupes étaient logées chez l’habitant, chacun se débrouillait  et luttait contre le froid et l’ennui
Mais l’occasion d’une vraie bataille arriva pour le 6 ème RIC, le 13 novembre, la compagnie de Daniel fut désignée pour faire sauter le verrou de Vermondans et Ecot dans le cadre de l’offensive de la trouée de Belfort.
Les hommes montèrent dans les camions qui les transportèrent sur le lieu de l’attaque. Il faisait froid, les hommes étaient transis et inquiets à l’arrière des Dodges ,juste protégés par la bâches des camions, peu d’entre eux parlaient.
Ils n’avaient pas loin à aller, 15 kilomètres, ils descendirent et attendirent les ordres. Les soldats mangèrent sur le pouce et fumèrent cigarette sur cigarette, Vermondans était cernée de toutes parts.
Les alentours étaient connus des soldats qui y avaient patrouillé très souvent et, chacun se rassurait car on disait que les troupes Allemandes étaient composées d’Alsacos ,nullement motivés et de moindre valeur combative. Malheureusement, ils eurent à déchanter.
Il fallut enfin y aller, la compagnie emprunta le chemin forestier qui la conduisit de Vermondans à la ferme de la combe d’hyans où fut donné vers midi l’ordre de l’attaque.
Les soldats progressèrent à travers bois, une partie de la compagnie fut décimée par un champs de mine.
Chaque section gagna sa place et attendit, la nuit vint, longue et difficile, il pleuvait un crachin gelé qui pénétrait les hommes. Impossible de dormir, ni de bouger, la hantise des mines et des tirs sporadiques des MG Allemandes faisait que tous se terraient. Les hommes faisaient leurs besoins naturels là ou ils se trouvaient.
A l’aube survint le bombardement des positions Allemandes, prélude à l’offensive générale. Puis ce fut la ruée sur le village, les maisons furent prises une par une, les pertes très élevées.
Daniel agent de liaison passait d’une section à une autre pour apporter les ordres. Malgré le bombardement préalable à l’attaque les soi- disant mauvais soldats Allemands se défendaient comme des diables. Mais enfin le village fut déblayé des derniers défenseurs teutons.
Retour sur les cantonnements d’Anteuil où Daniel et son bataillon restèrent jusqu’au 22 novembre.
Le 22 novembre la ville de Belfort fut libérée, les blindés avaient crevé l’abcès de Belfort.
Tout le monde fut chargé dans des GMC de l’armée Américaine et commença alors une longue route. Des traces de la bataille étaient partout présentes, des carcasses de véhicules entremêlées, Panthers ,Tigres, Shermans, Destroyers, auto mitrailleuses et canons anti-chars gisaient là éventrées, calcinées, témoins d’une lutte acharnée.
Ils arrivèrent enfin et furent déployés à proximité du village de Bartenheim.
L’ensemble des compagnies fut réparti dans des anciens blockhaus de la ligne Maginot. Le cantonnement n’était pas fameux, les blocs de béton humides et suintants ouverts en plein vent ne se prêtaient guère à un logement prolongé. Il fallut faire avec et chacun se trouva de la paille, une maison abandonnée, une gare et fit le nécessaire pour améliorer son ordinaire.
La position de la division formait comme une poche en Haute Alsace .
Mulhouse était tenue difficilement et la rive du Rhin n’était pas entièrement occupée, il existait une grosse poche Allemande .
Le but de la division était d’empêcher la retraite des Allemands vers le nord.
Les troupes Allemandes devaient qu’en à elles éviter l’encerclement et, attaquaient sans cesse les lignes de communications.
Les consignes étaient pour les hommes de faire attention au ravitaillement et tenter de vivre sur le pays, tant que la situation ne s’était pas éclaircie.
La compagnie de Daniel s’installa le long de la voie ferrée conduisant à Mulhouse. Des trous furent creusés ,protégés par le ballast.
Les animaux des fermes environnantes firent les frais de l’isolement des soldats et vinrent améliorer l’ordinaire. Cela changeait des rations de beans.
Le 10 décembre la compagnie fut désignée pour faire sauter le verrou du village de Loechle, ce fut un rude combat où les maisons furent réduites les unes après les autres. Les Allemands avaient transformé ce petit village en réduit fortement armé.
Après ce succès les troupes revinrent à Bartenheim et se refirent une petite santé en fêtant la victoire.
La compagnie se déplaça à Brinckheim petit hameau à 2 kilomètres de Bartemheim. La compagnie fut placée en alerte et 2 jours après ,transportée à petit Landan pour y relever une compagnie.
Puis ce fut le transport le 27 décembre sur Mulhouse, il neigeait abondamment. La division alla prendre part à la bataille de la poche de Colmar. C’était un très gros réduit Allemand adossé au Rhin avec pour centre Colmar qui passait devant Mulhouse, filait jusqu’à Thann, suivait la crête des Vosges à hauteur de Colmar et allait retrouver le Rhin vers Strasbourg en passant par Selestat, Benfeld et Erstein. La compagnie débarqua devant la maison mère des Potasses d’Alsace rue des faubourg d’Altkirch. Il faisait un froid polaire et la neige continuait de tomber en abondance. La cité industrielle était détruite, la population avait été évacuée. La compagnie s’installa près de la gare, heureusement le combustible ne manquait pas et Daniel et ses compagnons purent se réchauffer auprès d’énormes braseros.
Bien évidement les Allemands bombardaient copieusement avec des obus de gros calibres faisant ça et là des victimes.
Le 30 décembre la compagnie fut réunie pour une cérémonie de remise de citations pour les actes de bravoure de la bataille de Toulon.
La zone était mise en état de défense et le haut commandement attendait une issue à la contre offensive des Allemands dans les Ardennes.
Justement, cette dernière début janvier s’essoufflait, par contre dans le secteur de Strasbourg la situation était assez préoccupante.
Dans le secteur du 6 ème RIC la situation stagnait sauf sur l’ile Napoléon qui subit un immense bombardement, prélude à une contre attaque Allemande.
La compagnie fut donc transportée pour renforcer le secteur.
Pour une fois la compagnie n’intervint pas, les 3 compagnies SS avaient été repoussées avec brio par le reste du bataillon. Retour au petit jour dans les cantonnements où la compagnie repris le train- train des entrainements et des gardes.
La zone de tir se trouvait à Didenheim sur le bord de la ville.
Puis un jour direction Dornach, sur le site d’une usine désaffectée nommée la  » mer rouge  ». Le site était préalablement occupé par les troupes ennemies et Daniel profita comme les autres des stocks d’aliments abandonnés, notamment des boites de charcuterie dont les soldats firent une orgie. La compagnie ne resta guère à cet endroit mais se déplaça à Niedermorschweiller dans une autre usine, beaucoup moins accueillante.
La garde se fit avec relève toutes les heures tant la présence des Allemands était rapprochée. Le français débrouillard par nature ne dérogea pas à la règle et un soldat de la compagnie trouva des stocks de paraffine qui servirent à éclairer une grande partie du bataillon. Le secteur de Lutterbach fut assigné à la compagnie, dont la tête de pont du tunnel de Lutterbach. Daniel et sa section étaient heureusement dans un autre secteur car ce dernier était particulièrement exposé.
Le 20 Janvier débuta la grande offensive du premier corps sur l’ensemble de son front, du Rhin aux Vosges.
La compagnie reprit la route de Dornach puis de Mulhouse où un cantonnement dans une école fut apprécié de tous car les soldats purent se laver et se raser et, luxe suprême dormir toute une nuit. Évidemment tout le monde savait que ce divertissement était le prélude à un grand Beans.
Le lendemain les camions les embarquèrent à Bourgzviller, la nuit était très froide et les soldats débarqués en vitesse apprirent qu’ils allaient attaquer à Illzach puis à Kingersheim.

 

kingersheim (2)

VILLAGE DE KINGERSHEIM

Les Allemands qui avaient contre attaqué et avaient été repoussés la veille, s’accrochaient encore sur le site de la cité Kuhlmann.
A 20 h 30 en colonne par un la compagnie s’ébranla et entra dans Illzach, le village portait les traces des combats de la veille, maisons éventrées, corps déchiquetés, et matériels Allemand abandonnés .
La nuit fut longue dans le village abandonné, interdiction de faire du feu seules les cigarettes vinrent tromper l’anxiété et la peur. Le silence effrayant était souvent rompu par les bruits stridents des Nebelwerfer que les troupes appelèrent les Six coups où les Vaches ( pour le beuglement ). C’était la version Allemande des orgues de Staline. Ils tombèrent par 6 dans un bruit effrayant et terrorisèrent même les plus courageux. C’était donc accompagnée de ce doux bruit et par une température de moins 10° que la compagnie attendait de monter à l’assaut de la cité Kulhmann à Kingersheim.
Le soleil était levé, le brouillard flottait sur les lignes allemandes, le bataillon soit 800 hommes attaqua. Déployés, les hommes se ruèrent sur leur objectif, cité Anna, cité Kulhmann, village de Kingersheim. La compagnie de Daniel devait se rendre maitre du cimetière. Les pertes furent énormes, le carrefour dit de » la mort » emporta un grand nombre de gamins. Le bombardement était intense, les Allemand se défendaient avec opiniâtreté. Petit Stalingrad ,le combat se poursuivit dans les rues, chaque maison était défendue, les morts des 2 camps jonchaient les murs et les blessés râlaient en attendant les secours. Le village était aux mains des français mais la position guère assurée.
La nuit se passa sous le bombardement des 6 coups, des 88 et des minens. Les heures passèrent et le village ressemblait de plus en plus à une ruine géante, pas une maison avec son toit ,ni un pan de mur épargné. En cours de journée des GMC apportèrent des centaines de coupons de rayonne blanche saisies dans les filatures de Mulhouse. Les soldats allaient pouvoir se confectionner un habit blanc de fortune, un rectangle découpé un trou pour la tête. Cet accoutrement permit de progresser en étant moins visible, c était du rafistolage. Malheureusement cela servit de linceul à beaucoup d’homme car la réduction de Kingersheim était délicate
D’après les anciens du régiment ,la bataille de Toulon, était presque de la rigolade par rapport à la poche de Colmar. Les soldats de part le froid incisif avaient du mal à se servir de leur arme, les mains étaient insensibles, les chairs restaient collées sur l’acier, les lèvres gercées éclataient, les blessés ne survivaient pas et la neige recouvrait les cadavres que les brancardiers avaient beaucoup de mal à repérer. Les beans avec un tel froid étaient des blocs de glace et la nourriture se résumait en café, en phoscao et en biscuits de ration que chacun s’efforçait de réchauffer sur des lumignons de paraffine. Nous étions le 26 et depuis le 9 janvier aucun soldat ne s’était déchaussé, déshabillé, ni lavé, les hommes ressemblaient à des zombies, écrasés de fatigue.
Daniel, agent de liaison devait transmettre les ordres oralement quand la 530 ne marchait pas, il s’élançait seul dans la neige, bondissait de maison en maison, devait chercher dans les caves les gradés à qui il devait donner des instructions, il était éreinté et avait eu pour l’instant beaucoup de chance car il s’était beaucoup exposé.
Il restait à prendre la cité kulhmann, le 27, la compagnie complétait les munitions et se fournissait en ration de vivre. L’heure H était « 10 h 40″.

30 minutes avant ,la préparation d’artillerie commença, la section de Daniel se trouvait en tête avec le lieutenant Minzeray. Les 500 hommes survivants s’élancèrent à l’assaut de la cité, le combat fut effroyable, les Allemand écrasés par le bombardement et par la supériorité numérique des français, se défendaient pied à pied, leurs 6 tubes faisaient des ravages, mais les Marie Louise de la première armée encadrées par les vétérans d’Afrique firent des merveilles et la cité fut prise.
Daniel fut récompensé d’une citation et de la croix de guerre avec étoiles pour son action pendant la bataille de Kingersheim.
Mais il fallait malgré la lassitude poursuivre la progression, un autre village faisait obstruction à l’avance Française.
Wittenheim, petit village qu’il fallut prendre coute que coute.
L’approche n’en était pas aisée, un glacis de 250 mètres s’étendait au sud des maisons . Il était pris en enfilade par les mitrailleuses allemandes et à porté de leur artillerie. La compagnie devait traverser le glacis pendant la préparation d’artillerie en longeant un fossé anti -chars puis en empruntant une passerelle qui mènerait après un bond d’une centaine de mètres jusqu’à un large creux ou poussaient des arbustes.
Les groupes devaient ensuite se repartir pour nettoyer le village.
A 7 h 20, le 30 janvier l’assaut commença et les colonnes s’ébranlèrent. L’artillerie commença aussi son action mais ayant mal réglé son tir, les bombes explosaient sur le glacis au milieu des français. A cela s’ajoutaient celles des Allemands, les troupes subirent l’enfer avant que l’on réussisse à faire allonger le tir.
Daniel baissait la tête et suivait la tête de colonne, le bruit était assourdissant, la terre mêlée de neige retombait en pluie fine sur les hommes, les bombes française et Allemandes éclaircissaient les rangs, déjà beaucoup de cadavres, le sang rougissait la neige et venait nourrir la terre d’Alsace. La mitrailleuse qui prenait dans toute sa longueur le fossé anti chars égrenait ses projectiles meurtriers, bon nombre, touchés à la tête s’écroulaient comme des pantins sans mot dire . La section arriva enfin près de la passerelle, il fallait sortir du fossé, courir et sauter dans le trou arboré.
Le lieutenant Minzeray montra l’exemple et hurla  »Vive la France les petits gars ». Ce fut ses dernières paroles, il mourut d’une balle en pleine tête. Mon père n’arriva pas non plus dans l’abri salvateur, une balle de gros calibre vint lui broyer le poignet et un éclat d’obus dans le même temps lui tailla l’épaule.

 

wittenheim (2)

BATAILLE DE WITTENHEIM

 

Mon père se releva seul et alla rejoindre le poste de secours où des brancardiers l’emmenèrent à l’hôpital de campagne où il y reçût les premiers soins, il fut ensuite acheminé à Besançon  où il fut opéré. La blessure au poignet était sévère, fracture ouverte et balle pénétrante. L’amputation fut évitée de justesse. La blessure à l’épaule était moins grave, car aucun éclat n’avait pénétré.
Après quelques jours mon père fut transféré à Evian où il effectua sa convalescence à l’hôtel Le splendide. Il y resta 70 jours. Ce furent des jours tranquilles face au lac et à la montagne.

 

evian (2)

HÔTEL LE SPLENDIDE

L’Allemagne Nazie s’effondrait et la 1 ère armée approchait de l’Allemagne.
Daniel eut ensuite 1 mois et demi de convalescence et c’est en pleine forme qu’il gagna le dépôt des troupes coloniales à Hyères.
Il apprit en arrivant que le dépôt se trouvait à Altkirch en Alsace.
Il reprit le train et sur place on le désigna pour se rendre à Insbrunk à la 709 ème compagnie sous les ordres du général BETHOURD. La guerre était terminée, l’occupation des territoires commençait.
Mon père resta en Autriche jusqu’au 31 janvier 1946.

Il avait hâte de rentrer, Yvonne l’attendait avec impatience et le mariage était programmé pour le 4 mars .
Mes parents s’installèrent rue Noas.
L’arrière grand père Charles s’éteignit en 1946 et fut enterré au cimetière de Nangis.
Fernand quitta l’avenue Voltaire et vint s’installer avec sa mère, rue des Fontaines. Seule lui restait sa dernière fille, Pierrette.

Mon père retrouva sa place à la sucrerie de Nangis et y resta jusqu’à sa retraite.
Ma mère se retrouva enceinte et accoucha d’un enfant mort né en 1947.
Ils ne restèrent pas meurtris de cette expérience malheureuse et mon frère Gilles naquit rue Noas en décembre 1948.
Mes parent en 1949 acquérir la maison familiale de la rue des Fontaines où ils rejoignirent mon grand père dans une cohabitation parfois difficile.

En 1955 ma grande sœur vint au monde à l’hôpital de Melun.
Nous étions entrés dans une ère nouvelle, les femmes accouchaient à la maternité assistée de médecin.
En 1958 Fernand, se vit remettre l’ordre de chevalier de la légion d’honneur en récompense de ses services à la nation, 40 ans après la fin de la guerre, il était temps . Ce fut donc au monument aux morts de Nangis qu’entouré des anciens combattants des 2 guerres et de son fils qu’il reçut cette prestigieuse médaille.
Pour ma part je naquis en mars 1961.

Le 10 novembre 1969, alité depuis plusieurs jours,i l fut décidé de  conduire Fernand à l’hôpital de Provins.Nous étions là aussi rentrer dans une nouvelle période ou les vieux ne mourraient plus chez eux. L’ambulance  arriva le chercher.

Je conserverai à jamais  l’image de mon grand père se levant seul une dernière fois et,  s’élançant à l’assaut de l’escalier comme il s’était élancé à l’assaut du mont Cornillet 60 ans plus tôt. Mon père le rattrapa de justesse et l’aida à descendre.

Le lendemain, 11 novembre, au moment de la sonnerie aux morts, Fernand s’en alla de chez les vivants pour rejoindre ses camarades zouaves morts depuis longtemps
Je n’ai conservé que peu d’image de lui.
Je le revois mangeant sa soupe devant la fenêtre le matin quand je descendais déjeuner.
Je me revois avec lui le jour ou il m’a acheté mon premier petit vélo blanc. J’ai aussi le souvenir lointain d’une dispute avec ma mère, mais c’est tout, j’étais jeune et le reste je l’ai appris de mon père.

Je vais terminer ma chronique sur le départ de mon Grand Père, en disant que j’ai toujours regretté d’avoir été au cinéma voir Astérix le jour de son enterrement.
L’histoire de mon père après ma naissance appartient au présent et je compléterai cette histoire plus tard.

A MON PÈRE

LE GUÉ D’ALLERÉ
26 AOUT 2013

CHRONIQUE 10 FERNAND 1891 – 1969 LE TEMPS DES HÉROS

fernand

FERNAND

Les années passèrent à Nangis, en 1911 vint le conseil de révision pour Fernand. Les futurs conscrits devaient se réunir dans une des salles de la mairie de Nangis pour passer devant un aréopage de militaires et un médecin. Mais les festivités commencèrent la veille,les futurs bidasses se réunissaient et faisaient le tour des maisons des conscrits pour boire un coup. La plupart finissait ivre et le garde champêtre devait souvent arrondir les angles le lendemain.
Le jour dit, tout le monde à poils ,en file indienne pour le passage sous la toise .Il fallait faire 1, 54 m minimum pour ne pas être déclaré inapte.
Fernand faisait 1,63 m, très sec, les cheveux châtain clair et les yeux marron foncés. Il fut déclaré apte.
En sortant de la salle ses copains de football l’attendaient pour aller boire un dernier verre au Commerce. Il était pressé car il venait de rencontrer une jeunette de 18 ans à qui il commença à faire des avances, mais tradition oblige ,un petit coup pour fêter  » le bon pour le service bon pour les filles »comme on disait à l’époque.
Seulement notre Fernand, fut signalé comme forte tête par les gendarmes de Nangis, ce n’est pas qu’il était mauvais bougre, mais il était susceptible et le moindre regard appuyé pouvait provoquer son ire.
Sa dernière bagarre dans un bal avait nécessité l’intervention des gendarmes, l’affaire s’était arrangée mais les condés l’avaient dans le nez et le signalèrent pendant le conseil de révision.
La conclusion fut qu’il reçût une affectation assez inattendue pour un Seine et Marnais, le premier régiment de zouaves.
Il fut donc incorporé au fort de Saint Denis, pour y faire ses classes.
A l’issue de cette période il reçut son affectation définitive ,ce fut le quatrième zouave et là Fernand tombât des nues car ce régiment se trouvait en Tunisie.

LES ZOUAVES

Fernand eut une permission pour annoncer la nouvelle à sa famille, il était assez excité à l’idée de partir, et fit le tour de ses connaissances pour la leur annoncer
Avec Fernande, la petite cuisinière, l’annonce se passa un peu plus mal et l’idée de ne pas voir son futur pendant 2 ans ne pouvait que lui faire couler des larmes.
Une dernière fois il embrassa père et mère, ses 2 frères et sa petite sœur.
Il rejoignit son groupement pour le grand départ.
Fernand n’avait jamais pris le bateau n’y jamais vu la mer.
La traversée dura quelques jours, le mal de mer faisant des ravages dans les nouvelles recrues, les officiers laissèrent sagement les troupes tranquilles.
Le 4 régiment de zouaves dans lequel il fut incorporé se trouvait donc être logé dans une caserne à Bizerte, il y fut du 11 octobre 1912 au mois d’avril 1914.

BIZERTE 2 (2)CASERNE DE BIZERTE

Pendant 20 mois la vie fut très dure, les exercices succédaient aux exercices qui eux mêmes succédaient aux gardes.
La chaleur incommodait souvent les métropolitains et les marches harassantes dans le désert mettaient nos soldats à rudes épreuves.
Des missions de guérillas contre les rebelles à la présence Française aguerrissaient les militaires.
Les zouaves fondés en 1830 faisaient partie des troupes d’élites et s’étaient illustrés sur tous les théâtres d’opérations coloniales.
Fernand s’enorgueillissait avec ses compagnons de faire corps avec ce régiment prestigieux.

LE CONFLIT

Mais le destin fit que Fernand ne fut pas démobilisé comme il le prévoyait.
Le Samedi 1 aout 1914, les murs de tous les villages et villes de France se couvrirent d’affiches annonçant l’ordre de mobilisation générale.  Mon grand père Fernand à la place de serrer dans ses bras sa Fernande se retrouva au fort de Saint Denis où le premier régiment de marche des zouaves fut créé.
Ce régiment fût formé du 4 ème bataillon du 1er zouave qui arrivait d’Alger, du 5 ème bataillon du 1er zouave qui se trouvait en garnison au fort Saint Denis et du 11ème bataillon que formèrent les réservistes Zouaves de la région parisienne.

FORT (2)FORT SAINT DENIS

Le lieutenant colonel HEUDE prit le commandement du régiment qui appartenait à la 75 ème brigade de la 38 ème division.

Le régiment fut réuni le 11 aout dans la cour du quartier et fut passé en revue par le général SCHWARTZ
Les hommes avaient un moral d’acier et brûlaient du désir de reconquérir l’Alsace et la Lorraine.
Le départ pour la Belgique se fit le 12 août 1914, le régiment soulevait l’enthousiasme chez les villageois qui accouraient en masse pour acclamer ces soldats à l’uniforme exotique.
Ces acclamations fanatisèrent les troupes et les zouaves avec Fernand en tête, reprenaient à tu-tête le refrain de leur chanson de marche

zouave 2Fernand 1er sur la gauche au 1er rang

Hourrah ! Hourrah ! mon brave régiment !
Le canon résonne et le clairon sonne !
Hourrah ! Hourrah ! Zouaves en avant !
Hourrah ! Hourrah ! En avant ! En avant !
Pan ! Pan ! L’arbi ! Les chacals sont par ici !
Les chacals, ces vaillants guerriers !

Les soldats furent embarqués en train jusqu’à Anor, petite ville du nord. Les hommes cantonnèrent à Chimay en Belgique.
Après 5 jours de marche, la brigade arrivait à Castillon et se rapprochait de la ligne de contre attaque.
Le 22 août à 3 heures du matin la brigade était rassemblée au sud de Gerpienne, à 10 heures l’ensemble du 3 ème corps attaquait les faubourgs sud et est du Chatelet.
Ce fut le baptême du feu pour le régiment mais aussi une cruelle désillusion, la victoire en chantant, la chéchia sur la tête, baïonnette au canon n’eurent pas lieu.
Les zouaves se jetèrent sur les Allemand avec une folle témérité, fruit d’une tactique obsolète et se firent hachés par les mitrailleuses lourdes des felgrauds.
L’artillerie Française fut inefficace alors que celle de l’ennemi prit  la 75 ème brigade de flanc. Les pertes furent importantes.
Comme sur tous les fronts les zouaves ne purent tenir et furent contraints à la retraite. Celle ci se fit dans l’ordre et la discipline, le premier zouave rétrograda dans l’Aisne et se retrouva le 25 août à Clermont les Fermes avec le 3 ème corps, les zouaves servaient d’arrière garde.
Le 26 août la colonne fut inquiétée par un parti de Ulhan et la vigilance fut renforcée, le départ pour la marche se fit dès 3 heures du matin afin de profiter de la nuit pour ne pas se faire repérer par les avions et les Zepellins.
Après la grande halte les soldats reprirent la marche, il était 21 heures la pluie tombait abondamment, personne ne chantait. Fernand en tête de colonne se mordait les lèvres pour ne pas s’endormir, il marchait mécaniquement sa fatigue était telle qu’il pensait qu’il n’arriverait jamais à la prochaine étape.
Et pourtant malgré la pluie, la boue et l’épuisement il fallait avancer, les fridolins les talonnaient.
Le 28 août, cantonnement d’alerte à Monceau le Neuf, les conditions climatiques n’étaient guère meilleures mais les troupes purent se reposer un peu mais manquèrent de ravitaillement.
L e même jour vers 21 heures le régiment se dirigea vers Perpeville en vue d’une attaque vers Ribermont.
Le 29 août, la brigade était engagée sur Ribermont ,le village était inoccupé, la ligne progressa, mais encore une fois une violente canonnade provoqua le désordre et obligea à un repli sur Ribermont.
Les pertes furent sévères et le moral était atteint quand les zouaves prirent le bivouaque.
Le lendemain, ils contre- attaquèrent vers Villiers le Sec pour protéger la retraite d’une brigade d’infanterie de ligne et encore une fois les pertes furent importantes.
La retraite se fit sur Renoussart
En une semaine le régiment avait chargé 3 fois et Fernand comptait déjà quelques bons copains au tapis.
Le 31 août la brigade prit son cantonnement près de Vivaise.
L e régiment de Fernand se porta sur l’avant une marche interminable sur les routes et chemins encombrés par des convois de toutes sortes de l’artillerie et des équipages de pont. Un mélange d’unités hippomobiles et d’automobiles disparates ( des camions, des bus, et des taxis) .
Le 2 septembre ils passèrent l’Aisne, le 4, la 38 ème division protègeait le 18 ème corps d’armée contre les attaques furieuses des Allemands notamment à Condé en Brie et à Montigny. La brigade est contrainte au replis.
Les zouaves sont rassemblés par le Général Schwartz au nord de Bergères face au bois de Beaumont encore une fois pour que la division retraite en bon ordre.
Reprise de la marche et arrivée à Thiercelieux.
Changement provisoire à la tête de la division et à la tête de la brigade, les Zouaves s’en moquent ils ont leur lieutenant colonel qui est toujours fidèle au poste.
Le régiment est le 7 septembre à Montceau les Provins dans la région de Provins, Fernand reconnaît bon nombre de fermes et en bon paysan vante les mérites de la terre Seine et Marnaise.
Mais la retraite était terminé , les français sous l’impulsion du maréchal JOFFRE reprenaient l’offensive, les Allemand n’allaient pas encore une fois visiter Paris.
Le 12 septembre la brigade est engagée à , Fismes, les zouaves se couvrent de gloire.

FISMES (2)FISMES

Le 15 ,violent combat à la ferme Sainte Marie, l’engagement fut meurtrier, alors que les bataillons montaient à l’assaut, Fernand voyait tomber le lieutenant colonel Heude, un zouave de l’escouade de Fernand le ramenait à l’ambulance mais malheureusement le premier chef du 1 er régiment de marche était décédé. Il fut remplacé par un chef d’une grande valeur le lieutenant colonel BIGAULT du GRANRUT.

C’est en montant à l’assaut de le ferme Sainte Marie que Fernand reçut sa première blessure, une balle dans l’épaule droite, c’en était provisoirement terminé pour lui. Malgré la douleur il se dirigea vers un poste de secours divisionnaire et il dut patienter 2 longues heures avant qu’un jeune médecin ne l’examine. La blessure était sérieuse mais le pronostique vital n’était pas engagé contrairement à des dizaines de camarades de combat. Il fut donc considéré comme victime valide et dut gagner à pieds l’hôpital de campagne le plus proche. Il n’était évidement pas seul et les membres de la colonne d’éclopées se soutenaient mutuellement. La route fut pénible et la prise en charge à l’hôpital fut laborieuse tant l’afflux de blessés, était important. Fernand n’avait reçu pour tout soin qu’une compresse d’huile camphrée. Mais enfin soigné, nourri il prit un repos mérité. L’institut Saint Nacre avait été ouvert le 4 août 1914 et avait 175 lits, les bonnes sœurs étaient attentionnées et les médecins efficaces.
Fernand eut une permission à Nangis puis s’en fut rejoindre son unité à Ypres sur un secteur de la cote 60. Le 12 décembre 1914, Fernand retrouva sa compagnie et lutta dans des conditions dantesques contre les Allemands qui venaient de déclencher une violente offensive. Le 25 décembre,ils furent relevés. Les pertes étaient énormes, les survivants exténués sans chaussure, couverts de boue, de poux et de galle n’étaient plus que l’ombre d’eux même et aspiraient à un repos bien mérité. Ils défilèrent devant le général HUMBERT à Popering.

Un petit mois de repos et fin Janvier Fernand est de retour au front. Il n’y reste guère lors d’une patrouille un tir de mitrailleuse allemande fauche l’escouade plusieurs ne se relevèrent pas. Fernand fut grièvement blessé à l’avant bras gauche, l’os ressortait et la plaie était large et profonde. La douleur était fulgurante la perte de sang importante. Il ne pouvait revenir seul à l’ambulance. Les survivants de la patrouille le ramenèrent. Cette fois ci la blessure était très grave et les médecins envisagèrent l’amputation. Encore une fois le cheminement fut le même, poste de secours, hôpital de campagne et hôpital de l’arrière. Les soins et la convalescence furent longs.
Remis sur pied Fernand prit quand à lui la direction de Vincennes, car avec quelques gars de sa compagnie il s’était porté volontaire pour devenir mitrailleur. Il rejoignit donc le centre d’instruction de Vincennes le 12 juillet 1915 et suivit le cours de mitrailleur, il était nommé télémétreur à l’issue du stage le 2 août.
A son retour de permission le 18 septembre1915, Fernand incorporait une compagnie de mitrailleuses sous les ordres du lieutenant DUVAL, il fut équipé d’une mitrailleuse Hotchkiss. L’ensemble du mois d’octobre sera consacré à l’instruction et aux manœuvres. Leurs positions se trouvaient à Tilloloy dans la Somme, ils y effectuèrent des travaux offensifs en vue d’une grande offensive qui n’aura pas lieu.

ZOUAVE MITRAILLEUR (2)MITRAILLEUR EN ACTION

Après des travaux harassants ou nos soldats paysans retrouvèrent le travail de la terre et des exercices pour former les nouveaux arrivants ils furent mis au repos pendant un mois sur le secteur de Moyenville.
Depuis le 15 mars le nouveau commandant du régiment se nommait ROLLAND. Il se fit tout de suite apprécier par la troupe lors d’ une visite des cantonnements où il ordonna le changement de la paille, des literies , le nettoyage des caves et celui des toilettes.
Les zouaves le nommèrent PAPA
Pour tuer le temps et rendre la vie moins triste certains soldats créèrent des journaux, chaque régiment eut le sien.
Celui du régiment de Fernand se nomma  » La chéchia  » et fut fondé par René CLOZIER, il y eut 73 numéros tirés à 1000 exemplaires.
Le rédacteur en chef était un nommé DACHE.
CLOZIER créa également une troupe de théâtre qu’il nomma  » Chacal Hurlant  » et qui joua une centaine de représentations sur le front et qui eut l’honneur de jouer au théâtre Sarah BERNHARD en novembre 1917.
Le journal et le théâtre permirent aux soldats de garder le moral malgré les pertes.
Le 22 octobre la division est passée en revue par le général en chef.

Le 31 octobre la brigade prenait le front dans la région de Canny sur Matz et plus particulièrement pour le 1er zouave le secteur du bois noir et l’ouvrage de la Garenne. Elle y resta 1 mois et demi et nos paysans soldats remuèrent la terre encore et encore. Le secteur fut calme mais il y fit un temps de chien, la pluie, le vent et le froid rendaient la vie difficile dans les tranchées et les hommes se demandaient bien quand cette comédie allait cesser.
« Quoi qu’on fout tout l’long du jour?
Rien, rien rien.
Quante on s’réveille, on attend d’becqueter; quante on a becqueté on pense à r’commencer.
On devient tout mou et quoi qu’on y peut ? Juste dalle ».
Maurice Genevois dans Nuit de guerre .
Maurice Barrés rapporte une phrase entendue dans les tranchées  » Vivement la guerre qu’on se tue ‘.
Le 24 décembre un aumônier vint célébrer la messe, les rations de pinard et de gnôle avaient été augmentées ,c’était le deuxième Noël passé dans les boyaux de terre froide. Ce fut d’ailleurs le dernier pour un gars de Coulommiers en faction et qui fut touché par un salopard de boche qui n’avait pas respecté la trêve tacite de Noël. Le lieutenant était tellement en colère qu’il faillit monter une expédition punitive.

Le 16 janvier 1916, la brigade prit son cantonnement près de Montdidier; repos, exercices, soins des petits bobos.

Dès le 11 février 1916 la division fut en alerte, des mouvements de troupes allemandes avaient été repérés dans la Meuse.

VERDUN

Les soldats en guerre depuis 18 mois avaient déjà tous connus la misère, le froid, la faim, la pluie, et la mort, mais aucun ne pouvait imaginer l’enfer de Verdun.
Presque toutes les unités Française y passeront, 160000 poilus y resteront. Cette bataille sera l’une des plus meurtrières de l’humanité.
Pourquoi Verdun ? Question plus facile à répondre pour nous que pour Fernand et ses congénères .
Devant l’enlisement de la guerre il fallait une grande victoire pour les allemands, cette dernière devait anéantir les forces françaises ou du moins les fixer le plus possible. Par ce triomphe les allemands devaient anéantir le moral des Français.
Falkenhayn ne choisit pas Verdun au hasard, le site se prêtait merveilleusement à cette attaque, la Meuse, des collines et des forêts ainsi que des forts désarmés depuis 1915 constituaient un endroit idéal.
Les allemands n’avaient pas compris que l’esprit de la Marne régnait encore chez les Français, et que regroupés derrière leur chef ,qui deviendra mythique ,pour eux ils ne pouvaient perdre.
L’offensive Allemande commença le 21 février 1916, la tactique était simple, bombardements intensifs pour rendre toutes résistances impossibles, puis occupation de la zone par l’infanterie.
Les zouaves furent convoyés en train jusqu’à la gare la plus proche et se mirent en route en colonnes. Ils marchèrent 3 jours et en se rapprochant de l’enfer ils entendaient de plus en plus distinctement les râles des canons. La lueur des incendies se joignait au bruit pour accompagner les zouaves à la mort.
Ils croisaient parfois des convois de réfugiés qui fuyaient les combats. Pauvres hères à pieds où juchés sur quelles haridelles qui emportaient les vestiges de leur vie. Ces hardes, ces quelques meubles, ces bibelots sauvés du naufrage étaient empilés sur des vilaines charrettes à bras. Ils avançaient, la tête basse ,résignés, les soldats se mettaient de coté et les laissaient passer.
Les soldats de relève croisaient ceux qui descendaient, les relevés survivants de nul part la tête basse, ivres de fatigue, rongés par la vermine couverts de merde et de boue avançaient, les rangs étaient clairsemés, les mines défaites, personne ne parlait.
Là aussi les zouaves se poussaient, par respect, par discipline ou par compassion des misères que ceux qui descendaient avaient subis.
Le 8 mars, dernière station du chemin de croix, un village en feu ou les zouaves doivent cantonner.
Quelques habitants s’y trouvaient encore et aussitôt un étrange marché s’organisa. Les paysans ne pouvant emmener toutes leurs réserves de nourriture, la vendaient aux zouaves ou l’échangeaient contre des cigarettes. Les soldats achetaient tout et n’importe quoi, des saucisses, des animaux sur pieds, de la graisse, de la charcuterie, du café.
Fernand fut plus malin et attendit que les gendarmes eurent chassés les derniers autochtones pour aller se servir gratuitement. Puis le 9 mars , la montée au Mort d’homme, ils prirent position près du bois bourru et du ravin de Chattancourt, la progression vers cette zone avait été très pénible et déjà très meurtrière. Il fallait faire vite, la 67 ème division que remplaçait la 25 ème était à bout. A 13 heures Fernand avec sa Hochkiss était en ligne.
Le lendemain sous un bombardement violent le régiment organisa sa ligne.
Le 11 mars se fut l’attaque du bois des Corbeaux, les zouaves fanatisés et gavés de gnôle s’élancèrent vaillamment contre les défenses allemandes.
Ils s’échouèrent le long de la rangée de barbelés, Fernand perdit des dizaines de copains, hachés par les mitrailleuses, coincés comme des chiffons dans les fils de fer.
Ils regagnèrent avec peine les boyaux de départ.
La journée qui n’était pas terminée fut l’une des plus meurtrière pour le premier zouave car à peine de retour dans leur position de départ il furent pris en enfilade par des batteries ennemies situées à l’est de la Meuse, puis durent subir une nouvelle attaque Allemande.

Il participa le 12 à une nouvelle tentative sur le bois des Corbeaux et se fut encore un échec.
Le régiment fondait comme neige au soleil, mais il lui fallut encore résister à une attaque des Allemand sur le bois Bourru.

MORT D'HOMME (2)TUNNEL ALLEMAND
MORT D’HOMME

La mission du fier régiment était un succès ,les allemands n’étaient pas passés.
Le 21 mars, la brigade passa sous le commandement du Colonel HOFF, les soldats s’en moquaient, ils étaient enfin relevés de l’enfer.
Douze jours pour mourir dans une période de la bataille qui faisait 777 morts et 920 blessés par jour. Fernand comme les autres était hagard, une fatigue incommensurable, un dégoût pour la vie, abruti de bruit, de mort, sourd des bombardements quotidiens, le corps imprégné d’une odeur de charogne.
La vue troublée à jamais par le spectacle des corbeaux et des rats qui se repaissaient d’un repas sans cesse alimenté.
Des frères d’armes tombés à quelques mètres qui vous tendaient les bras et que vous étiez obligés de ne point voir.
Vous vous bouchiez les oreilles mais leurs suppliques qui arrivaient jusqu’à vous, hanteront toujours vos nuits.

Au petit matin les cris avaient cessé, les âmes étaient trépassées, seuls les corps restaient, dépouilles sans linceul, livrées aux outrages du temps.
Souvent, les sentinelles appelaient, « il est vivant, il bouge encore, » le sergent se déplaçait, examinait, donnait une claque dans le dos du soldat qui comprenait. Une armée de nettoyeurs blancs, myriade empressée dans la brume des matins blêmes semblait soulever les corps des amis morts .
L’esprit brouillé par un paysage qui changeait sans cesse sous l’effet des bombes, les corps des copains de casemates abandonnés dans les lignes semblaient disparaître dans les mains de fossoyeurs lointains, broyés, mixés, enterrés et déterrés au grès de la pluie meurtrière . Après quelques jours dans les tranchées de troisième ligne, ils reprirent leur place au niveau de la tranchée des zouaves. C’est là que le 4 avril 1916, Fernand passa du statut de soldat à celui de héros, il fut blessé par un éclat d’obus, mais refusa d’être évacué. Ce qui par ailleurs lui sauva peut être la vie, car les évacuations étaient hasardeuses.
Ils furent enfin relevés du front et partirent se refaire du coté de Crépy en valois.

Quelques semaines pour refaire ses forces. Ce n’était pas des vacances, entraînements , instructions, tours de garde et patrouilles ponctuaient la période de reconstruction, mais enfin les soldats n’étaient plus au front.
C’est à Crépy que Fernand fut appelé par le Capitaine, responsable de son bataillon. Dans un garde à vous impeccable il apprit qu’il était cité à l’ordre du régiment.

ORDRE DU REGIMENT NUMERO 59

Le lieutenant colonel ROLLAND commandant le 1 er régiment de marche de zouaves , cite à l’ordre du régiment

TRAMEAU FERNAND
Par 2 fois blessé au cours de la campagne, a malgré un éclat d’obus reçu à la main dans les murs de Verdun, tenu à continuer son service, donnant à tous ses camarades un très bel exemple d’énergie.

Aux armées le 14 avril 1916
Le Lieutenant colonel ROLLAND commandant le régiment

Le 24 Avril le régiment prit en charge le secteur de Nouvron dans l’Aisnes. Les travaux d’entretien des tranchées étaient le quotidien.
Le secteur était calme, mais le 30 avril un bombardement violent secoua les lignes, les pertes furent peu nombreuses. Jusqu’en septembre la brigade occupera ce secteur. La vie était monotone, les bombardement constants avec des pointes à 1000 bombes par jour. Les zouaves creusaient et entretenaient les tranchées, une routine.
Cette dernière était parfois troublée par des tentatives d’attaques Allemandes.
Le 17 mai se présenta un déserteur, Fernand voulut  lui mettre un coup de baïonnette, un regard du sergent l’en dissuada. L’allemand fut conduit au PC de division.

Le 21 mai les soldats se délectèrent d’un combat aérien ,qui comble du bonheur ,vit la chute de l’avion Allemand, un Aviatik biplan avec 2 aviateurs à bord.
L’aéronef s’écrasa devant les lignes françaises, ne laissant aucune chance aux membres de l’équipage.
Les patrouilles étaient aussi quotidiennes et très dangereuses,
Le 23 mai et le 24 mai disparurent un sergent et un officier.
Le déserteur avait parlé, une forte patrouille se forma pour vérifier l’exactitude des renseignements fournis. Fernand fut volontaire et avec 20 zouaves ,vérifia l’existence d’un poste de surveillance teuton près du moulin de Chatillon.
Le 30 mai une patrouille similaire fut reconduite, Fernand n’y participa pas car il était de corvée de soupe.
Le régiment resta jusqu’en octobre 1916 dans ce secteur.
De nouveau un repos à Crépy en Valois et au camp de Crevecoeur
Mais le Général Foch, généralissime tenait à son offensive dans la Somme.
Le 12 octobre, la 25 ème division partait pour Chaulnes dans la Somme et fut affectée au 10ème corps du Général ANTHOINE.
L’ensemble de la 75 ème brigade (Colonel HOFF ) arriva sur site le 14 et s’installa dès le lendemain. La division occupait un front de 1500 mètres. Le 16 octobre commença un intense bombardement des lignes allemandes, il se poursuivra jusqu’à l’attaque du 21.
Le 17 un groupe d’allemands tenta de se rendre, mais pas de quartier ils furent anéantis par une torpille.
L’attaque sur le bois de Chaulnes fut repoussée de nombreuses fois à cause des conditions météo exécrables.
Après une intense préparation d’artillerie, l’attaque eut lieu le 21 octobre à 15 h17 ce fut une réussite totale.Le régiment attaqua les bois de Chaulnes et s’empara du bois 4. La division garda ses positions malgré de nombreuses contre attaques.
Le lendemain les allemand revinrent puis repartirent en laissant un grand nombre de prisonniers.
Les jours suivants les boches tentèrent de se refaire mais sans succès.
Le temps était exécrable la pluie tombait sans s’arrêter, transformant le terrain en marécage. Il fallut évacuer les troupes
A partir du 24 la 75 ème fut relevée et prit quelques jours de repos sur Montdidier.
Le 3 novembre, les zouaves étaient de retour en ligne et attendaient l’ordre d’attaque sur Pressoire, mais malheureusement les conditions météorologiques catastrophiques reportèrent sans cesse l’attaque.

Les soldats vivaient un enfer, de la boue jusqu’à la taille, un ravitaillement problématique et des boyaux qui s’effondraient sous l’effet des pluies diluviennes. Les malheureux vivaient, mangeaient, dormaient et chiaient dans l’eau. Lors des périodes de bombardement ils se jetaient au fond, dans la boue, dans l’eau et attendaient la fin, la fin du marmitage, la fin de la vie.
Le 7 novembre à 9 h55, la furia française se jetait sur Pressoire et le bois de kratz.
Les zouaves avaient à parcourir 2000 mètres sous un déluge de mort, le sol trempé ressemblait à un marécage et la progression sous la neige un enfer, mais l’élan fut irrésistible, les positions des allemands tombèrent dans les mains des Français et y restèrent.
Les zouaves furent impitoyables, et 300 allemands furent nettoyés par les baïonnettes des Chacals, vengeant par un massacres les jours lugubres passés dans les boyaux de mort et d’eau.
La haine en cette 3 ème année de guerre était profonde et la misère rendait les hommes féroces.
Fernand se distingua de ses paires et déploya comme chargeur de mitrailleuse un calme et une sérénité qui tenaient peut être de l’inconscience. D’autre part il y reçut une balle dans la main gauche ce que constata le médecin major LOMBARDY Pierre.
Chaque blessure devait être certifiée et celle ci le fut par le sergent major Anceaux René, le caporal fourrier BURNEAU Charles et le 2 ème classe MANCHOUX Jean.
Fernand en fut quitte pour un mois d’hôpital, 4 blessures et encore vivant cela tenait du miracle. Il rejoignit son régiment au camps de Neufchateau.

Pour la première fois le régiment était cité à l’ordre de l’armée.

ORDRE DE LA X ARMEE N 245
DU 5 DECEMBRE 1916

Le 21 octobre 1916, après avoir tenu plusieurs jours sous un bombardement meurtrier et continu, et dans des conditions atmosphériques extrêmement pénibles, a coopéré à l’attaque du bois de Chaulnes avec un allant superbe et dans un ordre parfait. Le 7 novembre 1916 chargé sous les ordres du lieutenant colonel ROLLAND d’enlever Pressoire et le bois de Kratz,s’est acquitté de la façon la plus brillante de sa mission après une lutte très dure à la grenade et en dépit d’une violente tempête de vent et de pluie.

Quartier Général le 5 décembre 1916
Le Général Commandant la 10ème armée
signé : MICHELER

Le 14 novembre, la division de Fernand avait été relevée, elle était restée sur le front 1 1 mois et avait enlevé Chaulnes, Pressoire et le bois de Kratz.Il y eut 7 officiers et 474 hommes de troupes tués, 40 officiers et 1738 hommes blessés.
Fernand pour sa conduite héroïque obtint une permission, ils ne furent pas nombreux à l’obtenir car seulement 5 % des soldats purent partir.
Après une journée de voyage Fernand se retrouvait à Nangis, il embrassa sa famille, rassura tout le monde sur sa blessure et se jeta dans les bras de Fernande qu’il demanda en mariage.
Il dut quitter les chauds baisers de sa petite fiancée et repartit sur son camp . La division resta sur Zone jusqu’en début d’année 1917.

Fernand pour sa conduite à Pressoire avait une nouvelle fois été cité à l’ordre du régiment.

CITATION A L’ORDRE DU REGIMENT
Numéro 257

Le lieutenant Colonel ROLLAND commandant le 1 er régiment de zouaves cite à l’ordre du régiment
TRAMEAU Fernand

Zouave de première classe à la CM 3 du 1 e r zouave pour :
Au combat du 7 novembre 1916 a fait preuve comme chargeur du plus grand calme et a assuré ses délicates fonctions avec un très grand sang froid, deux blessures, une citation. Très bon zouave, très courageux.

Aux armées le 9 décembre 1916
Lt colonel ROLLAND Cd le 1 er zouave
signé : ROLLAND

Les zouaves retirés du front se reposèrent quelque peu au camp de Neufchateau dans les Vosges et Fernand finissait de guérir sa blessure. Le régiment se reconstituait avec des nouvelles recrues, qui n’avaient plus grand chose à voir avec les guerriers venant d’Afrique. Les rescapés de 14 devenaient de moins en moins nombreux. Fernand était première classe, ce n’était pas grand chose mais son manque d’instruction l’empêchait de passer en grade.
La division à laquelle appartenait le régiment était maintenant la 48 ème, elle fut chargé des tranchées dans la vallée de la Moselle et de la Seille.
Le secteur fut tranquille mais un froid polaire rendait la vie difficile et le creusement des tranchées un véritable défit.
Le 5 avril en vue d’une grande offensive en champagne la division passa au VIII corps d’armée, commandée par le général CASTELNAU.
Le régiment rapproché des lignes de front se retrouva le 9 mai face au mont Cornillet.

MONT CORNILLET (2)MONT CORNILLET

Cette colline de 208 mètres faisait parti du dispositif des monts de Champagne, les Allemands s’y étaient solidement implantés.
Les attaques sur le secteur commencèrent le 17 avril, malgré de nombreuses et coûteuses attaques, le mont tenait toujours et les Allemands semblaient sortir de nul part.
Les combats furent dans ce secteur extrêmement difficiles, pires qu’a Verdun, dirent certains survivants. Le paysage ressemblait à un désert, des milliers d’entonnoirs ponctuaient les pentes, laissant apparaître les couches de craie blanche du sous sol. Des squelettes de sapins s’élevaient ça et là et leurs troncs calcinés semblaient sortir du sol, branches dérisoires d’une splendeur disparue. Les restes d’équipement faisaient ressembler l’endroit à une décharge et les restes mutilés des fiers soldats à un immense charnier.
La division commandée par le général JOBA s’installa sur le mont et se prépara à l’attaque.
Un événement imprévu vint changer le cours des choses, un officier Allemand fut fait prisonnier et dévoila l’existence d’un tunnel sur le mont Cornillet.
Des photographies aériennes dévoilèrent les entrées et les bouches d’aérations.
L’artillerie entra en action et se déchaîna sur cette cible.
L’attaque générale fut prévue le 20 mai et les zouaves se virent ordonnés d’escalader les pentes sud et de se porter sur les entrées du tunnel.
A 16 h 25 les troupes s élancèrent, 30 minutes après le mont Cornillet était aux mains des zouaves, aucune contre attaque ne put les déloger.
19 officiers et 600 hommes avaient péris dans cette mission que seule une troupe d’élite pouvait réaliser.
On apprit les jours suivants que les occupant du tunnel allemand avaient été emmurés et asphyxiés suite au bombardement réalisé la veille.
Le mont Cornillet était aux mains des Français, encore fallait-il le garder.
Les zouaves eurent à subir de nombreuse contre- attaques et de violents bombardements.
Fernand fut le 21 mai intoxiqué par les gazs et brûlé à la jambe gauche
La violence des bombardements était telle qu’aucune évacuation n’était possible, Fernand fut pansé par un infirmier et fut évacué sur l’arrière
Le régiment resta en ligne jusqu’au 25 mai, date ou il fut relevé.
Le cantonnement fut prit à Sept Saulx

Le 1er juin ,le régiment prit le train à Mourmelon et alla cantonner dans la région de Valmy.
Les bataillons prirent possession des tranchées du secteur Maison de champagne et restèrent sur ce secteur jusqu’au début juillet.

Le régiment fut cité à l’ordre de l’armée et reçu une fourragère et Fernand reçu une citation à l’ordre de la division.

CITATION A L’ORDRE
ORDRE DE LA DIVISION N 70

Le général JOBA commandant la 48 ème division cite à l’ordre de la division
TRAMEAU Fernand
numéro 8374. 1 er classe CM 3

Mitrailleur d’élite. Au cours des affaires du mont Cornillet a fait preuve des plus belles qualités : Bravoure, calme, sang froid. Enterré à 2 reprises différentes par des obus de gros calibres n’a pas quitté son poste et en cette circonstance a montré une énergie peu commune. A été blessé le lendemain. Avait déjà été blessé 4 fois. Déjà cité deux fois.

Aux armées le 13 juin 1917
Le général Joba ct la 48 ème division infanterie.
Signé JOBA

Le 5 juillet le régiment est envoyé au repos dans la région d’ Herpont.
Changement de commandant, à la tête du régiment le 21 juillet, le lieutenant colonel DESSOFLY assurera la marche de l’unité.
L e 2 août le général PRAX nouveau chef de la 38 ème division passa en revue le régiment et y présenta son nouveau chef.
Au mois d’août les zouaves faisaient retour vers Verdun.
C’était l’angoisse pour tous, les anciens redoutaient d’y retourner, les nouveaux tremblaient de découvrir l’enfer décrit par ceux qui avaient eux la chance d’en revenir.
Ce ne fut pas le grand massacre de la première fois et le régiment ne servit que d’appoint.
Les compagnies de mitrailleurs dont faisait parti Fernand, postées sur la rive gauche ,apportèrent un soutient majeur.
Après le succès de l’offensive Française, les zouaves se firent assignés le secteur bois de Cumière et bois des Corbeaux. Il y restèrent jusqu’à fin décembre 1917.
La vie fut ponctuée de travaux, de patrouilles et de petits coups de main dans les lignes ennemies.
Les bombardement étaient fréquents mais n’avaient rien à voir avec ceux de 1916.
Fernand obtint l’autorisation de retourner chez lui ,en permission de mariage. Après un périple à pieds et en train ou il dut montrer patte blanche à des gendarmes tatillons ,il arriva à Nangis.
Ce fut de belles noces et, entourés de la famille proche les deux tourtereaux convolèrent. Une cérémonie religieuse, la mairie, un repas simple copieux et arrosé fut servi.
On ne parla pas de la guerre, mais le père de Fernand avisa son fils que 2 de ses oncles Abel et Daniel avaient été tués au front.
La permission ne fut pas très longue et Fernand dut se faire violence pour quitter les bras de sa belle.
La guerre n’était pas terminée, il dut rejoindre les tranchées du bois bourru.
Début 1918 le régiment se recomposa et s’instruisit.
Le commandant était maintenant le lieutenant colonel KASTLER.
Il commandait 79 officiers et 2798 hommes.
Mais en attendant ,les zouaves qui étaient utilisés comme régiment d’attaque, étaient envoyés dans les endroits les plus durs pour forcer une position.
Le 26 mars le régiment fut embarqué en camion dans la région d’Epernay, puis à pieds gagna le front au nord de l’Aisne. Ils firent des reconnaissance sur l’Oise et des travaux dans la région de Vézaponin
Le 28 mars le lieutenant colonel POMPEY prit les commandes du régiment pour emmener ses troupes à la victoire.
En mai le front Anglais sembla menacé. Le régiment dut remonter vers le Nord et fut embarqué à Rethonde le 14 mai. Il débarquèrent à Wavrans et cantonnèrent aux alentours de Saint Pol et Fervent. Le 27 mai l’offensive Allemande le surprend loin du front. Nouveau voyage en train jusqu’à Betz puis cantonnement à Rouvres.
Les zouaves ne furent point utilisés et aménagèrent les berge du canal de l’Ourcq.
Le 10 juin, nouvelle mise en alerte pour participer à la contre offensive MANGIN sur la ligne Montdidier Compiègne.

Cette fois le voyage se fit en camions jusqu’à Rouvillers où ils arrivèrent à 5 heures du matin.
Lourdement chargés, les hommes, le ventre vide progressèrent d’une quinzaine de kilomètres. Fernand tirait sa voiturette portant sa mitrailleuse. Ils ne furent ce jour là ,qu’engagés en seconde vague . Le 12 juin l’offensive Allemande est arrêtée. Le régiment fut ramené pratiquement sur son point de départ. Il avait combattu 48 heures et parcouru 200 kilomètres en camions le tout en 3 jours, Fernand comme les autres ne tenait plus debout.

Le cantonnement était cette fois à Chelles ou les travaux s’enchaînèrent sans laisser de répits aux pauvres poilus.
Le 10 juillet , nouveau déplacement vers un secteur offensif de la région de Villers Cotteret devant Longpont.

Le régiment entama alors une série d’action, de détails, très brillante.
Longpont, la ferme LAGRANGE, le tunnel et les carrières de Longpont furent conquis avec enthousiasme et brio.
Fernand eut l’occasion de s’offrir sa 6 ème blessure, un éclat d’obus dans l’épaule gauche, mais encore une fois la chance lui avait souri et la blessure n’était ni grave ni invalidante. Cela lui valut encore un arrêt d’un mois et un petit retour chez lui. Il rejoignit son régiment à pieds car ce dernier était cantonné vers Coulommiers.
Fernand assista à une messe le 8 septembre dans l’église de Coulommiers en mémoire de ses copains morts pour la patrie.
Le 14 septembre était organisée une rencontre sportive entre une équipe de Parisiens et les Zouaves, Fernand intégra une équipe de foot, ce qui lui rappela sa jeunesse et le temps déjà lointain des matchs au stade de Nangis.
Le régiment obtint une autre citation à l’ordre de l’armée.
Le 22 septembre, le régiment, bien qu’ incomplètement reformé, fut transporté en auto sur le front de Champagne, il dût dépasser le 44 ème régiment et prendre position face à la Croix Muzard ,position fortement organisée qui n’avait put être prise par le 44 ème. Les combats furent âpres et acharnés et le 29 septembre les zouaves donnèrent l’assaut final à la Croix Muzard.
A 17 heures, 5 chars d’assaut se portèrent en avant ,les feux ennemis étaient denses et précis, les zouaves se terrèrent dans des trous, mais le cri donné par le Capitaine THINCELIN les électrisa et ils sortirent pour apporter dans un élan irrésistible la position Allemande.
Les combats se poursuivirent les jours suivants, toujours durs et meurtriers et toujours vainqueurs.
Le 2 octobre, le régiment passa en réserve car très éprouvé et alla occuper les tranchées du Kronsprinz et de la Vistule.
Le 9, les bataillons repassèrent en 1 ère ligne et raccompagnèrent les Allemands sur l’Aisne devant la ville de Voecq.
Arrivés dans le village de Grivy loisy, ils eurent le bonheur de délivrer 5000 civils prisonniers des boches. Les habitants oubliant leurs souffrances entonnèrent la Marseillaise sous le feux des avions ennemis.
Fernand n’oublia jamais cet accueil.
Fernand fut encore cité à l’ordre de la division.

Le général SCHUHLER commandant la 48 ème division cite à l’ordre de la division

TRAMEAU Fernand
de la CM3 du 1er régiment de marche de zouave

Zouave d’un rare courage et d’une grande intrépidité, lors des affaires du 29 septembre au 4 octobre 1918 s’est particulièrement signalé le 2 octobre
Voyant se dessiner une contre attaque a mis sa pièce en batterie malgré un feu violent de mitrailleuse et à réussi ainsi à briser cette contre attaque.
Quatre citations

Signé : Le général SCHUHLER

Le régiment ne remonta plus au combat.
L’ armistice fut signé le 11 novembre, enfin, les soldats allaient rentrer chez eux.

La guerre fit 1 697 000 morts en France et 4 266 000 blessés, l’Europe fut remodelée, des empires s’effondrèrent, les colonies changèrent de mains et le germe de la seconde guerre mondiale fut semé.

Après l’armistice les zouaves s’étaient rendus en une marche triomphale jusqu’en Allemagne, en traversant la Belgique et le Luxembourg. Ce ne fut que fêtes et arc de triomphe, les zouaves avaient la cote auprès des populations. Ils prirent position dans leur zone d’occupation, prés de Singhofen puis courant Janvier près d’Ems.
Fernand ne partit pas au Maroc avec son régiment mais fut transféré au 3 e me Zouave en attendant la démobilisation qui arriva enfin au mois d’août 1919.

L’APRÈS

Lorsqu’il débarqua à la gare de Nangis, sa femme l’attendait avec un bébé dans les bras. Il ne connaissait pas sa petite fille, prénommée Léone née le 25 novembre 1918.
Ils s’installèrent rue Gambetta à proximité de la rue des Fontaines.
Le retour à la vie civile fut difficile, 7 ans sous les drapeaux dont 4 dans l’enfer.
Lorsqu’il se couchait peut être entendait-il l’Avé Maria d’un poilu à sa baïonnette :

Je vous salue Rosalie pleine de charmes.
La victoire est avec nous
Vous êtes bénie entre toutes les armes
Que votre pointe qui fouille les entrailles des boches, soit bénie
Sainte Rosalie, Mère de la victoire.
Priez pour nous pauvres soldats.
Maintenant à l’heure de la revanche
Ainsi soit-il

Peut-être entonnait-il le chant de marche des zouaves lorsqu’il se rendait aux champs
Hourrah hourrah mon brave régiment.

Se rappelait-il quand il pleuvait , l’eau de Yser, les tranchées de Pressoire ?
Se rappelait-il quand il avait soif, le mont Cornillet ?
Se rappelait-il quand les champs étaient pleins de boue, celle de Verdun ?
Oh oui qu’il se rappelait, sa mémoire fut hantée de ces souvenirs ? mais il fallait vivre, il était jeune, sa femme aussi. Il reprit aussitôt son travail dans les fermes des environs.

Il était botteleur comme son père qu’il croissait parfois aux rythmes des travaux.
En 1921 il eut une autre fille qu’il nomma Suzanne, il aurait préféré un petit zouave, mais il lui faudra attendre.
C’est le 1 septembre 1924 à Bailly Carroie que son unique fils naquit, ils le nommèrent Daniel. Une petite fille naquit aussi dans ce village, elle prit le nom de Jacqueline nous étions en 1926.
C’est à cette date que le couple et leurs quatre enfants s’installèrent à Nangis boulevard Voltaire au numéro 68.

BOULEVARD VOLTAIRE (2)BOULEVARD VOLTAIRE

Fernand était payé à la tache et devait pour faire vivre sa famille faire de nombreuses heures, Fernande élevait sa famille qui s’agrandit encore de 2 filles, la futur Lulu en 1930 ( Lucette ) et Pierrette en 1932.
Puis vint le deuil, Fernande s’éteignit en janvier 1938. Le pauvre Fernand se retrouva seul avec son garçon et ses 5 filles.
Chacun fit se qu’il put, Léone se maria et partit.
Suzanne se transforma en maman et éleva ses frères et sœurs.
Fernand fut décoré de la médaille militaire le 24 mars 1923 et Légion d’honneur le 15 octobre 1958.

CHRONIQUE 9 CHARLES TRAMAUX 1867 1946 Mon arrière grand père et l’arrivée sur Nangis

charles

CHARLES

Charles se fit embaucher dans un premier temps chez HURTU et le couple s’installa rue des Fontaines dans une petite maison briarde en pierre meulière et en calcaire, elle possédait une cave et un étage. On accédait au rez chaussée surélevé par un double escalier en pierre et l’on pénétrait dans une pièce éclairée par une grande fenêtre, les murs étaient peints en noir dans leur partie basse et la pièce chauffée par une petite cheminée. Charles et Léonie en firent leur chambre . A coté,une pièce aveugle, la cuisine avec un poêle à charbon, une table, quelques chaises et un bahut briard . On accédait à l’étage par un escalier en bois fermé et l’on pénétrait dans 2 pièces mansardées qui servaient de chambre.
L’électricité n’avait pas fait son apparition et l’on allait chercher l’eau dans un puits situé devant la maison.
Au pied de la maison coulait le ru des Tanneurs, les commodités étaient dans le jardin et le dit ru servait d’évacuation.
La sucrerie Lesafre Bonduelle était à 200 mètres. Entre la maison et l’usine se trouvait la mare dite aux tacots, car la voie de chemin fer passait à proximité avec la gare du même nom. La rue était animée, car le lavoir municipal se trouvait à coté de la mare et les ménagères se succédaient pour y faire leurs lessives.
Le couple eut bientôt un autre enfant qu’ils prénommèrent Rolande, Léonie accoucha chez elle assistée du docteur Gautry .
Charles alla déclarer sa fille à la mairie, il remonta à pieds la rue des Fontaines en compagnie de ses 2 témoins Ferier Henri, charron de 29 ans et Hurand Paul mouleur chez Hurtu, ils empruntèrent la place du commerce ,laissant l’ancien relais la Providence sur leur droite , passèrent devant les hall à bestiaux, traversèrent la place du marché, longèrent la rue commerçante de la poterie et se rendirent à la mairie. L’hôtel de ville se trouvait dans l’aile gauche de l’ancien château féodal de la Motte Nangis, il furent reçus par le maire Louis Victor Massé qui prit leur déclaration.
En sortant ils allèrent boire une chopine au café du Minage pour fêter la naissance, une chopine pouvant en cacher une autre, Charles revint un peu gai ce qui fit rire Fernand mais un peu moins sa mère.
Au mois de novembre Charles reçu un plis qu’il dut aller chercher à la poste rue Noas, elle lui apportait la confirmation qu’il passait dans la territoriale. Il serait maintenant tranquille, du moins le croyait-il.
Il ne resta pas longtemps chez Hurtu et reprit son travail à la tache dans les fermes des environs. Notamment  à la ferme de la grande Bertauche .

C’était les moissons de l’année 1902, il se fit aisément embaucher à la ferme du Haut Chaillot qui était exploitée par Arthur Clacy mais qui appartenait au comte Greffulhe. Ce comte était un financier ,qui possédait une immense fortune , le château de Bois Boudran vers Melun,le Haut Chaillot, les fermes du Pars, La Chaise et Maupas. Ce personnage né en 1848 a servi de modèle à Marcel Proust pour le personnage du duc de Guermantes. C’ était un tyran et ses fermiers le redoutaient.
Charles, pourvu qu’il ait de la paille à mettre en botte, se moquait des propriétaires, qu’il ne voyait jamais.
Le couple eut un quatrième et dernier enfant en 1906 et le nommèrent Robert.
A partir de 1906, Charles ne fit plus la route seul, son fils Fernand qui venait d’avoir son certificat d’étude avait selon son père assez été à l’école.
Fernand devint botteleur comme son père et grand père, ce n’est pas qu’il y tenait beaucoup, les journées étaient longues et harassantes et l’idée d’avoir son père dans les jambes à longueur de journée ne l’enchantait guère .
Lorsqu’il marchait pour rejoindre les fermes dans le froid et le noir, il pensait au père Kuhn l’instituteur alsacien au drôle d’accent et qui n’avait pu retourner dans sa province d’origine depuis 35 ans. Ce vieux fou d’alsaco leur en faisait baver, mais finalement ce n’était rien par rapport à une journée dans les champs.

CHRONIQUE 8 JEAN CHARLES 1836 -1911 LA MUTATION DE NOTRE NOM

coulommier rue de la gare (2)

JEAN CHARLES

Lorsque son père mourut Jean Charles avait 23 ans, il était jeune marié et sa femme Victorine TONDU attendait son premier enfant.
Il s’était marié à Mormant où Victorine était lingère . Jean Charles l’avait rencontrée lors d’une foire ou il amenait un cheval, elle portait son panier de linge et se dirigeait vers le lavoir. Les choses ne trainèrent pas et les amoureux se marièrent en 1858 en présence des parents TRAMEAU, de la mère de Victorine et, Ferdinand qui servit de témoin.
Ils s’installèrent à Guignes avec le reste de la famille et c’est dans cette localité que naquit le premier enfant du couple, ils le prénommèrent Charles Auguste. Ils ne restèrent guère sur Guignes et partirent s’installer dans la grande ville de Coulommiers avec Louis Prosper et sa famille.
La mécanisation commençait à faire son effet sur le monde paysan et les journaliers étaient remplacés progressivement par des machines mécaniques. Il faudra des décennies, pour que l’homme soit complètement remplacé, mais cet effet engendra une migration des paysans vers la ville ou les attiraient la promesse vaine d’emploi et une vie meilleure.
Les frères TRAMEAU entendirent parler par un marchand de bestiaux que l’on embauchait dans la région de Coulommiers, s’étant déplacés avec leurs parents toute leur jeunesse, ils n’étaient pas à un déménagement près. Ils s’installèrent tous au hameau de Mont Plaisir dans la ville de Coulommiers.

Nous étions en 1860 sous le règne de Napoléon le Petit qui commençait la période dite libérale de son gouvernement.
La ville à cette époque devenait prospère avec l’achèvement de la voie de chemin de fer et de la gare.
Jean Charles se fit embaucher à la ferme de l’hôpital qui était à cette époque l’une des plus grosses fermes de Coulommiers.
Louis quand à lui se fit embaucher dans une ferme du hameau de Vaux.

coulommiers ferme de l'hopital (2)

FERME DE L’HÔPITAL

Coulommiers

Le couple Jean et Victorine n’avait qu’un enfant en 1860, Prosper en avait déjà 7.
Le premier enfant à naitre au hameau de Mont Plaisir fut Émile fils de Jean et de Victorine, les témoins furent un ancien notaire, Mr Delanoue et un employé des droits réunis le sieur Chaudron.

coulommiers rue de melun (2)Rue du faubourg de Melun

La famille ne resta pas au hameau et s’installa au 5 faubourg de Melun ou Victorine accoucha d’un troisième fils, Victor. Les témoins furent 2 ouvriers typographes qui travaillaient dans la rue et que connaissait bien Jean.
L’appartement comprenant seulement 2 pièces fut rapidement trop petit et Victorine encore enceinte, attendait son quatrième enfant. Ils trouvèrent à se loger rue du Palais de justice où Raphaël, vint au monde.

coulommiers rue du palais de justice (2)

Rue du palais de justice

Poursuivant le rythme immuable d’une naissance tous les 2 ans Victorine mit au monde mon arrière grand père en 1867.
Ils le nommèrent Charles et lui donnèrent comme témoin François TESTARD manouvrier au hameau de Vaux et Florentin Maurice manouvrier demeurant à Marolles.
Jean devait travailler dur pour nourrir sa famille, des journées de 12 heures dans les champs, sans compter les déplacements pour se rendre sur les lieux du labeur.

Il partait de son logement lugubre vers 4 heures du matin avec pour seul repas dans le corps , une soupe réchauffée . Pas encore d’électricité, cette dernière à peine inventée, pas d’eau courante, simplement une pompe commune à plusieurs immeubles et pas de latrines dans le bâtiment mais une cabane sordide partagée par un grand nombre de familles au fond de la cour. Du Zola avant l’heure. Les conditions de vie des ouvriers n’étaient guère enviables sous le règne du deuxième Bonaparte qui avait pourtant écrit dans sa jeunesse un opuscule intitulé ‘ De l’extinction du paupérisme’. Les loisirs n’étaient pas à l’ordre du jour, Jean allait simplement avec d’autres ouvriers boire un verre de vin, voire plusieurs, mais Victorine veillait et envoyait son fils ainé Auguste tirer son père de quelques estaminets ou il avait été entrainé avant qu’il ne dépensa sa paye.
Malgré la promiscuité Jean remplissait ses devoirs conjugaux et Madame TRAMEAU mettait au monde en 1868 son sixième fils.
Lors de la déclaration de son deuxième enfant, l’officier d’état civil orthographia le nom de Jean d’une façon différente, et de l’orthographe Trameau le nom muta en TRAMAUX, ainsi 8 enfants du couple nés à Coulommiers, s’appelleront TRAMAUX et 2 nés en dehors de la localité conserveront l’orthographe originelle. Cette faute d’orthographe perdurera sur les 2 générations suivantes.
Mais Victorine garda le rythme et en pleine guerre accoucha de son septième garçon qu’ils nommèrent Joseph.

La tranquillité rurale de la ville de Coulommiers fut en effet troublée ainsi que l’ensemble du territoire national par la déclaration de guerre de la France à la Prusse. Le motif était que la couronne espagnole vacante soit  proposée à un cousin du roi de Prusse Guillaume, il était inconcevable que la France fusse cernée par 2 dynasties prussiennes.
Napoléon regimbât et le cousin prussien retira sa candidature. La France aurait pu en rester là mais l’empire cherchant un cassus belli en trouva un dans la dépêche trafiquée d’Ems. La guerre fut déclarée le 19 juillet 1870, Napoléon III n’était pas le petit caporal et l’armée prussienne n’était pas celle de Iéna. Le roi de Prusse qui dans sa jeunesse avait combattu le grand Bonaparte mit les troupes du neveu en déroute. Le 29 janvier 1871 la guerre était terminée. Napoléon avait perdu son trône et Guillaume gagnait celui d’empereur d’Allemagne. La France devint une république quelques années après, il y eut 140000 morts dans les rangs Français, les provinces d’Alsace et de Lorraine devinrent Allemande pendant 47 ans.
La commune de Coulommiers fut occupée pendant 8 mois et rançonnée par l’occupant, la vie y était encore plus dure que de coutume.
Mais Jean travaillait dans une ferme et il lui était moins difficile qu’à d’autres de nourrir sa famille.
Les allemands retournèrent chez eux, la vie reprit son cours et les TRAMEAU déménagèrent rue des Capucins .
En 1872 un drame survint dans la fratrie, le petit Gabriel fut atteint d’une maladie infantile et mourut au domicile de ses parents. C’était le premier enfant que le couple perdait, la mortalité infantile bien qu’en recul très net par rapport aux décennies précédentes n’avait pas, loin de là, disparue. L’année de la confirmation de la république en 1875, les TRAMEAU eurent leur première fille et la nommèrent Marie Victoire, ils avaient à cette date rejoint Louis et sa famille au hameau de Vaux. Victorine n’avait que 35 ans et les maternités ne s’arrêtèrent pas là, le couple eut 2 autres garçons, Abel et Daniel.

Autre habitude chez les TRAMEAU , le déménagement, qui cette fois eut lieu en 1881 dans le village voisin de Chailly en Brie.

chailly en brie (2)

CHAILLY EN BRIE

Jean Charles et sa famille à l’exception de son ainé Charles Auguste déjà marié sur Coulommiers s’installèrent dans le bourg de Chailly.
Jean se fit embaucher ainsi qu’Émile et Victor comme botteleur. Les autres enfants se retrouvèrent sur les bancs de la toute nouvelle école Républicaine de Jules Ferry.
L’ainé Charles Auguste avait dû bénéficier lui aussi d’un minimum d’instruction car il signa sur son acte de mariage ,ce qui fit de lui le premier à laisser une trace écrite dans la famille, ce qui n’était pas en 1880 une exception.
Ce métier de botteleur que nous retrouverons dans la famille sur 3 autres générations consistait à faire des bottes de foin après la fenaison, l’emploi était donc saisonnier et les TRAMEAU bien que spécialisés, effectuaient d’autres tâches agricoles.
Bercées par les saisons ,les années s’enchainèrent, Victor et Émile se marièrent en 1888 et1889 avec les sœurs MACÉ du village de Beautheil.

CHRONIQUE 7 JEAN LOUIS TRAMEAU 1802 – 1859 L’ÉTERNEL ERRANCE

verneuil

EGLISE DE VERNEUIL L’ÉTANG

JEAN LOUIS

Débarrassé de la tutelle de son père Jean Louis profita rapidement de sa liberté, il fit la rencontre d’une jeune fille de Verneuil l’Etang un village à 18  kilomètres de Montereau. Jean louis avait la bougeotte et ne se contentait plus du salaire qu’on lui versait à Courceaux. La main d’œuvre se spécialisait et les moissons se faisaient enfin à la faux il fallait des hommes robustes et c’était une qualité de Jean louis.
Notre homme était déterminé, mon arrière arrière grand mère ne résista guère. La belle Agathe 20 ans, fille de Romain François se retrouva grosse des œuvres du beau Morvandiaux.

Le père de la jeune fille légère, un solide manœuvrier de 53 ans cria et menaça de faire un tort au jeune homme empressé.
Le père François ne savait ou demander réparation car Jean Louis n’avait plus de famille, c’est donc vers l’embaucheur que la famille humiliée se tourna.
Notre Jean Louis âgé de 18 ans fut obligé de réparer même si comme on s’en doute il aurait préféré suivre un autre chemin.
Les noces furent prévues au printemps.
La mariée ne pouvait en ce mardi 27 mars 1821 cacher sa grossesse lorsqu ‘elle pénétra dans l’église notre dame de l’Assomption, le village était évidement au courant, mais on évitait d’en parler devant la tribu des François. Le curé avait grimacé un peu mais il fallait que la morale religieuse sorte vainqueur et les mariages sous la restauration se faisaient encore tous à l’église.
Les 2 tourtereaux furent mariés par Monsieur CLEMENT en présence de la famille d’Agathe.
Jean Louis n’avait que sa sœur Marie, cette dernière avait fait le déplacement en compagnie du père BLE. Les témoins furent pour le marié, Quiriace Théodore Rousseau, 51 ans charcutier à Guignes et François DORLANT, 42 ans tisserand en toile de Verneuil.
Les témoins de la mariée furent Dominique Monel, 63 ans cordonnier propriétaire à Verneuil et Pierre Blondel,tisserand en toile 57 ans également de Verneuil.

Les témoins étaient tous des connaissances de beau papa.
Le vin aidant la noce se fit joyeuse, Agathe ne put guère danser vu son état et la nuit de noce ne se fit donc pas selon les traditions immémoriales.
Mais nous étions à la campagne ou les mœurs sans être relâchées étaient malgré tout assez libres, l’essentiel fut que l’enfant à venir ait un père et il en eut un.
La naissance eut lieu d’ailleurs très rapidement au domicile des parents d’Agathe car trois jours après les noces naissait Honorine Victorine, la petite vint au monde un vendredi à 2 heures de l’après midi et fut déclarée le lendemain à la mairie.
L’accouchement se passa sans médecin, Agathe fut assistée de la sage femme du village et de sa mère, cela se passa très mal et dura très longtemps. Le bébé n’était guère vigoureux il fallait le faire baptiser d’urgence.
Le nouveau papa alla  à la mairie dès le lendemain en compagnie de l’oncle de sa femme Mathieu François tisserand en toile à Verneuil et du vieux Monel déjà témoin au mariage. Le maire CLEMENT prit la déclaration et tous les témoins signèrent, excepté Jean louis qui était analphabète.
Le curé fit beaucoup de manière pour que la petite soit baptisée le dimanche pendant la messe. Jean Louis dut avec l’aide de ses beaux parents donner une obole plus importante que de coutume.
Nombreuses étaient les femmes du village de Verneuil à penser que le fruit d’un amour conçu en dehors du mariage ne pouvait donner une bonne graine et la sage femme refusa même de veiller Agathe pendant les 24 heures qui suivirent l’accouchement . La petite fut donc baptisée juste après la messe et le curé fit un beau sermon moralisateur sur la copulation hors mariage.
Heureusement Agathe encore alitée ne peut entendre les fumigations du prêtre, Jean Louis sans tout comprendre, car le curé ne parlait pas le Morvandiaux en saisit quand même l’essentiel et pensa en lui même qu’on ne le verrait pas de sitôt dans une église.
La famille François honteuse, était quand même heureuse que le baptême ait eu lieu car quelle histoire si Victorine était morte sans être entrer dans le monde des chrétiens avec sa petite âme qui aurait erré dans les limbes pour l’éternité. Jean Louis ne croyait guère à ces sornettes mais le poids des traditions était encore très fort.

Bien en prit à tout le monde car la petite mourut dès le retour de l’église.
Les parents ne dépensèrent que peu d’argent pour les obsèques, Jean louis l’enterra lui même dans le carré réservé aux enfants dans le cimetière de la commune.
Le couple ne traina pas sur cette commune, ils retournèrent sur Montereau, Jean Louis repris son travail au même endroit et Agathe s’y fit également embaucher comme manouvrière.
La vie reprit son cours normal, rythmée par les travaux agricoles, les fêtes religieuses qui malgré le passage de la révolution ponctuaient la vie villageoise.
A la fin de l’année 1821, Agathe se retrouva de nouveau grosse, voulue ou pas, la vie d’une femme à la campagne n’était qu’une longue série de maternités alternée de périodes d’allaitement .
Quoi qu’il en soit le travail devait se poursuivre, et les femmes de cette époque ne s’arrêtaient que le temps de mettre leurs enfants au monde et il n’était pas rare que des femmes accouchent au champs.
Honorine TRAMEAU est née le quatre aout mille huit cent vingt deux à vingt et une heures au domicile du couple.
Cette fois l’accouchement se passa normalement et la parturiente heureuse était en pleine forme.
Jean Louis alla déclarer à la mairie dès le lendemain comme l’y obligeait la loi, sa fille Honorine.
Accompagné de ses témoins il se présenta devant Monsieur GARNOT.
Louis FAUCHERON cultivateur de 36 ans signa l’acte.
On se contenta de la déclaration du deuxième témoin Augustin MASSONNET, manouvrier car ce dernier ne savait ni lire ni écrire.
On le voit, la différence était grande entre les journaliers et leurs employeurs, aucune trace d’instruction même primaire pour cette classe de paysans.

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ÉGLISE DE RÉAU

Les naissance se succèdent chez les TRAMEAU, le couple et leur bébé habitaient au hameau de Villaroche sur la commune de Reau, quand Agathe mit au monde son premier garçon.
Ils le nommèrent Jean louis,comme leur père et son arrière grand père et quelques oncles restés dans la Nièvre.
Le garçon naquit donc le 23 juillet 1824 à 10 heures du matin, son père le déclara le lendemain en compagnie du père Robin Jean, garde champêtre de la commune et d’Augustin SANCIANT tailleur d’habits.

Au niveau politique le roi Louis XVIII s’était éteint le 16 septembre de cette même année et était parti rejoindre ses ancêtres à Saint Denis.
Un roi pas si mauvais, qui à l’aide de bons ministres avait su remettre un peu d’ordre dans les finances et dans les esprits. Il avait aussi contenu l’ambition des ultras et tempéré son frère Charles.
A son passif il n’avait pu juguler la terreur blanche et empêcher les étrangers de rester jusqu’en 1819 et n’avait pas voulu pardonner aux bonapartistes les plus compromis.
Au niveau du monde paysan, il avait rassuré les acheteurs de biens nationaux et en 1819 avait créé l’échelle mobile qui interdisait l’achat de blés étrangers quand la récolte était bonne en France.
La gestion du baron Louis avait stabilisé les finances françaises et ce malgré les ponctions des armées étrangères, le monde paysan s’en trouva stabilisé et commença son essor.

C’est donc sous un nouveau roi que naquit un nouvel enfant au couple, ils l’appelèrent Louis et ce dernier vint au monde le 21 décembre 1825 à 7 heures du soir.
La famille avait de nouveau changé de localité avec un retour sur la commune de Verneuil.
L’adjoint au maire enregistra la naissance en se trompant d’orthographe, Jean Louis ne put guère s’en apercevoir et ses témoins François VACHERON manouvrier de 36 ans et Antoine François Monet cordonnier de 33 ans qui ne connaissaient pas l’orthographe d’origine non plus.
2 garçons et 2 filles en 5 ans, le rythme des naissances était élevé.

La famille se stabilisa un peu et resta sur Verneuil L’étang, le couple avait été embauché à la ferme de l’étang et ils avaient trouvé une maison à louer à proximité de la demeure des beaux parents FRANCOIS.
Sans être extraordinaire la situation des paysans s’améliorait, ils mangeaient maintenant à leur faim.
En ce début du mois de mars 1827 Agathe se retrouva enceinte et accoucha le lendemain de la Toussaint le 2 novembre 1827 , un garçon (encore un bouche à nourrir ) qui sera nommé Henry.
Le rythme des saisons se succède, Agathe est encore enceinte, c’est la 6 ème fois, le contrôle des naissances n’existe pas dans le monde paysan.
Ils ne connaissent guère que le coït interruptus et ce n’était pas très fiable.
La mortalité infantile commençait à reculer et la grandeur des familles n’était plus régulée  par le décès des enfants en bas âge.
guignes (2)

GUIGNES

La famille avait encore une fois déménagée pour s’installer à Guignes, ce n’était qu’a 3 kilomètres de Verneuil.
L’enfant se nomma Fernand il vint au monde le 9 février 1830.
Un an et demi plus tard le cycle était immuable Agathe accoucha de son 7 ème, une fille qu’ils prénommeront Virginie. Les témoins furent Edmé Antoine MERLE propriétaire de la ferme ou travaillait Jean Louis et Thomas Victor JOLLOT , aubergiste.
Malheureusement 26 jours après, le ménage était frappé par le décès du petit Henri, 4 ans et demi, il décéda de la grippe qui mortel fléau frappait la France depuis 1830. Les témoins amis de la famille furent les mêmes que pour la naissance de Virginie.
Il restait à ce couple de 30 ans, 5 magnifiques enfants qui eurent un nouveau frère le 9 février 1834.
Le maire orthographia bizarrement le nom patronymique, TRAMOS, ce n’était pas banal et cela sera la seule fois que cette orthographe apparaitra.
Accompagnés des 6 enfants, Jean Louis et Agathe changèrent encore une fois de lieu de vie et optèrent pour Andrezel.

andrezel (2)

FERME MAINPINCIEN

ANDREZEL

Le village comptait 212 habitants, une magnifique ferme nommée la Borne Cornillon , la ferme du Couvent, la ferme de Haures loges et la ferme de Mainpincien.
Ils trouvèrent une maison au hameau de Truizy.
Jean Louis qui connaissait les lieux se fit embaucher à la ferme de Mainpincien.
Ce lieu était chargé d’histoire, la ferme était une ancienne ferme fortifiée avec un vestige de pont levis et la trace des anciennes douves. Les traces de ce logis remontent à fort loin car cette terre appartenait à Simon de Brie ministre de Saint Louis qui fut nommé cardinal en 1263 et devint pape sous le nom de Martin IV.
Mais pour l’heure la ferme appartenait à Monsieur REMOND Raphaël
La famille resta sur Andrezel jusqu’en 1842 ou Agathe très féconde accoucha de 3 enfants.

La plus grande partie des habitants de Truizy travaillait à cette ferme , qui n’était guère éloignée.
Le charretier IDOINE  et sa femme Marie étaient les voisins les plus proches de la famille et leurs 3 enfants jouaient avec ceux de Jean Louis et d’Agathe. Le père IDOINE était charretier de labour et possédait quelques arpents qu’il exploitait avec sa femme.
La famille MERGER, Dominique et Louise avec leurs 2 petits travaillaient, à la ferme comme journaliers et embauchaient tous les matin à l’aube en compagnie de Jean Louis. La mère de Dominique la vieille Marie Madeleine, 70 ans, habitait en leur compagnie.
Les enfants  n’étaient pas toujours tendres avec elle et la chahutaient volontiers, malgré les taloches des parents .
En face la petite maison de Mr GUILLEMAIN, propriétaire de 78 ans vivait avec une veuve de 14 ans de moins que lui, ce qui lui avait valut de nombreux quolibets.
Les TRAMEAU n’étaient à vrai dire amis qu’avec la famille GORET. Ce charretier de 47 ans avait autrefois travaillé avec le père François et sa femme Suzanne n’effectuait aucun lavage au lavoir sans Agathe.
Leur ainé tournait d’ailleurs autour d’Honorine ce qui lui avait occasionné quelques déboires avec Jean Louis qui ne rigolait pas avec la vertu de sa première .
Le fils du père GUILLEMAIN habitait avec sa famille également au hameau et était jardinier au château.
2 couples de journaliers complétaient la population de Truizy qui comptait 39 habitants.

Le village était peuplé de 219 membres, tout ce petit monde vivait en autarcie et était tourné vers la terre.
14 hommes étaient charretiers, le village comportait 1berger, 4 maçons, 32 journaliers, où journalières, 7 domestiques, une fille de basse cour, 5 cultivateurs et 3 propriétaires.
Bien entendu le petit bourg avait ses spécialistes, 1 maréchal ferrant, 1 bourrelier, 2 cordonniers, 1 jardinier,1 garde champêtre et 1 couturière.
On pouvait rajouter à cela 1 cocher et 1 cuisinière qui travaillaient au château.
Les personnalités marquantes du village étaient sans conteste les propriétaires du château de Truizy, un officier de cavalerie et sa femme, nommé NOUETTE d’Andrezel et possédant cette terre depuis 1773. Ils avaient 2 enfants.

Jean Louis soulevait son chapeau quand il croisait ces notables, par contre il s’accrochait volontiers à leur cocher quand celui ci s ‘amusait à raser les paysans avec son attelage. Le garde champêtre avait dû les séparer et le maire Mr REMOND avait servi de médiateur entre Mr NOUETTE qui défendait son cocher et Jean Louis journalier dans sa ferme.
L’affaire s’était terminée par un canon entre les 2 antagonistes à l’auberge du coin.
Ils eurent 3 enfants à Andrezel, Jean Louis , un petit mort né et Germain.
Pierre GUILLEMAIN 78 ans voisin du couple et Jean louis Goret charretier furent les témoins de la naissance de Jean Charles.
La déclaration de naissance et le décès du petit garçon mort né, fut effectués par son père et par la sage femme Madame Chaise.
Monsieur GORET servit encore de témoin pour la naissance de Germain en compagnie du garde champêtre Étienne DUPLET.
Quand ils partirent d’Andrezel Jean louis et Agathe étaient accompagnés de 7 enfants.
Ils n’allèrent pas très loin, le village de Champeaux les accueillis, ce village comptait en 1842 environ 433 habitants. Ce n était évidement pas pour faire du tourisme que la grande famille déménageait de nouveau mais pour trouver du travail. Le père et les 2 fils ainés se firent embaucher à la ferme d’Aunoy.
Agathe en 1843 était encore enceinte , c’était sa douzième maternité. Seulement cette fois elle n’était plus seule dans la maison à être dans cet état.
Honorine avait profité de l’abattement qui avait suivi l’annonce de la maternité de sa mère pour révéler la sienne.
Le père Jean louis faillit avaler sa soupe de travers et Jean louis le fils avec son frère Prosper se dirigèrent immédiatement  à l’auberge pour faire un sort à celui qui avait fait perdre l’honneur à la famille. Le Louis Désiré ROCHE était justement à tablé en train de boire un canon quand il vit les frères d’Honorine fondrent sur lui en vociférant. Il ne mit pas longtemps à comprendre et avec forces horions ,fut conduit chez les TRAMEAU.
Le drôle n’était pas mauvais et il promit de reconnaître l’enfant. La mère et la fille accouchèrent avec 2 mois d’écart, Honorine en septembre et Agathe en novembre, se furent des filles, Honorine et Almèdorine. Il y avait beaucoup de monde à la maison. Honorine se mit en ménage avec Louis ce qui allégea un peu les charges du ménage. Mais il était dit que les déménagements ne s’arrêteraient pas et l’ensemble de la fratrie se déplaça de nouveau sur le village de Guignes ou elle trouva travail et logement au hameau de Vitry .

Les années s’écoulèrent sous le rythme des saisons et en 1846 Agathe annonça à son mari qu’il allait être père pour la treizième fois, cela commençait à faire beaucoup pour une femme de 46 ans.
La naissance se passa toutefois convenablement et Félicité allait être le dernier enfant de notre Morvandiau déménageur.

En 1848 survint le premier mariage, Prosper rencontra la fille d’un scieur de long du hameau de Vitry et convola en juste noces sous les yeux de ses parents et de la famille réunie. Ils furent suivis de très près par Jean louis qui se maria avec Rachel, elle aussi du hameau. Les enfants commencèrent à partir et à former de nouvelles entités.
Les vies d’Agathe et de Jean Louis seraient désormais rythmées par les mariages des enfants et la naissance des petits enfants. Les grand parents n’attachaient d’ailleurs guère d’importance à toutes ces lignées, trimant encore et encore pour élever les derniers enfants, Almédorine et Félicité. En 1850, elles avaient 4 et 7 ans, Germain en avait 11, Jean Charles 14  et Augustes 16. Virginie venait de rencontrer à la fête du village son futur mari, elle ne le savait pas encore mais les quelques caresses aventureuses du bel Alexis lui firent de l’effet.
Ferdinand avait 20 ans, c’était un ouvrier solide et consciencieux, il surveillait avec bonhomie sa sœur Virginie et avec rudesse son emporté de frère cadet.
A la maison le père régnait en maitre, il commençait à vieillir, ses cheveux devenaient blancs, et son corps évoquait de plus en plus les vieux ceps de la vigne d’à coté, ses mains étaient rugueuses et dures, il parlait peu, son accent bourguignon s’était estompé avec le temps mais quand il devenait volubile après quelques verres de piquette, des bribes du parlé de sa jeunesse revenaient dans la conversation .Il éleva sa tribu avec vigueur mais sans dureté, il était respectueux et respectable.
A table quand l’un de ses fils parlait de politique il s’emportait, Louis Napoléon le neveu était devenu le premier président de la république, il s’en réjouissait, les garçons eux voyaient d’un mauvais œil l’arrivée d’un Bonaparte et aurait préféré un républicain de type socialiste .Les conversations tournaient au vinaigre à chaque fois et Auguste, un peu jeune narguait son père en lui disant que si Bonaparte voulait l’empire il irait à Paris élever des barricades. Le vieux alors fulminait et Agathe devait calmer la troupe avec l’aide des petites que toutes ces algarades faisaient rigoler.
Agathe avait 50 ans, elle aussi était usée, les cheveux n’avaient pas pris la teinte automnale, mais ses 13 maternités et les travaux des champs avaient affaibli son corps. Elle se voutait un peu, des rides creusaient son visage, ses seins forts tombaient et sa silhouette s’affaissait. Elle ne pouvait enfin plus avoir d’enfants et les assauts encore régulier de Jean louis n’étaient plus une angoisse permanente.

En 1854, Bonaparte n’était plus Président mais Empereur.
Il dirigeait d’une main de fer la France et ambitionnait de jouer un rôle sur la scène Européenne.

Un heureux événement et un malheureux vinrent ponctuer la vie à Guignes.
Virginie eut le bonheur de se marier avec son Alexis.
Mais le malheur échu à Auguste, qui tira au sort un mauvais numéro.
A cette époque régit par la loi JOURDAN, la conscription se faisait par tirage au sort à la mairie, un mauvais numéro et c’était le départ pour 7 ans. Auguste le malchanceux sans exemption ni argent pour racheter sa place fut obligé de partir.
Cela aurait pu être qu’une longue période dans une sombre garnison mais, Napoléon III déclara la guerre à la Russie, et notre malheureux Briard incorporé au 98 ème régiment d’infanterie se retrouva en Crimée.
Les combats du siège n’eurent pas raison de lui mais il s’éteignit à l’hôpital ambulance de Sébastopol le 27 février 1856, probablement du choléra.
Pendant la guerre de Crimée, les soldats furent plus victimes des maladies que des combats.
La nouvelle affligea la famille mais la vie suivit son cours.

argentières

ÉGLISE ARGENTIERES

Il y eu un ultime déménagement pour le patriarche, un petit village proche de Guignes nommé Argentière.
Jean louis assista encore au mariage de son fils Jean Charles qui se maria à Mormant en octobre 1858.
En mars 1859 alors qu’il conduisait des bœufs au labour il eut une première attaque, on le ramena chez lui et on fit venir un médecin de Mormant. Ce dernier ne fut pas très optimiste et il avait raison ,car une deuxième attaque emporta le père le 17 avril 1859. Agathe envoya Germain prévenir ses frères à Guignes et un ami à Sancy les Provins pour prévenir Ferdinand. Honorine qui était partie avec le beau Louis ne put être prévenue car personne n’avait la moindre idée de son adresse, Virginie prévenue ne put se déplacer et se fut encadré de Jean louis, Louis Prosper , Jean Charles, Germain et des 2 adolescentes Almodorine et Félicité que notre Bourguignon voyageur fut conduit en terre.

CHRONIQUE 6 – François et la migration Seine et Marnaise

PARVIS DUN

PARVIS SAINTE AMELIE
DUN LES PLACES

DUN LES PLACES

François fit une dernière fois le tour de sa chaumière,il avait le cœur gros de la quitter.
La demeure familiale faisait partie du hameau du Parc sur la route de Montsauche, le plus reculé de la paroisse de Dun les Places, cinq bâtisses assez semblables se nichaient frileusement dans le pli d’un terrain.
Les demeures Morvandiote étaient construites en granite, de rares ouvertures à travers des mur épais assuraient une lumière pâlotte.
Les toits étaient faits de chaume, François avait refait le sien avec l’aide de quelques paysans de son hameau.
La maison d’une seule pièce comportait peu de meuble, le lit des parents, celui des enfants, une table avec un banc et un coffre où tenait l’ensemble des biens de la famille.
Dans l’âtre un fourneau, dans la bassie une écuelle en bois.
Nul confort, la terre battue au sol laissait passer l’humidité, la présence constante des animaux dans la pièce n’assurait pas une hygiène irréprochable. Les poules, les chèvres et les moutons circulaient sans gène dans la pièce.
Accolé à la maison un appentis où s’entassaient les cochons et les volailles. Devant la porte un tas de fumier se transformait en mare dès les premières pluies et s’écoulait souvent à l’intérieur de la maison.
François Trameau était manouvrier ou journalier, il louait ses bras pour les travaux agricoles, il possédait en propre sa maison, quelques ares de terrain, un potager, cinq cochons, deux chèvres et des volailles.
La petitesse de son terroir ne lui permettait pas de faire vivre sa famille.
Malheureusement ,l’augmentation de la population et la pauvreté du sol faisaient que le travail manquait en Bourgogne, et une grande partie de la population masculine devait migrer vers des contrées plus fertiles.
L’heure de départ approchait, notre homme rassemblait ses hardes nouées sur un bâton.
Quelques provisions étaient rassemblées, du cochon salé, des oignons, et du pain noir. Les repas seraient frugaux, mais François ancien soldat de l’an deux savait ce qu’étaient les marches forcées le ventre vide.
Un œuf prélevé dans le poulailler et qu’il goberait tout à l’heure après quelques heures de marche, serait son seul luxe.
Mais il fallait partir les hommes du hameau se regroupaient, François attrapa sa fille Marie la souleva et l’embrassa sur le front, la petite avait neuf ans et ressemblait à sa mère, des larmes coulèrent sur ses joues, elle n’aimait pas voir partir au loin son père et pressentait chaque fois quelques malheurs.
Dans un coin de l’âtre, l’unique fils survivant du couple regardait avec colère son père, il avait douze ans, il voulait partir avec les hommes, trop jeune décréta son père, il restera avec sa mère et sa sœur.
Jean Louis était la fierté de son père? il était vigoureux, intelligent et très travailleur, le laisser avec sa mère pour travailler les quelques terres de la famille le rassurait un peu.
François en bon époux s’inquiétait pour sa femme, âgée de quarante cinq ans, elle commençait à vieillir.
Françoise Loriot solide paysanne aux cheveux autrefois d’un noir de jais avait maintenant sa belle crinière constellée d’argent, son visage s’était creusé de sillons et son corps se tassait.
Les rudes travaux, les grossesses difficiles, la mort de 6 de ses enfants l’avait vieillie prématurément.
Cette hiver elle avait été malade, une toux rauque dont elle n’était pas remise la tenaillait en permanence.
François l’embrassa dans le cou, il passa sa main rugueuse dans la tignasse blonde de son fils et il s’éloigna.
Le regroupement des hommes du canton se faisait au pied de l’église Saint Marc de Dun les Places
C’est dans cet édifice qu’il avait été baptisé il y quarante cinq ans de cela, ses parents étaient morts depuis longtemps et les trois laissés en haut hormis un vieille oncle étaient sa seule famille .
Depuis des temps reculés les Trameau avaient pris l’habitude de se louer dans la Brie ,cette province à la terre grasse offrait à la belle saison du travail à nos Morvandiaux.
Depuis 1789, la Brie se trouvait être le département de la Seine et Marne, nos anciennes Provinces ayant été découpées en quatre vingt trois départements par décision de l ‘assemblée constituante.
Dun se trouvait ainsi dans le département nouvellement créé de la Nièvre
Mais nos paysans étaient des Bourguignons cherchant du travail dans la Brie et peu leur importait ce nouveau découpage.
François avait deux cent trente kilomètres à parcourir pour arriver dans le petit village de Montereau sur Jard à proximité de Melun siège de préfecture de Seine et Marne.
Six jours de marche par des chemins défoncés, six nuits à la belle étoile en espérant la clémence des cieux. Voyager par ces temps là n’était pas une sinécure
La situation politique était trouble en cette année 1814, un roi de la famille des Bourbon s’était assis sur le trône de France, beaucoup ne savaient d’où il venait tant le souvenir des derniers Bourbons s’était envolé.
Le roi podagre arrivé en même temps que les troupes Autrichiennes, Russes et Prussienne se nommait Louis le dix huitième, frère du gros Capet raccourci par les maîtres de la France en 1793.
Entre les 2 il y avait eu divers gouvernements, la Convention Nationale et ses comités, le Directoire et ses 5 presque rois et puis l’empire avec l’ogre corse.
Bien sur, la nouvelle royauté n’était plus absolue et le pouvoir royal était tempéré par 2 chambres de députés, mais les paysans étaient inquiets pour les quelques miettes de terre qu’ils avaient achetées lors de la vente des biens du clergé.
Les soldats de la grande Armée mis en demi solde propageaient les germes du mécontentement et la peur d’une radicalisation des ultras qui préconisaient un retour à l’ordre ancien, renforçait encore l’inquiétude.
Les routes n’étaient donc pas très sures, nos paysans n’avaient que leurs bâtons pour se défendre contre les bandes de soldats licenciés qui maraudaient pour se nourrir , contre les troupes étrangères qui envahissaient le pays et les Royalistes qui pourchassaient les Bonapartistes.
François n’était ni royaliste ni bonapartiste et encore moins républicain.
Les régimes successifs n’avaient apporté à son niveau de vie aucun changement. Tous les ans il était obligé de quitter sa terre et sa famille et ça aucun gouvernement ni avait apporté changement. Alors peu lui apportait, Bourbon, Bonaparte, Orléans ou Robespierre il marchait, la faim au ventre ( et qu’ils se débrouillassent entre eux.)

MONTEREAU SUR LE JARD.

La route s’était très bien passée, aucune mauvaise rencontre et le temps avait été clément, arrivé à Montereau il se dirigea à la ferme du père Blé  au hameau de Courceau.

C’était une belle ferme, avec une maison de maitre encadrée par des communs, la cour pavée était fermée par l’ensemble des bâtiments.
L’aspect compact faisait penser à un château fort.
Marie Blé fils du maitre des lieux se trouvait sur le perron de la demeure, il vit le groupe de Morvandiaux et reconnu François.
Il ne connaissait pas les journaliers qui accompagnaient le père Trameau mais sa présence était un gage de sérieux et il embaucha le groupe
Nos travailleur n’auraient pas à se vendre à la foire comme beaucoup étaient obligés de la faire.
Le père Blé n’était pas là, mais son fils fit servir au groupe une assiette de soupe et un canon de vin.
Il y aurait du travail pour tous, la récolte serait bonne.
Rien que pour l’exploitation de la famille Blé, ils étaient une dizaine de migrants saisonniers, outre les 3  Morvandiaux, 7 travailleurs du département de l’Yonne avaient réussi à se faire embaucher.
Comme la plupart des paysans, François employait la faucille, 20 ares à la journée était le rendement moyen.
La faux était déjà connue depuis longtemps, mais la multitude de bras et la faiblesse des salaires n’encourageaient pas son emploi.
Sous l’ancien régime l’emploi de cette dernière était même interdit, cette disposition ayant été abolie en 1791.
Bien sur les rendement étaient supérieurs avec la faux, 50 ares à la journée mais les bleds étaient coupés plus court et les pauvres ne pouvaient utiliser la chaume.
La faucille avait aussi comme avantage de ne pas demander une force considérable, les femmes et les enfants pouvaient aussi être employés, diminuant ainsi les coûts de la main-d’œuvre.
Le fils du maitre était partisan de l’emploi de la faux et François savait que quand il prendrait la succession, les moissonneurs devraient se louer ailleurs.
Quelques heures après, l’embauche était confirmée par une poignée de mains entre les contractants, rien d’écrit ni de signé.
François ne savait d’ailleurs ni lire ni écrire.
Les blés étaient murs, le travail commença le lendemain.
Il faisait une chaleur torride, le travail était très dur et François peinait à se relever, ses 45 ans lui pesaient ,il était déjà un ancien et il savait qu’on le prenait parce qu’il était un habitué et qu’il ne rechignait à aucun labeur.
Les moissons se terminèrent, muni de son maigre pécule, François reparti en Bourgogne, il prit le même itinéraire, Melun, Montereau, Saint aubin sur Yonne, Migenne, Auxerre, Avallon , puis sa maison.
Avant d’arriver il fut assailli par un mauvais pressentiment , rapidement confirmé, car en chemin il croisa le curé de la paroisse qui revenait de chez lui.
Il l’avisa que la Françoise était couchée depuis dix jours et que ses prières ne la remettaient pas sur pieds.
François en agnostique qu’il était , se doutait bien que les incantations de son curé ne guériraient pas une femme usée par une vie de labeur.
François courut au chevet de sa femme, ce qu’il vit le consterna, Françoise avait maigri de façon spectaculaire, ses cheveux étaient tous blancs et une toux persistante secouait son pauvre corps décharné.
A coté d’elle un mouchoir teinté de sang ne pouvait que faire craindre une issue défavorable.
Elle était seule, la petite était partie faire paître les bêtes et Jean Louis aidé des hommes du hameau faisait ce qu’il pouvait pour travailler la terre familiale.
François prit la main de sa femme et resta un long moment avec elle.
Ils avaient compris tous deux que la mort était dans la maison, pas besoin de paroles superflues , François et Françoise étaient des taiseux.
Il restait environ 15  jours de vie à Françoise, son homme ne les passa pas à son chevet, les travaux de la terre n’attendaient pas. Il l’ a retrouva morte un soir du mercredi 21 décembre 1814.
Il envoya son fils faire prévenir le maire et le curé et la petite Marie fut chargée d’aller quérir 2 voisines pour la toilette des morts.
L’enterrement se fit le lendemain, une messe et Françoise fut déposée au petit cimetière jouxtant l’église Saint Marc. François offrit un repas aux quelques membres de la famille et aux paysans qui avaient aidé et  veillé avec lui. Il dût également donner quelques pièces pour le curé et pour le fossoyeur.
François se retrouva donc seul avec 2 enfants.
Les mois passèrent, François ne savait que faire il ne pouvait laisser ses 2 enfants pendant qu’il partirait moissonner en Seine et Marne.
La plus simple résolution était d’immigrer dans la Brie. Ses enfants trouveraient plus facilement du travail, la petite se ferait placer comme domestique et Jean Marie se ferait embaucher comme garçon de ferme.
Sa décision était prise, il vendit les quelques biens qu’il possédait , fit ses adieux à Dun, en sachant qu’il n’y reviendrait jamais, les préoccupations qui l’assaillaient , l’empêchaient de penser aux bons moments qu’il avait passé avec sa femme. Ils se mirent en route en juin 1815 à destination de Montereau sur le Jard seul endroit en dehors de Dun qu’il connaissait réellement. François avait entreposé l’ensemble de ses biens sur une carriole trainée par un bœuf. Au rythme de l’animal, le voyage fut long.
Avec l’aide des fermiers de Courceaux la famille s’installa, une petite maison d’une seule pièce, avec un petite dépendance pour le bœuf et la voiture. François travailla aussitôt chez les Le Blé où Jean Louis se fit rapidement apprécié comme garçon de cour. Marie souvent seule tenait le ménage de la petite maison et gagnait quelques pièces en aidant par ici ou par là.

La politique de la France avait été un tantinet agitée en cette année de 1815, Bony s’était échappé de son île et avait mis le désordre dans cette France qui commençait à peine à se remettre des années agitées de la révolution de l’empire. Notre gros roi s’était enfui en abandonnant ses tabatières et avait pris le chemin de Gand, ce qui le ferait appeler plus tard par les libellistes notre père de Gand. Mais nos amis les monarques européens avaient remis de l’ordre chez ces incorrigibles français en battant notre cher Empereur. Ce dernier signa tout ce que l’on voulut, fut envoyé dans une ile lointaine et le dix-huitième revint à Paris. Seulement les choses ne se passèrent pas comme à la première restauration.

En 1814 les étrangers libérateurs s’étaient faits acclamer par les populations et étaient repartis chez eux.
En 1815 ils se firent beaucoup moins applaudir et restèrent jusqu’en 1819.
C ‘est pour cela que des Autrichiens étaient cantonnés à Montereau.
François qui autrefois s’était battu contre les culs blancs en Italie avec le succès que l’on connait sous le commandement de l’enfant chéri de la victoire le Niçois MASSENA , passait au large de l’occupant exécré.

Les années passèrent et la santé de François commençait à décliner, son fils travaillait avec lui, c’était un solide gaillard, dur au travail et dur à la bagarre. Marie était maintenant domestique dans la ferme ou travaillait son père.
François s’éteignit le 19 juillet 1820, Marie Germain Blé cultivateur et François Lelievre charron déclarèrent le décès à la mairie devant le maire Monsieur Garnot. L’enterrement eut lieu le lendemain.

CHRONIQUE 5 Jean louis TRÉMEAU 1745 -1803 et TRAMEAU François 1769 -1820

TREMEAU Jean Louis

1745 -1803

Né en 1745 Jean Louis n’avait que onze ans quand sa mère décéda, il en fut très affecté car malgré sa rudesse paysanne Marie choyait son petit dernier.

Il suivit bien entendu son père qui changea de vallée. Bien qu’il regretta son village natal ou vivait sa nombreuse parentelle il se fit à son nouvel environnement très rapidement.

Il assista au remariage de son père en compagnie de ses futurs demi6 frères et sœurs. Il rouspéta un peu quand il dut partager sa couche avec François LAZARDEUX le deuxième fils de sa belle mère. Il grandit comme tous les enfants de son âge, aidant aux tâches agricoles et fréquentant un peu la petite école du village .
Il préférait d’ailleurs garder les bêtes et rêvasser en plein air que de s’enfermer pour apprendre les rudiments du calcul et de l’écriture.
Les années passèrent et Jean Louis était maintenant un homme, il fallait penser à fonder une famille.
François fin connaisseur en la matière, lui trouva une veuve.
Elle avait 32 ans, Jean Louis presque 10 ans de moins, il n’était guère enchanté par l’arrangement mais son père ne lui demanda pas son avis.
La belle aurait pu être attirante mais 6 maternités en 10 ans avaient alourdi son corps. Le père François balaya la répugnance de son fils en lui expliquant que sa bourse était aussi opulente que ses seins et grivois lui dit qu’il aurait bonheur à s’y enfouir.

Jean Louis n’était guère convaincu, Jeanne était veuve depuis à peine un an et sa dernière, née orpheline de père n’avait que six mois. La Dupart comme on la nommait était donc à la tête d’une fratrie de 5 enfants.
Issue d’une famille de laboureurs du hameau Du Parc, elle s’était mariée il y a dix ans de cela avec un laboureur du même hameau.
Mariage où association paysanne afin de préserver les biens le mariage avait été féconds et assez heureux.
Après le décès de son mari, elle n’avait d’autre possibilité que ce remariage rapide, elle possédait quelques terres ,des instruments aratoires et des bêtes. Les terres étaient de petite taille , mais elle ne pouvait en assumer seule la gestion et l’exploitation.
Lorsque François, ancienne connaissance de son mari défunt vint la trouver pour lui proposer un arrangement elle tendit une oreille complaisante aux propositions du rusé.
D’ailleurs peu lui importait l’homme qui se présenterait, seul comptait la préservation du patrimoine et de la force du travail.
Les TREMEAU, considérés comme des étrangers, car n’étant pas originaires de la commune, étaient somme toute du même milieu, petits laboureurs et même souci de conservation de patrimoine.
L’affaire, car c’en était une se conclut rapidement
Le mardi 22 novembre 1768 le curé Coulon bénit les deux paysans, c’était son deuxième mariage de la journée . Bien que du même hameau les paysans ne firent pas bombance commune, les familles n’étaient aucunement liées
La noce au son d’un fifre et d’un violon se déroula à merveille, le vin de Bourgogne coula à flot et les convives repartirent passablement éméchés.
Jean Louis dansa une bonne partie de la journée et s’étourdit de vin et de nourriture s’en trop s’occuper de son épouse.
Puis le soir vint et les invités se retirèrent, les quatre aînés de Jeanne avaient pour cette nuit été placés chez son frère, la petite encore aux seins était restée avec sa mère.
C’est lorsque Jeanne découvrit un sein pour nourrir sa fille ,que Jean Louis admira pour la première fois la poitrine de sa femme, il en fut troublé.
Lorsque la petite fut repue Jeanne accrocha le paquet de lange à une poutre.
A la lueur d’une chandelle, elle défît ses cotillons et se glissa nue sous la couverture, plus experte que Jean Louis elle prit les choses en main et fit entrouvrir les portes du paradis à notre jeune ancêtre qui n’en demandait peut être pas tant
Jeanne au corps gras et aux seins lourds était lascive et s’y entendait en amour. Jean louis fut assidu et jeunesse oblige Jeanne se retrouva enceinte après deux mois d’union.

TRAMEAU François

1769 – 1820

Comme toutes ses grossesses celle -ci se déroula à merveille. Le 5 novembre 1769 Jeanne en rentrant de la messe ressentit les premières contractions. Elle pressa le pas et fit bien car à peine arrivée chez elle la délivrance arriva. Le chemin devait être fait, l’accouchement se passa rapidement et sans problème.
Lorsque Jean louis revint du cabaret ou il avait retrouvé son père et ses demi frères pour boire un coup, il se trouva être père.

A cette date trois génération de TRÉMEAU vivront sur la commune.
François l’ancien , laboureur au Bornoux, Jean Louis laboureur au Parc, et le petit dernier François .

Le lendemain accompagné de son père François, Jean louis emmaillota son fils pour le protéger du froid vif et se dirigea vers la paroisse du village pour le faire baptiser.
Cette promenade d’un enfant d’un jour pour le faire entrer dans la communauté chrétienne était souvent fatale au bébé. Jean louis dû marcher environ deux kilomètres dans le froid de novembre pour présenter son petit au curé LAIZON. Le parrain fut le grand père François et la marraine Françoise ROBIN une tante du coté maternel. Ils lui donnèrent traditionnellement le prénom de François.

Tout semblait donc aller dans notre communauté paysanne lorsque la grande faucheuse se présenta à nouveau.

Jeanne fit une mauvaise chute et s’empala la jambe sur une faux, la plaie était profonde et  l’on y mit des onguents. La guérison se fit attendre mais ne vint pas, début décembre 1771 elle fut prise de fièvre, la blessure s’était infectée, Jeanne agonisa longtemps et rendit grâce à dieu le 17 décembre 1771.
Le 18 décembre elle fut enterrée dans le cimetière de la paroisse, Jean Louis aidé par quelques paysans avait creusé la fosse. Elle n’était pas très profonde pour favoriser le passage de l’âme de la terre aux cieux.
A cette date Jean louis était nommé dans les actes manouvriers au Bornoux, en fait les terres que possédait Jeanne étaient très peu étendues et Jean Louis se louait dans des exploitations plus grandes.

Un conseil de famille  consacra le retour des terres de Jeanne DUPART dans la famille de celle ci et le placement des enfants de son premier lit dans l’ensemble de la fratrie DUPART et RAVISSOT.
Jean louis et son fils François retournèrent au BORNOUX chez son père et confia son petit âgé de 4 ans aux soins de sa belle mère Françoise qui allaitait sa demie sœur Marie.
Redevenir manouvrier chez son père et vivre sous le même toit engendra bien des conflits mais il fallait se plier en attendant de trouver une autre solution.

Comme de coutume la solution vint d’une veuve qui cherchait mari. En février 1773 Jean louis se remaria avec la veuve GALLY.
Marguerite avait 3 enfants et quelques terres.
Le jeudi 11 février 1773 , le père HOUDAILLE bénit en présence de la famille l’union des 2 veufs. Le père TRÉMEAU était toujours présent ainsi que Jean LAZARDEUX beau frère de Jean Louis. René LACOUR frère du premier mari de Margueritte et Adrien GALLY frère de l’épouse validaient par leur présence l’accord des 2 parties.

Jean Louis redevint laboureur au Hameau du Parc.
Le couple eut 3 enfants, la petite Reine en 1774 et des jumeaux Jean et Jeanne en 1778.
Seule Reine survécut.
Au fil des saisons les années s’écoulèrent, immuables.

François après avoir glané dans les champs s’occupa à faire paître les vaches ,puis grandissant alla ramasser les javelles avec son père. Il devint rapidement un bon paysan.

Il ne fréquenta pas la petite école, ce n’était pas dans les traditions familiales, il ne sut donc jamais signer son nom.
Son travail il l’avait apprit avec son grand père et son père, perpétuation des traditions ancestrales.
Souvent il se rendait au Bornoux ,conversait avec son Grand Père qui approchait des 70 ans, ce dernier travaillait encore tel un vieux cep donnant encore du vin.
Il y côtoyait aussi ses oncles et tantes, cela lui faisait bizarre ils étaient plus jeunes que lui.
Il atteint l’age adulte à l’aube d’une déflagration aux pieds des mont d’Auvergne,qu’ on était loin de prévoir.

Au- delà du cercle restreint de notre univers paysan ce n’était que fausse quiétude, l’orage menaçait.

VERSAILLES

1789

La révolution commença par une procession.
Les députés au nombre de 1200 devaient défiler derrière la maison du roi, le clergé de Versailles et les princes de sang, qui tenaient les cordons du Saint sacrement.

La reine dans une robe de soie passementée d’or était à quelques mètres du roi. Tout le monde était un peu perdu, les députés du tiers affublés d’un cierge qui leur a été remis tentèrent de se placer dans le cortège. Seul le duc de Dreux Brézé maître des cérémonies semblait s’y retrouver. La foule était immense et se pressait pour regarder le spectacle, ce fut le premier d’une longue série mais celui ci solennel et recueilli fut une réussite bien qu’émaillé par quelques incidents.
Le premier problème fut posé par le duc d’Orléans qui bien qu’élu député pour la noblesse alla se placer avec son ami Mirabeau, noble élu par le tiers.
Le roi intervint et Orléans reprit une place plus conforme à son rang, bien qu’il fit preuve de constance en refusant de se placer avec les princes du sang. Le roi fit la moue mais céda . Marie Antoinette fut offusquée, mais due elle aussi se faire une raison.
Le cortège s’ébranla enfin, Pierre de sa place ne rata rien du spectacle et fut au première loge
Le roi et la reine passèrent devant un groupe de femmes du peuple et même pourrait du bas peuple car ces dernières  outrageusement maquillées  avec des décolletés faisant paraître leurs charmes  étaient des filles de joie attirées à Versailles par l’afflux des députés.
Elle crièrent vivent Orléans, la reine se sentit insultée, tant sa haine envers son cousin était grande. Elle se tourna fièrement vers la foule attendant un soutien,mais cette dernière repris d’une seule voie » vive Orléans ». Première insulte d’une longue liste, la fière Autrichienne vacilla et fut soutenue par sa dame de compagnie la belle LAMBALLE. » ce n’est rien fit elle ». La cérémonie terminée la foule se dispersa.
Le lendemain 5 mais 1789 les états généraux commencèrent.

Mais comment en étions nous arrivé là.
Pourquoi un monarque absolu héritier d’une monarchie millénaire dut il faire appel à une telle assemblée, qui ne pouvait que  lui devenir hostile.

Dés les années 1770 le roi Louis XV et son conseil avaient chercher des solutions à la crise qui menaçait.
Le bien aimé s’efforça donc en sa fin de règne de trouver une parade à l’immense gouffre financier de l’appareil de l’état.
La banqueroute menaçait, la noblesse et le clergé ne payaient pas l’impôt .
Le tiers état supportait seul le financement de l’état mais il était au maximum de ses possibilités.
Avant que ne s’effondre l’édifice, un triumvirat de ministres tenta des réformes. Le roi les soutint mais le parlement qui se voulait souverain refusa de céder sur ses privilèges. Ce fut l’affrontement, le parlement dut céder par la force.
Ce n’était pourtant pas l’impôt pour tous mais déjà les privilégiés regimbaient

La variole vint au secours des parlementaires, Louis le Bien Aimé détesté sur sa fin ,alla rejoindre ses ancêtres à Saint Denis.
« Le roi est mort, vive le roi. »
Son petit fils Louis le seizième monta sur le trône, nullement préparer à sa charge, mené en bateau par sa plantureuse Autrichienne, il revint sur les réformes de son aïeul renvoya les bons ministres pour en prendre des mauvais et rappela les bons parlements.
Les finances ne furent pas assainies, aucune réforme sérieuse ne fut ordonner, l’état vivait d’expédients et de prêts.
Les parlementaires jubilaient, les courtisans et la famille royale dépensaient des fortunes.

L’aide accordée aux insurgents d’Amérique vint encore plus obérer les finances de l’état, paradoxe de l’histoire d’une monarchie qui aide à la création d’une république et qui en succombera

« Il pleut il pleut bergère, voici l’orage qui gronde rentre tes blancs moutons » .
La première dame de France jouait à la fermière à Trianon et frissonnait avec le beau FERSEN, pendant que son lourdaud de mari convoquait une assemblée de notables pour l’aider à solutionner le problème. Ces riches représentants de la France ne pressentirent pas qu’il fallait des réformes et ne virent pas beaucoup plus loin que leurs intérêts immédiats.
Rien ne sortit de cette première assemblée et une seconde ne fit pas mieux.
Les ministres des finances qui se succédèrent, LOMÉNIE de Brienne, CALONNE puis NECKER proposèrent des réformes, aucune n’aboutire
La convocation des états généraux devenait une évidence . Après maintes reculades le grand jour fut décidé pour le 5 mai 1789.

Nos paysans de Dun avaient- ils la prescience d’un tel mouvement, que savaient- ils de la crise financière ? Probablement rien, le roi était loin et on ne connaissait sa silhouette que grâce au revers des pièces . La libre circulation des farines ne les avait guère affectée et tout se déroulait au village comme les décennie précédentes.

La nouvelle de la convocation des états généraux ne bouscula guère la famille TRÉMEAU, aucun ne savait lire ni écrire et ils ne participèrent donc pas à la rédaction des cahiers de doléance. Ils ne participèrent pas non plus à l’élection des députés

Les états généraux commencèrent donc, les événements se précipitèrent, les choses n’allèrent pas dans le sens de la royauté .
L’assemblée réunie pour trouver une solution à la crise économique, voulut se prévaloir d’une ambition politique. Les députés restaient dans l’immense majorité des royalistes convaincus ,mais avec une dose de contrôle parlementaire, à l’anglaise.

La révolte parlementaire se transforma en émeute les 13 et 14 juillet
L’écroulement de l’édifice social ne les atteint qu’avec du retard, François l’aîné ne comprenait rien à ces histoires de députés frondeurs, Jean Louis plus réceptif s’inquiétait pour les biens . François plus jeune s’enflammait et discutait de longues heures au cabaret.
Un soir de juillet alors qu’il se trouvait au champs avec les siens, il entendit le tocsin. Il se précipita au village et apprit qu’une troupe de brigands se dirigeait vers Dun pour y massacrer la population. C’était absurde mais tout le monde s’enflamma et personne ne mit en doute l’information.
Les ondulations de la grande peur arrivaient dans le Morvan.

François et ses compères prirent les armes pour se défendre et décidèrent d’aller à la rencontre des brigands. Évidement, ils n’en rencontrèrent pas car ici comme ailleurs aucun complot n’existait pour massacrer la population.
Les paysans de Dun ne brûlèrent aucun château mais s’en prirent à un malheureux receveur des tailles qui avait eut la malencontreuse idée de voyager avec son épouse par ces temps troublés. Tout le monde était énervé et fort aviné, l’affaire se présentait mal pour le collecteur d’impôt.
Certains paysans voulurent mettre une tête à leur pique et d’autres trousser la belle bourgeoise. Heureusement pour la vertu de la dame et pour la tête du monsieur, le curé de Dun alerté, arrangea l’affaire. La robe de la dame fut seulement froissée et seul un sein apparut dans la bousculade , le receveur reçut une correction mais repartit vers Vezelay avec son chef sur les épaules.
Ce fut la seule manifestation de la grande peur.
François l’aîné et Jean Louis haussèrent les épaules devant les exploits du petit.

A Paris, la Bastille, symbole d’un pouvoir royal honnis était tombée et la royauté  mise sous tutelle des avocats de l’assemblée nationale constituante.

Au cours d’une nuit de folie les nobles s’étaient départis de leurs privilèges, puis les choses avaient suivi leur cours. On pouvait penser que la situation allait se stabiliser et qu’une monarchie constitutionnelle verrait le jour .C ‘était sans compter sur les forces en présence..
En octobre le peuple parisien, de nouveau insurgé? enleva le roi et sa famille pour les conduire à Paris . Le roi n’était plus libre.

Les députés cherchaient des solutions et se disputaient le pouvoir, les paysans avaient leurs travaux à effectuer et notre François cherchait une femme.

Il la rencontra le 14 juillet 1790, jour ou les jeunes s’étaient rassemblés pour fêter la prise de la Bastille. Journée fédératrice ou les paysans dansèrent et dressèrent un arbre de la liberté sur la place de Dun. Tout le monde était heureux. François courtisa une jeune femme du village de Montsauche et audacieux lui vola même un baiser

Les choses allèrent lentement, François le dimanche après la messe allait compter fleurette à sa conquête.
Ils décidèrent de se marier et eurent le consentement des parents. Alors commencèrent de longues tractations entre laboureurs avides.
Les TRAMEAU et les LORIOT n’arrivaient pas à se mettre d’accord
Les tractations furent mêmes rompues car en cette période troublée, les paysans tentèrent d’acquérir des lots de terre venant des biens du clergé mis en vente pour éponger la dette nationale.
Évidemment les meilleurs lots allèrent aux gros laboureurs, aux fermiers et aux bourgeois des villes. Les petits réussirent néanmoins à récupérer quelques parcelles. Le mariage de François et de Françoise tardait à venir tant leurs parents respectifs voulaient arrondir leurs biens.

C’est aussi à cette époque que François prit l’habitude d’aller se louer dans les grandes fermes céréalières de la Brie.
Ils partaient en groupes, les chemins n’étaient point sûrs, d’autant que la situation politique Française ne s’améliorait guère.
A l’assemblée nationale constituante s’était substituée une assemblée législative, puis une assemblée appelée : convention nationale.
Les luttes d’influence entre monarchistes tenant de l’absolutisme, les monarchistes constitutionnels et les républicains redoublaient de violence.
L’année 1792 vit l’ effondrement de la royauté et les débuts d’une guerre Européenne qui ne s’arrêtera que 23 ans plus tard.

Aux luttes entre les monarchistes se substituèrent les luttes entre républicains.
Girondins et montagnards se combattaient au sein d’une assemblée tremblante.

Les extrémistes arrivèrent au pouvoir et avec eux le règne de la terreur.
Chacun était menacé, tout le monde se méfiait de son voisin.
La famille royale fut décimée.

En novembre 1794 le patriarche remit son âme à dieu, il reçut les saints sacrements des mains d’un prêtre jureur, cela ne fit pas plaisir à son épouse mais un sacrement restait un sacrement. Il s’était éteint en présence de son fils aîné Jean Louis et de Louis son plus jeune. Pierre LEGER, le maire du village était venu au Bornoux pour constater le décès. Il dressa l’acte aussitôt .

C’était la fin d’une époque, c’est lui qui avait déplacé sa famille de Bazoches sur Dun . Jean Louis devint chef de famille, mais il n’avait pas l’aura de son père.
François fit donc comme il l’entendait et se maria avec sa Françoise.
A la tête de l’ état, les choses avaient également évolué, la terreur avait cessé avec la mort de Robespierre. La convention thermidorienne avait prit le pouvoir.

A Dun les choses ne changeaient guère, le vent de la liberté n’avait pas beaucoup soufflé dans la direction des paysans et les fruits de la vente des biens nationaux ne leurs apportèrent que très peu .

Chez Jean Louis petit laboureur au hameau de Parc, la situation était la même qu’avant la révolution, peu de liquidité, la vie au jour le jour. Ce n’était certes pas la misère, mais l’exploitation était petite et son fils François se louait donc et migrait à la belle période. Louis le cadet suffisait à aider son père.

La vie du foyer de François fut donc rythmer par cette migration, il avait bien proposé à sa femme de s’installer en Seine et Marne mais rien n’y fit, jamais elle ne céda. Les départs furent douloureux mais à chaque retrouvaille ils retrouvaient l’ardeur amoureuse des débuts de leur union.

Ils attendirent quand même longtemps avant d’avoir un petit. Ce dernier arriva en février 1802. On le nomma Jean Louis comme son grand père.

La révolution était terminée depuis longtemps, les thermidoriens après avoir gouvernés presque 5 ans s’en étaient retournés à l’anonymat.

La France était exsangue économiquement, mais la gloire d’un petit général avait rejailli sur elle.

L’Italie retentissait du bruit de ses bottes et de sa gloire et L’Autriche marquait le pas. Éloigné en Égypte, il en revint vaincu mais couvert de gloire.

Son sabre balaya les avocaillons, il prit le pouvoir.

Une nouvelle campagne foudroyante et les autrichiens plièrent à nouveau. Les Anglais esseulés , signèrent la paix

Le grand Bonaparte eut quelques années de tranquillité pour construire la France.

Jean -Louis l’aîné, ne côtoya guère le petit Jean Louis, il décéda entouré des siens en 1803.

Les terres qui appartenaient à Jean Louis et à sa femme Marguerite allèrent à Louis TRAMEAU.
François né de la première femme de Jean Louis , fut écarté du partage des terres et n’eut qu’une maigre compensation.
Le droit d’aînesse n’existait plus.
La propriété ne le retenait plus dans la région et ses séjours en Seine et Marne s’allongeaient
Le couple eut une fille en 1805, ils la nommèrent Marie.

Il est à noter que lors de l’arrivée de François TRÉMEAU à Dun les Places l’orthographe de notre nom commença sa mutation vers notre orthographe actuel, le É se transformant en A.

François né à Dun en 1769 se nomma TRAMEAU, mauvaise compréhension du curé, faute d’écriture ou accent différent de Bazoche à Dun ?