LE TRÉSOR DES VENDÉENS, Épisode 98, entre jeunesse et vieillesse, entre mort et naissance.

Janvier 1908, la Cossonnière commune de La Chapelle Achard

Victoire Cloutour épouse Barthélémy Proux.

Toute sa vie mon père a couru après quelques choses, lorsqu’il était journalier il voulait une métairie, lorsqu’il eut une métairie il en voulut une plus grande. Enfin il eut celle qui lui convenait mais maintenant ses forces déclinaient alors qu’il eut voulu acquérir ce bien et enfin devenir propriétaire de la terre qu’il cultivait.

Ce foutu trésor lui avait aussi mangé de l’énergie et lorsque enfin ma mère qui avait toujours eut la solution avait lâché ce qu’elle gardait au fond d’elle, ils avaient déterré ce coffre plein d’assignats qui ne pouvaient leurs servir à rien, mon père qui un moment s’était vu riche était tombé en une sorte de mélancolie.

Maintenant ses forces le lâchaient tout à fait, courbé, les mains tordues par l’arthrite, il ne se déplaçait qu’avec peine. Plus rien ne l’ égayait, il se postait devant la maison, regardait les autres s’activer. Parfois il gueulait après les domestiques qui se moquait du vieux comme de leur première dent de lait. Il était devenu une charge pour nous et cela il ne le supportait pas. Je suis bon à rien, vivement que je m’en aille. Mon vieux père commençait aussi à être un peu incontinent et une odeur acre l’entourait souvent.

Il commença à parler et à dire que passé un certain cap, il se supprimerait pour qu’on n’ait pas à le torcher. Barthélémy à ma demande lui cacha son vieux fusil de chasse. Ma mère était inquiète car elle connaissait son bonhomme.

Un jour alors que nous rentrions des champs, nous pensions le trouver sur son fauteuil. Les enfants ne s’en étaient pas souciés.

Il ne devait pas être bien loin et nous le cherchâmes. C’est moi qui le trouva dans la grange, il était allongé dans la paille en position fœtal, une corde était passée autour de son cou. J’appelais et tous se précipitèrent, il était heureusement encore vivant, un filet de bave coulait le long de sa bouche une auréole sur le haut de son pantalon témoignait qu’il s’était pissé dessus. Le pauvre avait essayé de se pendre mais par manque de mobilité et de force il avait mal accroché la corde.

Barthélémy et Jean Marie le portèrent en sa couche. Il ne reprit jamais vraiment connaissance. On alla chercher le médecin mais plus pour se donner bonne conscience que par espoir qu’il le sauve.

Son agonie dura deux jours, son esprit était parti et seul un léger souffle de vie le retenait parmi nous.

Ma mère resta en prière pendant deux jours, il était péché de tenter de se substituer à Dieu pour partir. Son Pierre avait commis l’irréparable, jamais il ne pourrait se rejoindre dans l’au de là.

Il mourut le dix huit janvier mille neuf cent huit, il avait soixante seize ans. On l’enterra le lendemain.

1910, la Cossonnière , commune de la Chapelle Achard

Victoire Epaud, épouse de Pierre Cloutour

Auguste mon gendre vient de surgir à la ferme, Nathalie n’est pas bien, la fièvre qu’elle a depuis quelques jours ne cesse de monter. Il panique et requiert ma présence. Je préviens chez moi et je me rends à la Méronnière. Sur place c’est la consternation ma fille gît dans son lit, Pascal neuf ans s’occupe de Marguerite la petite dernière âgée de trois ans. Marie et Léonce jouent dans un coin. Elle me voit, me reconnaît, me sourit même. Mais je vois à son regard qu’elle est déjà ailleurs, le docteur est venu a donné des médications mais a prévenu que si la fièvre ne baissait pas les jours seraient à compter. Je ne pouvais pas faire grand chose pour elle, alors je me suis occupée des petits et du repas. Le soir comme une répétition de veillée funèbre, la famille et les amis se sont relayés. Auguste épuisé par des nuits sans sommeil avait lâché prise et dormait avec ses petits. A l’aube où souvent les gens partent, elle murmura quelques paroles, je lui pris la main qu’elle serra une dernière fois .C’en était terminé, je réveillais Auguste et les enfants et annonçais la terrible nouvelle.

Nous enterrâmes ma  fille le lendemain, si le destin avait été clément de ne jamais m’avoir repris un petit, il se vengeait maintenant à l’aube de ma propre mort.

Nous ne savions pas exactement de quoi était morte Nathalie mais les jours suivants ses enfants s’alitèrent également et eurent une poussée de fièvre. Ce fut la panique à la Méronnière.

Sur moi les symptômes s’annoncèrent dès le retour du cimetière, j’eus des frissons, des courbatures, un mal de tête. La nuit fut horrible, et à notre tour on fit venir le médecin, je ne l’avais guère vu dans ma vie. Il nous certifia que j’avais la grippe et que cette année elle était particulièrement virulente. Mon état devint vite alarmant et à mon tour je fus veillée. Mon vieux mari ne me quittait pas.

Bientôt je délirais, ma vie défilait devant mes yeux, ma rencontre avec Pierre, ma noce, la naissance de mes trois enfants, mon infortune conjugale et la peignée que j’avais mis à la maîtresse de mon mari, je revoyais aussi mes parents que je n’en doutais pas j’allais bientôt rejoindre.

Jean Marie Proust

Ma grand mère se mourait, à tour de rôle nous nous tenions à coté d’elle, lorsqu’elle tenait la main de son fils Pierre, elle croyait que c’était son mari. Elle allait le rejoindre cela ne faisait plus de doute. L’épidémie de grippe s’étendait, heureusement les petits d’Auguste et de Nathalie semblaient être tirés d’affaire.

Elle expira le dix sept mars, cinq jours après sa fille. Nous l’enterrâmes dans le même carré, la terre n’était pas encore tassée. J’avais confectionné une croix de bois qui alla rejoindre dans son alignement celle de pépé Pierre et de tante Nathalie.

J’aurais aimé qu’ils aient la joie de participer à ma noce prévu en mai. Il était temps que la mort quitte la Cossonnière pour un autre lien. C’était le balancier de la vie.

Il était grand temps de balayer la mort et de s’affairer à nos préparatifs. Avec Ernestine nous fîmes le tour de nos connaissances pour les inviter, je la présentais à ma famille et elle me présentait à la sienne. La question c’est bien sur posée, qui devait on inviter? La famille était fort nombreuse si on l’étendait aux cousins. Mes parents fiers me pressaient pour que nous invitions le maximum de personne, ceux de Ernestine un peu dans la gêne auraient préféré un peu de modération.

Les tractations furent serrées, mais enfin on opta pour une belle noce, la Cossonnière pouvait bien être le cadre d’une grande fête.

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