FILLE-MÈRE, UNE HISTOIRE DE FAMILLE ( Marie Anne Ruffier, 1796 1865 )

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Quoi de plus beau que ce tableau pour illustrer l’histoire de ces femmes ?

L’origine du monde par Gustave Courbet 1866

Il n’est pas rare en consultant les registres d’états civils où les registres paroissiaux de trouver la naissance d’enfant naturel.

Quelques unes des mes aïeules ont d’ailleurs mis au monde des enfants dans cette situation.

Que la femme soit victime d’un viol, d’une séduction avec promesse de mariage, d’une faiblesse où pourquoi pas d’une vraie histoire d’amour cela se terminait toujours de la même façon.

La jeune fille était rejetée, reniée, mise au ban de la société villageoise, mise à l’écart de la famille.

Une traînée dont la valeur marchande était réduite à néant, une moins que rien bannie par l’église, dont l’enfant conçut dans le péché jette l’ opprobre sur toute la structure familiale.

Pourtant, pure hypocrisie que tout cela au 19ème siècle des milliers d’enfants viennent au monde comme cela. Beaucoup d’abandon, beaucoup d’infanticide.

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Marie n’utilisa pas ce genre de tour, elle éleva sa progéniture

Je vais maintenant conter la vie de Marie Anne Ruffier dont je descends à la 6ème génération.

Je n’ai en main que les registres d’état civil, la narration sera donc de pure fiction, seuls les actes en eux mêmes sont authentiques.
Marie Anne Rose voit le jour le 22 mars 1796 à Champcenest en Seine et Marne elle a un petit frère né en 1791.

La famille se fixe sur la commune de Sancy lès Provins et le couple est manouvrier à la ferme de Liéchène.

Petite vie de labeur, le dos courbé sur la glèbe, les enfants grandissent, Marie Anne a maintenant 18 ans c’est une belle jeune fille, encore un peu jeune pour le mariage mais qui est déjà largement convoitée.

La belle est délurée, joue de son charme et attise les convoitises. Qu’on ne s’imagine pas une campagne aux ordres du curé, immuablement régit par les traditions villageoises où rien ne bouge, où les jeunettes bien sages arrivaient toutes vierges au mariage, où les hommes arrivaient puceaux le jour des noces. Les paysans pour raisons économiques qui souvent se mariaient tardivement, étaient-il tous sages ? A lire les actes ont peu en douter.

Alors oui nos ancêtres avaient des rapports sexuels avant mariage, oui nos ancêtres devaient parfois se masturber, oui le coit interruptus était pratiqué et oui les paysannes avaient des envies sexuelles hors toutes idées de procréation.

Seulement entre une pratique coutumière mais cachée et les structures sociétales marquées par l’église et la loi des mâles, la différence était énorme.

Marie Anne vécut sa vie de femme, fit l’amour à un bel de passage et se retrouva un beau matin avec le ventre rond.

Elle n’avait guère porté attention à l’absence de ses menstrues, mais la modification de son corps l’alerta, son ventre s’arrondissait et ses seins déjà opulents débordaient maintenant de son corsage.

Il y avait aucun doute, mais quoi faire ?

Il y avait bien une femme dans le village voisin qui avait réputation d’avorteuse, mais elle n’oserait jamais. Un peu perdue elle se confia à sa mère qui pensait- elle , serait à même de la comprendre et de trouver une solution.

La prude Anne Rose en fut bouleversée et prévint son mari.

Marie Anne ,lorsqu’elle entra dans la maison de ses parents fut accueillie par un silence glacial.
Son frère assit sur un banc fixait un point invisible sur le mur, sa mère les yeux rougis tordait ses mains dans son tablier, son père adossé les bras croisés le long du manteau de la cheminée attendait visiblement son arrivée.
L’instinct lui dicta qu’une catastrophe s’annonçait pour elle. Son père s’avança menaçant, une paire de gifles retentissante s’abattit sur elle. La violence du coup la fit tomber.

La rancune paternelle ne semblait pas devoir s’arrêter, elle vit son père dégrafer sa ceinture et la sortir de ses passants. Bien que jamais elle n’eut reçu de correction de la part de son père, elle avait assez vu et entendu les humiliantes fessées assénées à son frère pour savoir ce qui l’attendait maintenant.

-Trainée, salope.
-J’va te faire passer le goût du mâle.

Un premier coup siffla dans l’air, Marie Anne put esquiver.

– Bouge pas, hurla le père
– J’va te cingler le cul
– J’te ferai bien passer l’envie d’écarter les cuisses

Son père était ivre de rage, Marie Anne fit front, il n’était pas question de se laisser humilier par son père devant sa mère passive et son benêt de frère qui se tortillait lubrique sur son banc.

La détermination de sa fille et le regard intense qui le fixait fit baisser les bras à Louis . Il se contenta de montrer un ballot de vêtements à sa fille.

– fous moi le camps .

La vindicte paternelle ne comportait pas que cette tentative de correction, elle était chassée comme une mendiante. Elle sortit sans un regard pour ceux qui la rejetaient.

Elle s’éloigna sans but, les larmes lui vinrent.

Où aller ?

 

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La solitude

 

La nouvelle de sa grossesse n’était certainement pas connue du village, mais son apparence ne tromperait pas longtemps les femmes du village.

Elle marcha sans but un long moment en réfléchissant sur sa situation catastrophique du moment.
Elle décida de ce qui serait sa ligne directrice tout au long de sa vie.

Son âme n’appartiendrait pas à Dieu, ni aux hommes qui le représentaient.
Aucune force villageoise et communautaire ne la contraindrait à quoi que ce soit.
Son esprit serait libre.
Elle n’appartiendrait pas à un père ni à un mari.
Elle serait libre de son corps.

Le chemin de sa vie fut long et tumultueux, elle dut faire quelques concessions.

La première fut de retourner chez son père qui dut sous la pression lui permettre d’accoucher décemment et non comme une vagabonde.

Le 25 mars 1815, elle accoucha d’un petit garçon qu’elle nomma Louis Eugène. Le grand père comme le veut l’usage alla le déclarer.

Dans les premiers temps quelques insultes fusèrent, au lavoir les femmes affectaient un comportement distant. Les vieilles femmes se signaient à son passage. A l’église le curé fulminait contre la copulation.
Puis aux fils des années les médisances villageoises trouvèrent d’autres cibles.

Marie Anne n’était évidement pas demandée en mariage, cataloguée comme une fille facile, plusieurs villageois la serrèrent de très près, elle sut être sage.

Mais le désir fut plus fort que la sagesse.

Le 8 août 1821 une petite fille sans papa arriva de nouveau chez les Ruffier, le grand père résigné fut comme pour le premier, obligé de le déclarer.

Les ragots recommencèrent, opprobre s’abattit de nouveau sur la maison.

La situation était tendue à l’extrême, lorsque Marie Anne fit la connaissance d’un manouvrier.
Ce dernier attiré par la froide beauté de la jeune femme, la demanda en mariage. Il avait 7 ans de moins qu’elle, les pipelettes de l’office affirmèrent qu’elle l’avait envouté.
Marie Anne fit une entorse à son indépendance, accepta de se donner à Louis Léon Portier. Ce dernier prit la mère et les 2 mouflets.

L’union fut féconde, Marie Anne eut 6 nouveaux enfants. Excepté le nom différent des 2 premiers, chacun fut élevé sans distinction.

Le brave Léon décéda le 28 avril 1841, il ne restait à la maison que le petit dernier âgé de 7 ans.

En 1845 Marie Anne se remaria et changea de village pour suivre Louis Guillemot. La chapelle Véronge, plus au nord est du département la dépaysa un peu. Elle n’y resta guère car Louis succomba l’année suivante, elle n’avait pas, dieu merci, eut d’autres enfants.

Les années passèrent, en 1855, Marie Anne, vieille veuve accepta la proposition de mariage de Dominique aimable Flon. Mais décidément veuve noire, le 3ème époux succomba à peine 2 ans plus tard.
Marie Anne décida cette fois que sa vie de femme était terminée.

Rosalie Ruffier

Faisons un petit retour en arrière et revenons à l’année 1845.
Rosalie enfant naturel de Marie Anne fit exactement comme sa mère.
Déterminisme social ou même malchance, elle mit au monde un petit garçon qui comme elle n’eut pas de papa. ( Louis Désiré Ruffier 9 janvier 1845 ), je ne suis pas sûr que le 2ème prénom fut un bon choix.

Mais est- ce du mimétisme, l’année suivante, Rosalie accoucha de son 2ème enfant, sans qu’il y ait cette fois encore un père officiel. ( Rose Pélagie Ruffier 17 janvier 1846 )

Mais décidément la malchance continuait, Rosalie très féconde fit mieux que sa mère en mettant au monde un troisième enfant naturel. ( Emile Alexandre Ruffier, 2 mai 1848 ).

Elle se maria enfin et eut comme sa mère une nombreuse nichée.

Il est remarquable qu’aucune de ces deux femmes n’eut recours aux tours d’abandon ni à l’infanticide. Je ne pense pas qu’elles aient eu une vie facile, mais elles gardèrent courageusement le fruit de leurs entrailles.

 

Définition, Fille mère : Expression encore en usage, mais dorigine ancienne, à la connotation péjorative. Désigne les femmes célibataires ayant un enfant, conçu hors mariage et qui élèvent seule leur enfant. Le terme ne s’applique pas aux femmes divorcées ou veuves.

5 réflexions au sujet de « FILLE-MÈRE, UNE HISTOIRE DE FAMILLE ( Marie Anne Ruffier, 1796 1865 ) »

  1. Merci pour cette histoire joliment racontée.

    J’ai un cas plus rigolo à vous soumettre. L’une des ancêtres de ma femme était fille mère. Mais en fouillant dans les actes, j’ai découvert que le père avait été trainé devant l’officier d’état civil, avait reconnu l’enfant mais avait refusé de signer l’acte de naissance.

    Oui, je suis le papa, mais juste un peu, hein !

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