LA BATAILLE DE VERDUN OU LA GUERRE A FERNAND, épisode 6

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Fernand Tramaux  ( 1891 –  1969 ) 1ère ligne sur la gauche

LA GUERRE A FERNAND

Introduction

Que l’on ne si trompe pas, je ne vais pas réécrire l’histoire de la guerre de 14-18, mais simplement tenter de faire revivre mon grand père à travers quelques pages marquantes de son épopée guerrière.

Je n’ai pas la plume alerte ni le talent de Céline, de Genevois, de Dorgeles, de Barbusse, de Kessel ni de Giono, mais par mes mots je vais tenter de décrire la vie de mon ancêtre à qui je ressemble tant

Louis Ferdinand avait son Bardamu moi j’aurai mon Fernand.

Le centenaire de la bataille de Verdun approche je vais donc commencer par cette bataille.
La plus emblématique et la plus meurtrière de toutes.

Lorsque ce grand massacre commence, Fernand a déjà de la bouteille , il est considéré avec respect comme un ancien. Blessé gravement à 2 reprises, il a comme on dit la  » baraka  », dans son régiment les survivants des 2 premières années de guerre s’amenuisent.

Il fait parti du 1er régiment de marche de Zouaves, 11ème Bataillon, 3ème compagnie de mitrailleurs. 75éme brigade de la 25ème division

La tuerie de Verdun commence le 21 février 1916. Le 1er régiment de zouaves est au repos au camp de Laversine dans l’Aisne.
Ce jour 23 février 1916, Fernand, de repos somnole dans son baraquement, il était de garde la nuit précédente et donc avait le droit avec quelques autres de rester dans les baraques Adrian.

Il y fait chaud, Fernand se sent bien, il se met même à penser à Fernande, sa promise qu’il a laissée avec regrets lors de sa dernière permission.

Mais l’irruption de son caporal le sort de sa torpeur, les ordres sont aboyés et 30 minutes plus tard, le bataillon rangé avec le bardas en un ordre impeccable, attend les instructions

Elles sont brèves, ordre de marche en colonne direction la gare de Villers Cotterets. L’ensemble du régiment fait mouvement, les soldats pourtant habitués aux déplacements s’inquiètent un peu de la rapidité du départ.

La nuit est tombée depuis longtemps quand sur le quai numéro 2, Fernand attend son tour pour monter dans le train.

Le matériel qui a suivi dans des camions automobiles est également prêt à être embarqué.

La nouvelle destination a fuité par les territoriaux qui gardent la gare.

Un gros coup de tabac sur une ville de la Meuse qu’on nomme Verdun, les Boches attaquent en masse et les régiments sur place sont à la peine.

 

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Le kaiser Guillaume II

Nos soldats paysans montent dans le train et s’installent comme ils peuvent, Fernand ne sait pas où se trouve Verdun et les copains non plus. Gaston le servant de la mitrailleuse de Fernand se pique de curiosité et respectueusement demande à un sous lieutenant qui était instituteur avant la guerre où se trouve la ville.

Fernand la tête collée le long de la vitre observe ses compagnons, de ceux de 14 il n’en reste guère, le régiment a vachement dérouillé, La Marne, Craonne, l’Yser, Ypres ont laissé des coupes franches dans les rangs initiaux. Des gamins à peine instruits les ont remplacés.

Il s’endort, profitant du long trajet qui s’égrène, ça aussi il faut savoir le faire à la guerre, prendre le sommeil quand on peut. Les bleus bites jacassèrent toute la nuit, s’interrogeant sur leur destination.

Le régiment est largué dans un patelin nommé Mussey sur Marne.

– Nom de dieu quoi qu’on fout là, gueula, Fernand quand il apprit qu’il fallait mettre sac au dos.

– Ferme -la Tramaux , aboya le sergent de compagnie, des camions vont venir nous prendre, mais en attendant marche et tais toi.

– J’va lui foutre un coup de baïonnette dans le cul un de ces jours

– Laisse le donc y crèvera bien tout seul, répond Gaston.

Le bivouac arrive enfin, le village se nomme Seigneulles et chacun se disperse pour trouver un endroit abrité du vent. Les roulantes arrivent enfin et les malheureux qui n’ont rien mangé depuis la vieille vont pouvoir se goberger d’un peu de rata et de pinard.

L’arrivée de l’ensemble du régiment s’échelonne sur plusieurs jours, la marche reprend le 28 février.

Destination Saint André en Barrois 25 km à pinces, une misère avec les 30 kilos de paquetage, on a beau être habitué, le paysage défile lentement.

En se rapprochant, tout le monde perçoit le grondement qui tel un orage perce les lourdes nimbes gorgées d’eau . Les plus jeunes s’inquiètent, les plus vieux savent.

Bivouac à l’infini, des biffins, des zouaves , des tirailleurs, des artilleurs, chacun fourbie ses armes avant l’holocauste que tous sentent proche.

Entraînement, revue de paquetage, corvées, on en crève se disent les hommes.

Puis soudain, après 6 jours, l’ordre arrive, on monte au combat, la division va relever la 67ème, celle ci est très amochée, l’urgence de la relève se fait sentir.

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situation début mars 1916

Le 7 mars, Fernand et son régiment sont presque arrivés à destination de l’abattoir.

Le village de Fromereville dresse ses premières maisons, les villageois viennent de recevoir l’ordre d’évacuation.

C’est une aubaine clame Roger de la Compagnies de Mitrailleur numéro 3.
– Tu parles ,dit un autre, on va voir si ils n’ont rien à vendre

S’approchant d’une famille qui charge une grande charrette, les hommes se mettent à commercer avec les villageois qui ne peuvent enlever toutes leurs affaires et toutes leurs réserves de victuailles.

Le pinard, le schnaps, les saucisses changent de mains, les autochtones récupèrent de précieuses petites pièces qui leurs seront utiles dans leur exode.

– Fernand t’achètes rien ?
– Tu vas baver, quand tu nous verras bouffer la charcutaille et puis le pinard tu f’ras tintin.
– M’emmerde pas je sais ce que je fais…

De fait Fernand a raison, les gendarmes pressent les habitants et le village est libre . Il n’est pas pillard mais faut quand même être con pour payer quand on peut avoir gratos.

Une bouteille de vin bouché, un saucisson et un fromage passent dans son sac.
alors les débutants, quand je trousserai une petite avec mes sous je penserai bien à vous et le vieux y vous a roulé, moi mon pinard c’est pas de la vinasse.

Le 8 mars alors que chacun s’apprête à quitter son campement de fortune un bruit bizarre, différent du bruit des canons surgit au milieu du vacarme ambiant. Fernand aperçoit les aéronefs allemands, la plupart des soldats n’ont jamais vu d’avion, il se jette au sol en prévenant les autres.

Les mitrailleuses crépitent, des bombes éclatent, des cris, puis le calme, ils sont partis.

– Les salauds
– Putain de fridolins

Quelques Zouaves sont au sol déchiquetés, un gamin au sol pleure, ce sont ses premiers morts, sinistre première avant une longue liste.

–  Pleure pas petit, t’en verras d’autres lui dit Fernand en le relevant.

Les brancardiers nettoient la scène, les premiers zouaves morts à la bataille de Verdun vont rejoindre les autres infortunés du jour.

Un tas de macchabées attend l’ensevelissement au pied de l’église du village, la bataille a déjà fait des milliers de morts .

Maintenant on monte au combat, les colonnes de fantômes descendent de la zone des combats.
Ce ne sont plus des hommes, couverts de boue, de merde, de sang, en haillons, les épaules rentrées, voûtés , résignés. Les visages sont havres, les barbes sont drues, les yeux hagards dans des orbites creusés semblent nous dire, n’y allez pas. Nous les croisons sans rien dire, eux ne parle plus ils ont perdu leur âme.

Le bruit est maintenant assourdissant, les gaz vous font suffoquer, le secteur prévu est :le sud du bois de Cumières, le village de Cumières et le sud de Cumières.

Le lieutenant nous a expliqué que nous sommes sur la rive gauche de la Meuse et que les boches attaquent en masse sur notre futur secteur.

De fait les Allemand qui avaient attaqué seulement sur la rive droite, tentent de percer sur l’ensemble du front.
La relève est prévue dans la nuit du 8 au 9, mais mauvaise transmission des ordres, les soldats à relever ne bougent pas.

Les soldats se retrouvent à attendre que la place soit libre pour aller mourir.

Ils patientent pendant 24 heures, dans un petit bois nommé le bois  » bourru  »

– Il fait froid, on va crever
– Creuse ton trou, ça va te réchauffer, les pelles s’activent, chacun se creuse un abri individuel, le vent glacé s’engouffre dans les arbres. Rien à manger, rien à boire, rien à faire. L’éternité.
Fernand se met doucement à chanter, tous reprennent, les officiers laissent faire, on ne contrarie pas des morts en puissance.

Mais maintenant les bombes se rapprochent, l’allemand a allongé son barrage d’artillerie. Les nôtres tardent à en faire autant, bon dieu d’embusqués.

Dans la nuit du 9 au 10 la division prend place. Fernand comme les autres s’attendaient à quelques chose de plus structuré.

La ligne des tranchées est inexistante, bouleversée, comblée, saucissonnée par le déversement incessant d’obus de tous calibres.
Il y a de la ferraille partout, les arbres ne sont plus que des poteaux éparses.

Pas un instant de répit, les zouaves se mettent courageusement au travail, ils creusent des tranchées, des boyaux, installent un réseau de fils de fer barbelé. Mais sans cesse tout est bouleversé, les travaux effectués sont réduits à rien par le martelage incessant des canons du Kronprinz.

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Kronprinz

 

Fernand en tant que mitrailleur se voit affecté un trou en bordure du bois de Cumières, il y passe des heures et des heures.

La vie est dure, la soupe arrive irrégulièrement, les hommes de corvée apportent un lourd tribut, les morts par bombardement sont nombreux dans le régiment.

Fernand pour quelques heures a laissé sa mitrailleuse, il est vautré dans un trou et mange sa soupe, 4 jours d’enfer. A quelques mètres de lui un corps semble bouger

– Gaston regarde, un fritz avance vers nous
– T’es fou qu’es qui f’rai là
– Js’ai pas
– J’vas tirer

Fernand arme son Lebel et vise. Gaston soudain est pris d’un doute.

– Arrête Fernand, j’crois qu’il est déjà crevé, effectivement, à mieux voir, une charogne en uniforme feldgrau soulevée par une myriade d’asticots, semblait ramper vers la tranchée.
Fernand n’a plus faim, mais le sergent détesté  qui les observe, s’avance.

–  Alors les comiques on a peur, prenez 2 hommes et creusez des feuillées ça va vous remettre en place.

Fernand qui a le sang chaud, faillit pour la seconde fois lui foutre sur la gueule, lui dire qu’il a peur, à lui, relève de l’inconscience.

– Faire des trous à merde sous les bombes alors  que tout le monde chie dans des boites de conserve depuis 5 jours, quelle connerie.
– J’irai pas y mettre mon cul, déclara Fernand
– Mossier le sergent vos vater closette sont prêtes beugle Gaston

Les 2 compères se retrouvent de corvée de pinard et munis de bidons descendent par des boyaux sommaires vers les roulantes situées en contrebas. La mission s’avère difficile car des obus semblent vouloir s’acharner sur eux.
Mais à leur retour, rien n’est plus pareil, la tranchée est méconnaissable un tas de copains gisent pèle mêle au fond du boyau, les feuillées ont résisté, à leurs pieds un corps sans tête le cul nu, le froc baissé.

– Fernand c’est le sergent, y sont tous morts
– P’ovre gars l’était marié, avec des gosses.
– Fernand qui 2 heures avant l’aurait bien zigouillé, s’apitoie sur le pauvre bougre.

Le lieutenant par quelques ordres brefs ordonne aux survivants de redessiner la tranchée et chacun harassé de fatigue creuse et creuse encore.

Des milliers d’obus de tous calibres s’abattent quotidiennement sur les positions mais ce jour 14 mars çà tombe comme de la grêle.

– On va morfler ,croyez moi hurle Gaston.

Puis le silence, chacun est à son poste. Fernand aujourd’hui est chargeur de sa Hotchkiss, il sent confusément que l’affaire sera chaude.
Soudain un enfer de mitrailles se déchaîne, les lances flammes crachent leur feu, les teutons tentent de prendre le Mort homme et le bois de Cumières.
Les hommes tombent à tour de rôle, la mitrailleuse à Fernand est brûlante, les français s’accrochent à chaque trou, chaque boyau, chaque arbre, chaque cadavre, la côte 295 tient par miracle, les schleus s’infiltrent entre les boyaux de Béthincourt et Morthomme. L’attaque s’épuise enfin et le commandement lance une contre offensive, Fernand ni participe pas, il est dans son trou, épuisé, ivre de mort, un fou parmi les fous. La journée s’achève enfin. Les boches ont été arrêtés, mais des milliers d’hommes sont morts aujourd’hui et des milliers d’autres blessés.

– On entend pu rien, les fridolins n’ont pu de pruneaux ,dit Fernand.
– T’as raison, on les a p’tre tous crevés

L’attaque du jour a échoué, sur la rive gauche , comme sur la rive droite, les Français tiennent vaillamment, au prix d’une saignée monstrueuse.

La nuit tombe, les zouaves restent dans leur trou toute la nuit.

-J’ai faim et j’ai soif
– Tu crois qu’on va rester là
– Pour sur oui

Le capitaine Voillot responsable de la CM3, se glisse dans le trou, et félicite ses hommes.

– On les a repoussés, ils ne vont pas revenir de si tôt.
– Je vous remercie les gars
– Par contre vous allez restez là, je vais tenter de vous faire amener de la soupe.
– Courage
– Il es bien malin le pitaine, pas à bouffer, pas à boire, pi on se caille.

La gamelle arriva le lendemain matin, les hommes n’avaient pas dormi tant la proximité des Allemands était palpable.

Au lever du jour la situation est dantesque, des dizaines de copains déchiquetés, raidis en des postures grotesques jalonnent un paysage dispersé. Des milliers d’oiseaux du diable, corneilles gorgées de viande déjà, s’activent, le bruit sourd de leur bec sur les cranes éclatés résonne à nos oreilles fatiguées. Ce sont les premiers nettoyeurs, leurs associés les rats vont bientôt prendre leur service, brigades animalières qui ignorent les nationalités et officient dans les 2 camps. Les anciens sont habitués à ce service funèbre car de toutes façons personne ne peut aller entre les lignes effectuer ce digne boulot.

On réorganise de nouveau les positions, les pelles entrent en action, on remet du barbelé et les télégraphistes retendent des lignes. Bien sur les bombardements ont repris et les troupes du Kronprinz multiplient les attaques partielles. Les morts s’ajoutent aux morts, le régiment s’affaiblit, chacun attend la relève.

Le 18 mars au matin les ordres fusent, le 11ème bataillon de Fernand doit passer à l’attaque.

Des munitions sont amenées par des vieux territoriaux, la mitrailleuse est démontée et nettoyée.
Il est 13h, un coup de sifflet, tout le monde s’élance.
La riposte allemande est foudroyante, visiblement la préparation d’artillerie qui dure depuis l’aube a été insuffisante.
Les zouaves tombent, meurent, les vivants de trou en trou s’approchent des lignes allemandes.
Gaston s’effondre à coté de Fernand, celui ci récupère la mitrailleuse et de position en position applique un feu d’enfer.
Une folie meurtrière plus forte que la peur s’empare de lui et de ses congénères, rien ne peut les arrêter, ils sont ivres de mort, les boches vont payer.

Leur héroïsme repousse les allemand d’une centaine de mètres, la lisière du bois de Cumières est prise. Gain dérisoire ,chèrement acquit, mais qui permet au front de se stabiliser.

Cette fois ci l’effort a été tel qu’il faut d’urgence remplacer la 25ème division.

C’est chose faite le 21 mars, après 13 jours en première ligne, des fantômes habillés d’un linceul de terre redescendent vers la vie. Couverts d’une gangue de boue et de sang, abîmés à jamais ces spectres titubants croisent le troupeau résigné ,qui doit les remplacer au seuil de l’enfer.

La division doit aller se refaire à l’arrière, sage décision, mais décidément Fernand n’a pas de chance
la CM3 doit retourner au combat par manque de mitrailleuses.

Pratiquement il retourne au même endroit, mais les obus qui labourent continuellement le secteur modifient le paysage perpétuellement.

Le 4 avril un violent marmitage s’abat sur sa position, des éclats d’obus lui taillent la chair, il est sonné, il se tâte, il ne lui manque rien, il saigne abondamment. Il se dirige vers l’ambulance tout seul, le major le panse et lui dit de rejoindre l’arrière.
Fernand passe outre et va rejoindre ses copains, c’est pas un planqué notre Fernand.

Un citation à l’ordre du régiment lui est accordée pour ce beau geste, sa compagnie rejoint bientôt la division qui fourbit de nouveaux, ses armes prêtes à un nouveau sacrifice.

A lire absolument : Voyage au bout de la nuit – Louis Ferdinand Céline

Le grand troupeau – Giono

Les croix de bois – Roland Dorgeles

Le feu – Henri Barbusse

Ceux de 14 – Maurice Genevoix

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